Le mal qui touche depuis quelques années les rivières de Franche-Comté porte dans bien des cas le nom de Saprolegnia. Dans tous les cas, c'est bien la qualité de l'eau qui est mis en avant. Même s'il ya des différences notables d'oirgines de pollutions selon les bassins versants, c'est toujours et essentiellement la qualité de l'eau qui fait défaut dans nos rivières. En toute logique, c'est cette médiocrité de la qualité de l'eau qui déclenche ces épidémies de saprolegnia et provoque la mortalité des poissons sauvages du Doubs, de la Loue, de la Bienne, etc...

Dans ces terribles conditions, je me suis posé des questions sur certaines habitudes des pêcheurs et par conséquent, les miennes. Je me suis posé certaines questions car le jour du pic de mortalités des truites sur la Bienne il y a quelques jours, mon fils avec des amis à lui était sur la rivière. J'avoue avoir pas mal de lacunes dans le domaine scientifique concernant les milieux aquatiques, après tout, je ne suis qu'un simple pêcheur. J'ai donc demandé à Quentin de répondre à mes questions. Du coup, je vous fais profiter de ses réponses. Chacun en fera ce qu'il en veut, mais cela a le mérite de poser les fondations d'un futur débat qui, au vu de l'avenir proche assez pessimiste, à tout lieu d'être.

Nicolas : Salut Quentin, peux-tu nous faire une présentation dans un premier temps stp ? Merci.

Quentin : Bonjour Nico, je m’appelle Quentin Dumoutier, je suis un pêcheur habitant en Haute-Savoie. Comme d’autres de ma génération, et de celles qui arrivent, ma passion a guidé le choix de mes études ainsi que celui de mon métier puisque j’exerce actuellement la profession d’hydrobiologiste dans un bureau d’étude. Un métier qui me conduit à côtoyer beaucoup de milieux différents et des problématiques variées mais qui me conduit surtout à aborder avec grande prudence une problématique aussi complexe que les mortalités de la Bienne.  

Nicolas : Pour reprendre depuis le début, est-ce-que je dis une bêtise si j’écris que le champignon qui détruit une partie de la population des truites sauvages de la Bienne est déjà présent dans la totalité des rivières ?  Que ce champignon s'attaque uniquement aux poissons qui possèdent un système immunitaire défaillant ?

Quentin : Cette première question est plus compliquée qu’il n’y paraît. D’un point de vue général oui, il est admis que les pathogènes pour les poissons sont présents dans le milieu en quantité plus ou moins abondante en fonction des conditions du milieu. Concernant la Bienne, la mycose identifiée lors de la dernière mortalité de 2012 appartenait principalement au genre des Saprolegnia. Dire qu’elle ne puisse affecter que des poissons ayant un système immunitaire « défaillant » serait un peu exagéré. Pour les poissons comme pour nous, le développement d’une épidémie (ou plutôt épizootie dans le cas des animaux) nécessite deux conditions : une sensibilité particulière, plus ou moins passagère du poisson et une mise en contact avec un pathogène.

En conditions normales ce sont en effet les poissons les plus faibles qui sont touchés et ceci de façon éparse. Néanmoins le cas de la Bienne, et des autres rivières affectées en France et en Suisse interpellent de par son ampleur et sa récurrence, sur des milieux assez divers. Les hypothèses vont bon train. L’une d’elles, avancée par une étude suisse de l’Université de Neuchâtel évoque la combinaison d’une souche virulente et exotique de Saprolegnia et d’un déclencheur externe de type « pollution ».

Pour répondre à la seconde partie de ta question concernant le fait que ce pathogène soit présent sur la totalité des rivières… ce n’est donc pas évident si l’on considère que chaque souche est différente.

Nicolas : Lors d’une conversation privée, tu étais interrogatif sur le rôle de propagation d’un des accessoires du pêcheur, l’épuisette. Surtout si celle-ci a été en contact avec un poisson potentiellement atteint. Peux-tu développer pour mes lecteurs ton point de vue stp ?

