La pêche est avant toutes choses une façon de se distraire, de s’évader. Tout le contraire d’un sujet sérieux finalement. C’est à ce jour mon seul but lorsque je vais au bord de l’eau, loin de tout objectif de résultat, profiter du moment présent quoi qu’il se passe et apprécier de simplement pouvoir être au bord de l’eau aussi souvent que je le souhaite.

Prendre du poisson reste un plaisir immense, mais c’est devenu de moins en moins important.  Profiter du moment présent en étant en contemplation au bord d’une rivière suffit à mon bonheur.

Cela conditionne naturellement ma façon de pêcher.

A une époque pas si lointaine, j’étais capable de reprendre la voiture 3 ou 4 fois durant une partie de pêche pour changer de secteur afin de trouver des poissons actifs coûte que coûte. Cette envie de prendre une truite était la plus forte. Il fallait que je fasse plier le carbone. Ce n’est plus le cas maintenant. Il m’arrive régulièrement de pêcher en pratiquant un très faible linéaire sur les mêmes périodes qu’avant. Je suis plus observateur, je vais aller un peu plus loin dans la connaissance des coups à pêcher pour mieux les comprendre sans me prendre la tête à courir de partout.

Il se trouve que souvent, et même très souvent, on voit à peu de chose près le même nombre de poissons que lorsque l’on pêche plus vite à faire des kilomètres le long des berges de rivière. Cela me va très bien.  

C’est un peu ce qu’il s’est passé il y a quelques semaines et que j’ai fait découvrir à deux amis qui passaient par-là. Mon choix s’était porté sur une pêche d’affût et de patience. Le niveau de la rivière était optimum pour pêcher en nymphe à vue. La lumière médiocre par contre. Il y a de toutes façons toujours un paramètre en vrac. Si ce n’est pas la lumière, c’est le vent, la médiocre activité des truites ou les canoës, toujours un truc qui ne plait pas au pêcheur.

Je connais depuis de nombreuses années une zone de la rivière où les truites viennent chercher leur nourriture au cœur du printemps. Il n’y a pas de caches sur cette gravière, aucun caillou plus gros que l’autre. Les poissons sont visibles de très loin. Le pêcheur aussi d’ailleurs, car la berge est nue de toute végétation. La plupart des pêcheurs passent là debout en regardant s’ils ne voient pas un poisson au loin. C’est à mon avis une mauvaise approche pour ce coup bien particulier. De mon côté, je m’éloigne de la berge dès que la végétation disparait. Je reviens alors vers la rivière à quatre pattes perpendiculairement à celle-ci. Une fois près de l’eau, je reste assis là sans bouger.  Il suffit alors de patienter et de bien observer car les truites peuvent venir aussi bien de l’aval que de l’amont. Bien entendu, il faut pêcher ce coup à certaines saisons et horaires, ce n’est pas la fête tous les jours, loin de là. L’horaire, c’est surtout pour avoir une bonne visibilité. Selon la position du soleil, cela peut-être un vrai miroir.  

Ce jour-là, et malgré le fait que la lumière était loin d’être top (ciel voilé), je voyais de temps en temps des truites croiser au large, à environ 10 ou 12 mètres de la berge. Parfois en plein milieu de rivière. La profondeur et le courant ne sont pas conséquents. Le secret ici est très simple, il faut une combinaison grande pointe et nymphe non plombée. Ces deux paramètres vont permettre d’augmenter la distance de dérive. Lorsqu’une truite apparait et qu’elle arrive à distance de lancer, il faut alors poser loin devant elle et laisser la nymphe dériver sans l’animer. On est sur des poissons qui mangent, qui sont là uniquement pour ça. Les nymphes sont repérées par les poissons très vite, aucun besoin de les animer. Après, les imitations ne sont pas prises à tous les coups, cela serait trop beau. Quand ce n’est pas le cas, j’arrive à comprendre assez vite que cela vient de moi. Rarement de la nymphe, même jamais à mon avis. J’ai pu le vérifier plusieurs fois. Il m’arrive de faire des expériences comme sur cette partie de pêche. J’ai pris trois truites avec trois nymphes différentes en aspect, mais en poids identique (Le poids des nymphes, c’est la base de tout). Je l’ai fait volontairement pour me rassurer sur certains points. Une nymphe cuivre, une tête orange et une nymphe de tricho. Les trois poissons attaqués ont pris en dérive inerte. Une grande pointe permet de se rapprocher de la dérive d’une larve naturelle sans toutefois y arriver. Mais peut suffire à tromper dame fario.

Au premier poisson, et une fois ferré, il a fallu que je me laisse glisser dans l’eau pour le combattre afin de l’empêcher de s’engouffrer dans les racines de saule en amont de moi contre la berge et surtout pour l’épuiser dans les meilleures conditions.

