Réflexions sur les habitudes du pêcheur.
Par Nicolas39 le mercredi 1 juin 2016, 21:00 - Pensée personnelle - Lien permanent
A réfléchir...
Le mal qui touche depuis quelques années les rivières de Franche-Comté porte dans bien des cas le nom de Saprolegnia. Dans tous les cas, c'est bien la qualité de l'eau qui est mis en avant. Même s'il ya des différences notables d'oirgines de pollutions selon les bassins versants, c'est toujours et essentiellement la qualité de l'eau qui fait défaut dans nos rivières. En toute logique, c'est cette médiocrité de la qualité de l'eau qui déclenche ces épidémies de saprolegnia et provoque la mortalité des poissons sauvages du Doubs, de la Loue, de la Bienne, etc...
Dans ces terribles conditions, je me suis posé des questions sur certaines habitudes des pêcheurs et par conséquent, les miennes. Je me suis posé certaines questions car le jour du pic de mortalités des truites sur la Bienne il y a quelques jours, mon fils avec des amis à lui était sur la rivière. J'avoue avoir pas mal de lacunes dans le domaine scientifique concernant les milieux aquatiques, après tout, je ne suis qu'un simple pêcheur. J'ai donc demandé à Quentin de répondre à mes questions. Du coup, je vous fais profiter de ses réponses. Chacun en fera ce qu'il en veut, mais cela a le mérite de poser les fondations d'un futur débat qui, au vu de l'avenir proche assez pessimiste, à tout lieu d'être.
Nicolas : Salut Quentin, peux-tu nous faire une présentation dans un premier temps stp ? Merci.
Quentin : Bonjour Nico, je m’appelle Quentin Dumoutier, je suis un pêcheur habitant en Haute-Savoie. Comme d’autres de ma génération, et de celles qui arrivent, ma passion a guidé le choix de mes études ainsi que celui de mon métier puisque j’exerce actuellement la profession d’hydrobiologiste dans un bureau d’étude. Un métier qui me conduit à côtoyer beaucoup de milieux différents et des problématiques variées mais qui me conduit surtout à aborder avec grande prudence une problématique aussi complexe que les mortalités de la Bienne.
Nicolas : Pour reprendre depuis le début, est-ce-que je dis une bêtise si j’écris que le champignon qui détruit une partie de la population des truites sauvages de la Bienne est déjà présent dans la totalité des rivières ? Que ce champignon s'attaque uniquement aux poissons qui possèdent un système immunitaire défaillant ?
Quentin : Cette première question est plus compliquée qu’il n’y paraît. D’un point de vue général oui, il est admis que les pathogènes pour les poissons sont présents dans le milieu en quantité plus ou moins abondante en fonction des conditions du milieu. Concernant la Bienne, la mycose identifiée lors de la dernière mortalité de 2012 appartenait principalement au genre des Saprolegnia. Dire qu’elle ne puisse affecter que des poissons ayant un système immunitaire « défaillant » serait un peu exagéré. Pour les poissons comme pour nous, le développement d’une épidémie (ou plutôt épizootie dans le cas des animaux) nécessite deux conditions : une sensibilité particulière, plus ou moins passagère du poisson et une mise en contact avec un pathogène.
En conditions normales ce sont en effet les poissons les plus faibles qui sont touchés et ceci de façon éparse. Néanmoins le cas de la Bienne, et des autres rivières affectées en France et en Suisse interpellent de par son ampleur et sa récurrence, sur des milieux assez divers. Les hypothèses vont bon train. L’une d’elles, avancée par une étude suisse de l’Université de Neuchâtel évoque la combinaison d’une souche virulente et exotique de Saprolegnia et d’un déclencheur externe de type « pollution ».
Pour répondre à la seconde partie de ta question concernant le fait que ce pathogène soit présent sur la totalité des rivières… ce n’est donc pas évident si l’on considère que chaque souche est différente.
Nicolas : Lors d’une conversation privée, tu étais interrogatif sur le rôle de propagation d’un des accessoires du pêcheur, l’épuisette. Surtout si celle-ci a été en contact avec un poisson potentiellement atteint. Peux-tu développer pour mes lecteurs ton point de vue stp ?