Quentin : En effet, je m’interroge et j’aimerais que l’on se pose collectivement la question de la dissémination des pathogènes lorsque des problématiques aussi aigue surviennent. La question de la désinfection du matériel est souvent balayée du revers de la main en raison de la complexité de la tâche, si l’on considère l’ensemble du matériel en contact avec l’eau. Il existe pourtant pour moi un vecteur direct qui cristallise la majorité du risque de transfert de pathogène d’un individu à l’autre c’est l’épuisette. Si tout se passe bien, plusieurs poissons s’y succèdent lors d’une journée.  Sur des poissons sains, il est peu probable que cela pose problème mais lorsqu’un poisson malade passe par là, l’épuisette pourrait favoriser l’extension d’une infection.

Nicolas : As-tu des conseils à donner pour palier à cela vis-à-vis des épuisettes ou d’autres accessoires du pêcheur ?

Quentin : Il en existe des simples et des plus complexes. Les suisses depuis 2012 ont fait plusieurs campagnes de communication à ce sujet préconisant divers moyens de désinfection. Je ne suis pas spécialiste en la matière mais j’imagine que nous pourrions nous en inspirer. Ce que j’en retiens c’est que sans désinfectant, un matériel tel que l’épuisette nécessite jusqu'à 14 jours de séchage à plus de 25°c pour être considérer comme désinfectée. Une condition totalement incompatible avec les pratiques actuelles et en particulier les séjours pêches itinérants. A minima je pense qu’il est important de minimiser les contacts avec les poissons malades et qu’en cas de capture accidentelle, il est sage de se passer d’épuisette. En cas de changement de rivière dans la journée il est aussi possible de changer d’épuisette. A mon avis les moyens ne manquent pas et je souhaiterais qu’une réflexion soit engagée à ce sujet qui nous concerne au plus haut point.

 

Merci beaucoup Quentin pour ce retour.

Voilà un très bon début de réflexion qui, je le répète, ne doit pas masquer le fond du problème qui reste et qui restera la qualité de l'eau. Les pêcheurs ne sont pas responsables par exemple lorsque la STEP de Jeurre mis en demeure depuis 2009 ne voit aucune évolution sur le terrain depuis. Non, mais doit-on pour autant faire l'autruche sur d'autres paramètres ?

Dans un deuxième temps, et si l'on considère que nos poissons sauvages tout du moins chez nous vivent dans des milieux médiocres, il y a aussi une réflexion à avoir sur la photographie.

Je suis à mon avis très bien placé pour en parler puisque j'en ai fait des centaines voir des milliers. Nos milieux aquatiques sont médiocres donc les poissons qui y vivent sont beaucoup plus fragiles. De mon côté, c'est impossible que je reparte d'une sortie de pêche sans un souvenir en image d'un beau poisson que j'aurais eu la chance de capturer. Par contre, avec le temps, j'ai modifié considérablement ma façon de faire pour un plus grand respect du poisson. Je me dis que quitte à remettre le poisson à l'eau, autant le faire dans les meilleures conditions possibles pour lui.

Depuis cette année, je ne porte plus les truites. Je ne les serre plus, j'évite toutes manipulations autres que celui de décrocher ma mouche ou ma nymphe. Une photo dans l'épuisette dans l'eau et je bascule cette même épuisette sans toucher le poisson pour qu'il reparte.

Plus d'apnée à répétition ou d'une longueur telle que le poisson aura des séquelles. Plus de manipulations excessives et surtout inutiles qui endommageraient le mucus si précieux pour les truites ou qui écraseraient certains organes. Bref, on peut malgré tout réaliser de très belles photos sans porter atteinte encore plus qu'il ne faut à la survie du poisson. Et puis, il y a une chose très facile à faire, c'est limiter le nombre de photo. Je vois encore tous les jours sur les réseaux sociaux des pêcheurs publier 5 à 10 photos du même poisson...Franchement, est-ce bien necessaire de les embêter autant ?

Vous allez me dire que j'ai bon dos de vous écrire tout cela avec le nombre de photos que vous pouvez trouver sur ce blog qui reflètent tout le contraire de mes écrits. Certes, mais justement, c'est le privilège de l'âge. Celui de se rendre compte de ses erreurs passées et d'évoluer dans ce qui je pense, est le bon sens.

Ces deux poissons ont été photographiés et relâchés sans avoir été touchés par mes mains.

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