Le fond de la rivière était marneux. Je n’étais pas préparé à ça, je pensais atterrir sur un sol dur. Du coup, une fois en contact j’ai bien enfoncé dans le sol au point que mes cuissardes allaient être trop courtes par rapport au niveau de l’eau. Premier remplissage de la saison. Il fallait bien que ça arrive, une saison entièrement au sec n’est pas envisageable pour tout pêcheur qui se respecte. Ce n’est pas pour ça que j’ai changé de coin ou stoppé ma pêche, cela fait parti du jeu justement. Quand mes deux mis m’ont rejoins et sont venus se mettre à mes côtés pour observer mon manège avec les truites, je leur ai expliqué ma mésaventure. C’est là qu’un autre poisson est arrivé de l’aval. Comme le précédent, il a pris ma nymphe en pleine dérive sans l’animer. Au ferrage, j’ai regardé les copains en leur disant : ben pas le choix, faut que je remplisse de nouveau.

Au final, rien de dangereux, juste un peu frais et désagréable. Le plus compliqué dans tout ça c’est la réaction de madame lorsqu’elle trouve dans le linge sale les habits et chaussettes bien mouillés. Mais je pense que vous connaissez tous ça. De mon côté, j’insiste, c’est une marque de fabrique !

Je pourrais mettre les waders de façon systématique mais si je pense que la pêche se fera exclusivement à vue, j’évite. Je suis plus à l’aise en cuissardes. Si dans le cas contraire je pense qu’il peut y avoir des gobages, là, je mets le waders.

Cela ne garantie pas de rentrer au sec malgré tout ! Preuve en est sur une journée de pêche vécue il y a quelques jours. Les conditions étaient cette fois-ci totalement différentes. La rivière était légèrement mâchée faute aux orages de la veille, le niveau un poil plus haut. Je me suis retrouvé au bord de l’eau avec mon ami de toujours, le plus fidèle, le parrain de mon fils.

Quand je suis arrivé, Denis avait déjà pris une truite. Par contre, il avait vu un seul et unique gobage. Qu’à cela ne tienne, nous allions passer un peu de temps ensemble. Nous sommes allés faire les coins sûrs. Pas un rond, rien. Pourtant, il y avait des insectes, aussi bien dans le ciel que sur l’eau, mais pas un seul poisson actif.

Ajouter à cela quelques canoës et le compte était bon. Pas simple ce début de saison pour la pêche en sèche. Alors oui, j’aurais pu faire quelques courants au fil, ou une descente en noyées, mais pas l’envie. C’était l’heure de partir pour Denis, on s’est donc séparé. Je suis allé voir un autre coin, sans résultat. Il commençait à être tard. Les mouches étaient toujours présentes, ce qui me rendait perplexe. Des mouches comme rarement et aucune activité, une rivière vide de poisson.

Je suis donc revenu sur mes pas, j’ai de nouveau marqué un temps d’arrêt sur une fin de plat où j’ai déjà pris bon nombre de truites.

Alors que plus rien ne laissait présager un changement lors de cette après-midi de pêche où je n’avais pas encore fouetté, il me sembla voir un gobage un peu en aval le long d’un bois mort. Sans trop de conviction, je suis rentré dans l’eau pour me positionner. Une fois en place, de nouveau un gobage, c’était bien un poisson ! Le premier que j’allais tenter en sèche de la saison ! Il aura fallu attendre le moi de Mai.

A la première présentation, le poisson a pris ma mouche. Après quelques secondes à se débattre, il s’est décroché. Quand ça ne veut pas aller…

Comme j’étais dans l’eau, j’ai peigné un peu les plus beaux postes devant moi. Comme les deux côtés de ce petit caillou dont le sommet avait bien de la peine à percer la surface de l’eau. Je ne pêche jamais l’eau en sèche d’habitude, il fallait vraiment ne pas savoir quoi faire. J’avais surtout envie de fouetter un peu après ces heures à observer le néant. Bien m’en a prit, car le long du caillou, une truite a intercepté mon émergente de mouche de mai montée sur hameçon de 12. Ma première truite en sèche de la saison. Une trentaine de centimètres mais une belle émotion. Au moment où j’ai remis ce poisson à l’eau, un autre gobage, tout contre la racine en face. Cette rivière me surprendra toujours, cela faisait des heures que tout était mort. Et là, je ne savais plus où donner de la tête.

J’ai eu quelques difficultés à bien présenter ma mouche car le courant était bien plus lent le long de la racine. J’ai blousé la truite en lui posant direct dessus, elle a pris ma mouche à son contact avec l’eau. Un bon 40 pour celle-ci et un joli combat dans la veine centrale.