Quentin : En effet, je m’interroge et j’aimerais que l’on se pose collectivement la question de la dissémination des pathogènes lorsque des problématiques aussi aigue surviennent. La question de la désinfection du matériel est souvent balayée du revers de la main en raison de la complexité de la tâche, si l’on considère l’ensemble du matériel en contact avec l’eau. Il existe pourtant pour moi un vecteur direct qui cristallise la majorité du risque de transfert de pathogène d’un individu à l’autre c’est l’épuisette. Si tout se passe bien, plusieurs poissons s’y succèdent lors d’une journée. Sur des poissons sains, il est peu probable que cela pose problème mais lorsqu’un poisson malade passe par là, l’épuisette pourrait favoriser l’extension d’une infection.
Nicolas : As-tu des conseils à donner pour palier à cela vis-à-vis des épuisettes ou d’autres accessoires du pêcheur ?
Quentin : Il en existe des simples et des plus complexes. Les suisses depuis 2012 ont fait plusieurs campagnes de communication à ce sujet préconisant divers moyens de désinfection. Je ne suis pas spécialiste en la matière mais j’imagine que nous pourrions nous en inspirer. Ce que j’en retiens c’est que sans désinfectant, un matériel tel que l’épuisette nécessite jusqu'à 14 jours de séchage à plus de 25°c pour être considérer comme désinfectée. Une condition totalement incompatible avec les pratiques actuelles et en particulier les séjours pêches itinérants. A minima je pense qu’il est important de minimiser les contacts avec les poissons malades et qu’en cas de capture accidentelle, il est sage de se passer d’épuisette. En cas de changement de rivière dans la journée il est aussi possible de changer d’épuisette. A mon avis les moyens ne manquent pas et je souhaiterais qu’une réflexion soit engagée à ce sujet qui nous concerne au plus haut point.
Merci beaucoup Quentin pour ce retour.
Voilà un très bon début de réflexion qui, je le répète, ne doit pas masquer le fond du problème qui reste et qui restera la qualité de l'eau. Les pêcheurs ne sont pas responsables par exemple lorsque la STEP de Jeurre mis en demeure depuis 2009 ne voit aucune évolution sur le terrain depuis. Non, mais doit-on pour autant faire l'autruche sur d'autres paramètres ?
Dans un deuxième temps, et si l'on considère que nos poissons sauvages tout du moins chez nous vivent dans des milieux médiocres, il y a aussi une réflexion à avoir sur la photographie.
Je suis à mon avis très bien placé pour en parler puisque j'en ai fait des centaines voir des milliers. Nos milieux aquatiques sont médiocres donc les poissons qui y vivent sont beaucoup plus fragiles. De mon côté, c'est impossible que je reparte d'une sortie de pêche sans un souvenir en image d'un beau poisson que j'aurais eu la chance de capturer. Par contre, avec le temps, j'ai modifié considérablement ma façon de faire pour un plus grand respect du poisson. Je me dis que quitte à remettre le poisson à l'eau, autant le faire dans les meilleures conditions possibles pour lui.
Depuis cette année, je ne porte plus les truites. Je ne les serre plus, j'évite toutes manipulations autres que celui de décrocher ma mouche ou ma nymphe. Une photo dans l'épuisette dans l'eau et je bascule cette même épuisette sans toucher le poisson pour qu'il reparte.
Plus d'apnée à répétition ou d'une longueur telle que le poisson aura des séquelles. Plus de manipulations excessives et surtout inutiles qui endommageraient le mucus si précieux pour les truites ou qui écraseraient certains organes. Bref, on peut malgré tout réaliser de très belles photos sans porter atteinte encore plus qu'il ne faut à la survie du poisson. Et puis, il y a une chose très facile à faire, c'est limiter le nombre de photo. Je vois encore tous les jours sur les réseaux sociaux des pêcheurs publier 5 à 10 photos du même poisson...Franchement, est-ce bien necessaire de les embêter autant ?
Vous allez me dire que j'ai bon dos de vous écrire tout cela avec le nombre de photos que vous pouvez trouver sur ce blog qui reflètent tout le contraire de mes écrits. Certes, mais justement, c'est le privilège de l'âge. Celui de se rendre compte de ses erreurs passées et d'évoluer dans ce qui je pense, est le bon sens.
Ces deux poissons ont été photographiés et relâchés sans avoir été touchés par mes mains.
Commentaires
Il y a 20 ans, une épizootie de saprolégniose a détruit la majorité des salmonidés de l'Ignon (21). A l'époque on (CSP, fédération, etc...) nous a dit que c'était dû à une nouvelle souche de saprolégnia, la saprolégnia parasitica. J'ai pu constater, 20 ans après qu'on nous servait les mêmes arguments sur la Loue, le Doubs, le Dessoubre puis la Bienne. J'ai l'impression qu'on nous fait du neuf avec du vieux et que cette souche a bon dos pour dissimuler l'état déplorable de nos rivières. Je suis donc bien content d'avoir l'avis d'un hydrobiologiste indépendant, mais j'aimerais en savoir plus.
