Voilà trente ans que je pêche la rivière d’Ain. Des coups de ligne tordus, j’en ai déjà fait quelques uns, mais celui de l’histoire qui va suivre, encore pas. Comme quoi, tout arrive.

Cette semaine, rien de donnait envie d’aller à la pêche. Déjà que le week-end dernier fut catastrophique, ces derniers jours, la fonte n’a fait que s’accentuer sans parler de la bise qui provoquait des vagues en surface comme rarement. Je suis donc resté sagement à l’étau tous les matins. Mais dans un coin de ma tête, j’avais coché ce vendredi matin en regardant au préalable les prévisions météo. Un changement de vent était annoncé, on allait passer du Nord-Est au vent du Sud. Je ne suis pas un grand fan de tous ces mouvements météo qui pourraient être liés à de potentiels changements de comportements des poissons mais je me suis dis que ça ne pouvait pas être pire. Donc dès le début de semaine, je savais que ce vendredi matin se passerait au bord de l’eau. J’avais même annoncé à mon jeune ami Victor que je ferai ma première belle truite de l'année à vue ce fameux vendredi.

A 5h15, j’étais debout. Je suis allé de suite devant le PC pour l’allumer afin de me renseigner sur les niveaux. Ain + Saine à 16m3, parfait ! J’étais chaud bouillant. Un petit message à Victor pour l’agacer, quelques mots échangés avec Fredo toujours le vé tôt avant de partir en guise de dernière motivation et j’étais prêt. Je suis parti de la maison dans la foulée.

J’ai débuté ma matinée de pêche par une berge que je connais bien rive droite. J’ai vu sur ce linéaire trois poissons. Aucun ne m’a laissé le loisir de le tenter. Des poissons pas si actifs que cela mais réellement farouches. Bref, impossible pour moi de les prendre.  Une fois cette berge prospectée, j’ai décidé d’aller en voir une autre rive gauche cette fois-ci en peu plus en aval.

Mais en arrivant près de la voiture juste avant de partir, je suis attiré par un mouvement dans l’eau. Il y avait deux poissons dont un tout clair et plus gros que l’autre qui était pourtant mieux placé pour moi. J’ai hésité à attaquer ce plus petit poisson, l’autre était plus joli mais pas attaquable d'où j'étais. Trop de temps à tergiverser, du coup, le plus petit poisson est parti en prenant le milieu de la rivière. Le plus gros, le plus clair était toujours en poste. Mais impossible à arbalèter. J’ai donc décidé de descendre dans l’eau un peu plus bas pour m’ouvrir l’angle. Mais c’était sans compter sur sa méfiance et l’excès de mouvements de ma part, la truite a fini elle aussi par prendre le large mais très tranquillement. Sa couleur claire m’a permis de l’observer assez longtemps.   

Hop, changement de secteur donc, tant pis. Le temps passait plus vite qu’au boulot ! Sur cette nouvelle berge, je n’en suis pas revenu, je n’ai tout simplement vu aucun poisson. Un peu à l’image de ce début de saison, le désert. Et ce n’est pas ce pêcheur au vairon que j’ai croisé qui m’a rassuré. Il avait eu une touche de tout le matin. De mon côté, il me restait une heure de pêche, que faire ?

J’ai finalement décidé de retourner sur la première berge pour tenter de revoir le peu de poissons vus tôt le matin. Et bien ce fut encore pire. Je n’ai revu qu’une seule truite qui a voulu jouer à cache-cache avec moi dans les tas de bois. Je n’ai jamais pu trouver une fenêtre pour tenter ma chance. Bon, ce n’est pas fini avec elle, on se reverra.

J'ai fini par me résoudre à retourner sur le coup du haut voir si la belle truite claire était revenue. Affirmatif ! La belle était en place encore plus collée à la berge que la première fois où je l'ai vu. Le coup était impossible. Je vais tenter de vous détailler ma position par rapport à elle bien que cela soit un exercice compliqué.

En fait, j’étais sur une berge haute. Environ 1.80m au dessus de la surface de l’eau. J’étais positionné plaqué au sol à ras de la berge et donc du tombant. La truite ne pouvait pas me voir car elle était plein amont, sous un arbre. Je ne pouvais accéder à sa perpendiculaire car l’arbre était entravé d’un gros tas de bois. J’étais donc bloqué à son aval. Pas très loin, mais impossible à arbalèter car le fait que la berge était abrupte, l’angle qui m’était offert faisait que ma nymphe arrivait à tous les coups derrière elle sans qu’elle ne puisse la voir. Bref, un coup « merdique ». Mais je restais là dans l’espoir qu’elle se laisse glisser de 80 centimètres ce qui aurait suffit. Un bon quart d’heure était passé depuis que je m’étais posé. La truite n’avait pas bougé, l’heure passait…Il me fallait trouver une solution pour au moins tenter le coup avant de partir.

J’ai pensé en dernier ressort à faire balancer ma nymphe comme un pendule en mettant ma canne à 90 degrés par rapport à la rivière. Ma cuivre était trop légère et se faisait prendre par le léger vent présent. J’ai du coup mis un gammare hameçon de 10. C’était nickel. Par contre quand ça ne veut pas aller, à chaque tentative, ma canne en fin de balancier venait percuter une branche ce qui m’empêchait de réaliser comme je le souhaitais le geste final pour mettre ma nymphe au bon endroit.

La truite n’a jamais rien capté de ce qu’il se passait. Moi, je commençais à me dire que c’était mort avant d’essayer. J’ai repris mon gammare en main et à l’aide de l’anneau de départ de la canne, j’ai réussi à accrocher cette maudit branche pour la ramener vers moi. Crac ! Toi, tu ne m’enquiquineras plus ! Là, ça devait être bon. Une, deux, trois tentatives. La truite ne captait pas la nymphe, j’étais court de 10 centimètres, rien…

Sur une ennième tentative, en plus du balancier perpendiculaire à la rivière, j’ai fait un mouvement plus prononcé de haut en bas avec la canne au moment où le gammare venait percer la surface de l’eau. Le « plouf » a été du coup plus conséquent. Effet immédiat, la truite s’est retournée. Le truc, c’est que mon gammare dérivait, mais la profondeur était faible et au moment où la truite a voulu s’en saisir, il était à moitié bloqué au fond. Je ne me suis pas démonté, je l'ai animé un petit coup. La truite a de nouveau accéléré pour s’en saisir en plein bouche cette fois-ci ! Ferrage dans la foulée ce qui a provoqué un gros pattassage de la truite en surface. Je me suis laissé glisser de ma berge haute pour la filocher après mois de dix secondes de combat. La voilà ! La première vraie truite de la saison ! On peut dire qu’elle s’est faite désirer celle-là ! 

Le combat a été rapide mais la truite était magnifique. Elle est restée quelques minutes dans l’épuisette sans bouger bien tranquille. J’ai eu tout le loisir de l’observer et de profiter de ce moment que j’attends toujours avec impatience toutes les saisons. Un vrai beau poisson qui m’a donné énormément de plaisir. J’espère qu’il en donnera de nouveau à d’autres pêcheurs. La belle est bien repartie rejoindre ses copines. Et moi, j’ai pu aller au boulot avec un sourire qui ne m’a pas quitté jusqu’au soir !

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