A trois mètres en amont, un autre gros gobage que j’ai calé par maladresse et précipitation. Même après tant d’années et donc d’expérience, j’arrive à faire des erreurs grossières. C’est ainsi.

Le coup était épuisé. Je suis donc sorti de l’eau à la hâte pour me rendre sur un autre coup où j’étais certain de voir des beaux poissons attablés. C’est toujours le cas quand elles se décident enfin à prendre les mouches de mai. Bon, elles ont mis le temps, mais ça y est, alors que j’avais la rivière pour moi seul, les truites étaient en pleine activité sur ces grosses mouches.

Arrivé sur les lieux, j’ai repris mon souffle. Oui, dès que je cours, ça part en vrille ! Au deux tiers de la rivière, il y avait deux nez qui transperçaient la surface de l’eau sans arrêt. Les deux poissons étaient derrière un gros bloc et deux mètres l’un derrière l’autre dans le même axe face au courant. Un coup facile, c’est certain. Les truites gobaient vraiment franchement et à intervalles très réguliers. Le genre de scènes que l’on rencontre une ou deux fois dans la saison. Voilà, c’était pour moi ce soir-là.

J’ai vite déchanté lorsque j’ai voulu m’approcher pour être à bonne distance. La rivière était en train de monter en fait et je suis vite arriver aux limites de mes waders. Trop loin pour atteindre les poissons. J’étais comme un gosse devant un glacier sans un sou en poche. Puis je me suis vite dis qu’on avait qu’une vie. Le niveau était haut, certes, mais le courant pas très fort. Je ne risquais pas grand-chose si ce n’est d’être bien trempé. J’ai passé le passage plus profond quand même en sentant l’eau rentrer dans mes waders. Une flotte à 12.5°c, ça réveille.  J’ai pu me caler là où je l’avais imaginé mais ma position était bien inconfortable. J’avais quasiment les coudes dans l’eau. Pas grave, les truites gobaient et elles étaient enfin à porté de mouche !

J’ai posé 50 centimètres en amont de la truite qui se tenait le plus en aval du caillou. A peine ma mouche s’est mise à dériver qu’elle a disparu dans la gueule du poisson. Pendu ! Chandelle ! Oula, c’est beau ! La truite au bout, moi qui prenait l’eau et qui commençait à en avoir pas mal dans les waders, un peu la panique quoi. En même temps que je maitrisais cette furie, je faisais marche arrière pour me rapprocher de la berge. J’y suis arrivé non sans mal. Le poisson était merveilleux. Le troisième à l’épuisette en moins de 30 minutes. Tout ce beau monde avec une belle mouche de mai du genre ATE numéro 8 et une avec une SL-mai. Les grandes imitations ne meurent jamais.

Après avoir admiré ce poisson et lui avoir rendu sa liberté, j’ai de nouveau levé la tête. Oui, le deuxième poisson gobait toujours et pas qu’un peu. Vite, la rivière monte, je n’allais pas pouvoir passer encore longtemps.

Avant d’y retourner, j’ai tenté de faire partir un peu de flotte de mes waders histoire de m’alléger. Il m’a fallu faire quelques efforts supplémentaires pour rejoindre ma position d’attaque. Le truc, c’est que le dernier poisson gobait un peu plus en amont que le premier et que je ne pouvais faire autrement que de poser mon bas de ligne directement sur le gros caillou pour lui présenter la mouche, ce que j’ai fait. Comme la première, gloups direct ! Malheureusement pour moi, au ferrage, la belle s’est réfugiée à la vitesse de l’éclair sous le gros bloc sans que je ne puisse rien faire. Dans des conditions normales, j’aurais pu me déplacer et la déloger, mais dans des conditions normales, elle n’aurait certainement pas gobé de façon si innocente. Bref, un joli poisson de perdu, c’est le jeu.

J’ai repris un peu l’eau pour rejoindre la berge. J’en avais assez. De plus, l’intensité des gobages avait disparu aussi vite qu’elle était apparut.

Je suis rentré vraiment heureux d’avoir vécu ces quelques minutes de frénésie alimentaire. Quel plaisir, qui plus est lorsque cela se passe en surface. C’est devenu tellement rare.

Un dernier mot pour les plus jeunes qui liront ce récit jusqu’à la fin, attention quand même à ne pas prendre des risques inconsidérés. J’étais là sûr de moi. Une gravière que je connais depuis plus de 30 ans, je savais où je mettais les pieds et j’ai fait tout ça avec un débit vraiment très faible. Aucune chance de sentir rouler les galets sous mes pieds comme cela peut-être le cas quand le courant pousse plus fort. Je ne suis pas passé loin au moins une ou deux fois dans ma vie de pêcheur, donc attention à vous.