Super article - deux remarques Nico:
1- la question de la photo est celle du stress occasionné au poisson. je crois que pas mal d'études scientifiques assez sérieuses du catch & release ont eu lieu aux US notamment sur les black bass et la pratique de garde du poisson ds un tank et remise à l'eau en fin de partie de pêche, pratique dont l'incidence a été mesurée de façon opposée à l'impact des hameçons. Et ds ces études, il n'y avait pas "photo" . Le stress est le facteur aggravant, vraiment le plus traumatisant. Tout comme chez l'être humain, le stress immuno-deprime le sujet. L'affaiblit. Evidemment, je ne suis pas biologiste et ma lecture est celle d'un béotien. La manipulation photographique est certainement aussi nuisible que le combat long ou que la sur-sollicitation, le piétinement du lit de la rivière. Le problème est plurifactoriel. La multiplication des atteintes est le vrai problème. Dur de voir la limite entre le bon et le très bon geste et sa part de responsabilité.
2. la question du "terrain de jeu" est à revisiter peut-être. J'avoue avoir plus en plus de mal avec ce terme même. Le jeu n'est que du côté du pêcheur. La corrida sans mise à mort a écrit Pequegnot non? Evidemment, moi-même pêcheur, je ne suis pas sûr d'être bien du bon côté sur ce coup là. J'avoue néanmoins que j'assume mon côté prédateur, n'ayant pas peur des mots et par prédation j'avoue inclure le simple fait de pêcher et de relâcher. La fameuse éthique est en jeu. C'est compliqué.
Après peut-être ne pas trop en faire, relativiser plutôt. Eviter de trop chirurgicaliser les gestes. L'impact du pêcheur n'est rien, sinon moindre, face aux atteintes de masse qui planent sur les milieux naturels, l'eau en premier lieu. Mais croire que le no kill est un "no pain", que le geste est neutre, comme aseptisé, c'est faux. D'ailleurs "vacciner une truite", pas sûr qu'elle soit soudainement "immunisée". Je plaisante un peu avec ces termes et joue avec les mots un peu par provocation, mais les mots dans la pratique du pêcheur comme tu dis, ont aussi leur sens. non?
Amicalement,
Julien.
Comme toi, depuis une quinzaine d'années, je photographie les poissons qui en valent la peine (en général plus de 50 cm), dans l'épuisette, sans jamais les sortir de l'eau ni les toucher si c'est possible. Et c'est possible dans la majorité des cas. Il suffit de trouver un petit courant pas trop profond qui permette à l'eau de circuler sur leurs branchies. On est alors surpris de voir que les truites restent bien sagement posées sur le flanc sans se débattre. Pendant la prise des photos, elle se réoxygènent tranquillement et repartent finalement beaucoup mieux que si on les avait directement renvoyées à la rivière. Pour cela il faut bien sûr une grande épuisette dans laquelle une truite de 60 cm est capable de se positionner face au courant sans être serrée.
Les poissons que je ne désire pas photographier sont décrochés dans l'eau sans les toucher ni les mettre à l'épuisette.
La pêche reste quand même une prédation et il ne faut pas abuser du no-kill en prenant un maximum de poissons sous prétexte de les vacciner, car la vaccination peut tuer et statistiquement une truite sur 10 va y laisser sa peau. Un pêcheur en no-kill prenant une trentaine de poissons dans la journée va en tuér 3 qu'il ne mangera même pas alors que Jean-Paul Péquegnot, qui était de mes amis, on aurait tué 2 pour les manger.
En pratique, pour minimiser mes nuisances, j'évite de marcher dans l'eau pour ne pas écraser une multitude de larves, je n'attaque plus que les poissons de plus de 50 cm. La nymphe à vue est bien sûre la méthode idéale pour cela. Si la température de l'eau augmente ou se détériore, si les poissons paraissent en mauvaise condition, je ne pêche plus. Mes carnets de pêche retrouvent une moyenne d'environ 2 poissons par jour, mais tous supérieurs à 45 cm. Je ne pêche quasiment plus qu'en nymphe à vue des rivière calcaires à fort grossissement.
Bien sûr, je ne suis pas et n'ai pas toujours été irréprochable, quand j'étais jeune, il arrivait de prendre des dizaines de truites dans la journée en ayant la conscience tranquille car je les remettais à l'eau.
Il est important de transmettre cette éthique aux débutants.
La qualité de l'eau est le facteur principal des mortalités en Franche-Comté. Les nitrates ont permis d'augmenter le nombre de vaches par hectare et donc le tonnage de fumier qui se retrouve à la rivière. Les cours d'eau se sont eutrophisés. Les gravières qui étaient blanches ou jaune clair ont pris une couleur verdâtre ou marronnasse. Mais c'est difficile d'en parler aux agriculteurs.
Il faut être conscient que l'équipement du pêcheur peut également transmettre des agents pathogènes comme les bactéries, les virus et les champignons d'une rivière à l'autre, comme il transmet les algues (cf. Nouvelle-Zélande), ou les escargots (cf. parc de Yellowstone). Il faut éviter le feutre et rincer ses chaussures de wading. L'épuisette doit être réservée aux poissons exceptionnels d'apparence saine.
Bref, tout devient beaucoup plus compliqué, et peut-être faudrait-il instaurer un permis de pêcher comme le permis de conduire, pour que les jeunes pêcheurs aient au moins conscience des problèmes.
Bonjour,
Concernant l'utilisation de l'épuisette, je recommande et j'utilise les modèles avec un filet plastique. Plus de problème de séchage du filet en contact avec le poisson. Les mailles n'agressent pas le mucus des poissons. L'outil est disponible en cherchant bien et, de plus, est esthétique. Il ne craint pas les ronces.
Dommage qu'il ne soit pas plus employé chez nous. Il l'est couramment aux US.
Tout à fait d'accord avec Pierrick, les filets silicones ou plastifiés devraient être la norme pour les épuisettes. En plus ils ont l'avantage de ne pas empester la voiture ou la maison; Pour en revenir à l'épisode de mortalité le laboratoire départementale du Jura a trouvé sur les poissons morst de 2012 une bactérie, la Yersinia ruckeri. Elle est responsable de la maladie de la bouche rouge. La surinfection par la saprolégniose est fréquence; J'ai peu voir sur les photos des poissons morts que c'était surtout au niveau de la bouche que se situait ces mycoses, signe flagrant d'abord d'une infection par la bactérie. Il existe différentes souches dont certaines sont très virulentes pour les poissons. Certes cela n'occulte pas les précautions à prendre par les pêcheurs dans la manipulation et la durée du combat (qui stress surement bien plus que la mise à sec et les quelques photos), ni les problèmes de qualité de l'eau mais je trouve que cette piste n'a pas été trop fouillée...
Je pêche la Loue depuis 20 ans, tous les jours ...
Alors oui, la façon de se comporter avec le poisson, notamment lors du combat, du décrochage et des photos est capitale et devrait être expliquée à chaque pêcheur comme le fait Nico pour les photos.
En revanche, attention, ne nous trompons pas de cible ...supprimez les épandages sur les plateaux du Hauts-Doubs, et réduisez le traitement du bois (ou supprimez certains produits chimiques utilisés) et vous verrez comme les rivières se porteront mieux ... Habitant au bord de la Loue, nous avons pu clairement corréler les épisodes de mortalité avec les cycles d’épandage, la température et les débits ... le vrai mal des rivières comtoises est bien là ... vous n'imaginez pas la quantité de lisier qui est épandue sur les plateaux ... discutez un jour avec des spéléologues ... La Loue a été détruite par l'agriculture !
Ce discours, mettant en avant des causes liées aux pêcheurs, a déjà été repris ici ou là par quelques politiques locaux concernant les pb de qualité d'eau, ça arrange tout le monde ...
@Olivier : Je rebondis sur votre commentaire en disant : attention à ne pas faire mauvaise lecture du texte. En aucun cas cet article ne parle d'origines de pollution, que l'on soit bien d'accord. Je les ai assez dénoncé sur ce blog il me semble avec même la réalisation d'un DVD les dénonçant. Cela ne veut pas dire pour autant qu'il faut faire la politique de l'autruche sur d'autres domaines. Pour les photos, c'est de la logique, et pour les épuisettes, c'est une interrogation sur une potentielle propagation après contact avec un poisson atteint. Il n'y a rien d'affirmatif et ce discours n'a rien à voir avec ce qui déclenche les mortalités. Ne pas aussi tout mélanger.