Cela fait pas mal de temps que je ne vous ai pas raconté quelques aventures de mon époque « André Terrier ». Je ne vais revenir aujourd’hui sur une histoire en particulier, mais, même au risque de faire plus court que d’habitude, je souhaitais mettre en lumière la relation presque familiale qui me liait à lui.

Le contexte, pour ceux qui suivent ce blog, vous le connaissez. André Terrier, marié, père de deux filles. Le petit mec fan de pêche habitant le même village que lui avait tout pour devenir le futur « disciple ». C’est comme cela qu’André me présenta par la suite à tous ces amis. Avant moi, André avait appris la pêche à la mouche et le monde rivière à Sébastien Jacqueme, son 1er disciple. Les relations entre les deux n’ont pas toujours été simples. Sébastien était un garçon formidablement doué pour la pêche à la mouche. Il est malheureusement décédé il y a quelques années.

De mon côté, ce fut plus facile. Nous habitions à quelques centaines de mètres l’un de l’autre. De plus, mon papa était très ami avec André avant même que je m’intéresse réellement à la pêche. André venait faire réparer ses voitures à la maison. Papa faisait un peu de black le week-end pour arrondir les fins de mois. J’ai même le souvenir qu’au début des émissions « Passion Pêche » sur France3, papa avait décelé une panne de l’AX d’André simplement en regardant l’émission. Le bruit que faisait la voiture l’avait trahie. André avait été bluffé ! D’ailleurs, la célèbre deux chevaux jaune d’André a terminé sa vie chez nous. Elle en a fait des allers-retours à la rivière celle-là. J’ai même fait mes classes au lance-pierres sur les phares et clignotants de la carcasse...

André était très proche de notre famille enfin, surtout de mon père et moi. Plus encore par la suite quand j’ai commencé à aller à la pêche avec lui et que je me suis retrouvé à vivre seul avec papa. Lors des trajets pour aller rejoindre les truites et les ombres, lorsque nous allions hors de nos terres, les discussions ne tournaient pas tout le temps autour de la pêche, loin de là. André connaissait bien entendu ma situation personnelle. Il savait que ce n’était pas la joie à la maison. Il était toujours de bons conseils. Il n’hésitait pas à me dire si telles ou telles choses ne lui plaisaient pas. S’il pensait que j’avais pris une mauvaise décision, il me le faisait savoir sans détour. Un peu comme ce jour où il découvert que j’avais fait un tatouage sur l’épaule droite. J’ai compris assez vite qu’il n’était pas fan du tout !

Et d’un autre côté, avec les années qui sont passées, je devenais aussi un confident. Il me parlait de tout et de rien, de choses plus intimes. Moi, je n’étais qu’un ado, alors j’écoutais attentivement. Je pense que cela le libérait de dire certaines choses qu’il avait sur le cœur. Et puis bien entendu, il me racontait tous ses déboires dans ce monde parfois si complexe qu’est celui de la pêche. Il faut savoir que la jalousie et l’hypocrisie sont des sentiments omniprésents malheureusement. André était de plus un homme sincèrement gentil et généreux. Il avait de grandes qualités humaines. Certains en ont bien profité je dois dire.

Je me souviens d’un petit critérium que nous organisions à Crotenay avec quelques clubs. Une belle réunion de pêcheurs passionnés. On se connaissait tous. L’un d’entre eux a réussi l’exploit de voler les boites de nymphes d’André alors rangées dans son gilet ce jour-là. Il était stupéfait de savoir qu’une telle attitude pouvait exister. D’ailleurs, si cette personne me lit aujourd’hui…Non rien en fait. C’est encore mieux de ne pas se rabaisser à un tel niveau.

Et puis il y a eu l’épisode de l’émission qu’il animait sur France3 et qui a donné envie à bon nombre d’entre vous de devenir pêcheur à la mouche. Quelques amis même proches d'André ne lui ont pas fait de cadeaux. Ce qui lui était reproché, c’était le sponsor de l’émission, EDF. Certes, ce n’était pas forcément sain, je le conçois aussi. Mais au point d’avoir eu à subir de tels comportements et de tels propos ? Oui, parce que de cela il m’a tout dit. Ca lui pesait énormément. J’en garde un souvenir douloureux. Surtout venant de certaines personnes encore bien présentes dans le monde de la pêche actuel. Parce qu’au final, André a donné énormément de plaisir à travers cette émission. Et c’est ce que je lui répétais sans cesse d’ailleurs. Aujourd’hui, quand je croise des personnes qui m’en parlent encore avec tant de passion, je me dis qu’il a marqué son époque et toute une génération à travers ces émissions qu’il a tourné partout en France. Il a essayé de faire plaisir, malgré les critiques, à tous ces amis avec cette émission en venant faire des tournages chez eux, sur leur rivière afin qu'ils en parlent ou qu'ils mettent en lumière le travail réalisé dessus. Mais même comme ça, certains ont profité de la situation en demandant à se faire rémunérer pour être filmé. Des comportements hallucinants. Oui, tout n’était pas rose.

Quand André est décédé, j’allais avoir 22 ans, j’étais en âge de l’écouter sur bien des sujets. Les discussions étaient très différentes qu’au tout début lorsque j’avais 12 ans. Les liens étaient forts et sincères au point de se livrer l’un à l’autre avec des limites de plus en plus intimes. Je sais certainement pas mal de choses que mêmes son épouse et ses deux filles ignorent ;-) .

C’est ainsi qu’au fil du temps, au-delà de mon admiration de l’exceptionnel pêcheur qu’il était, André est devenu un deuxième papa. On a vraiment passé des moments formidables. Il débarquait souvent à l’improviste à la maison en soirée pour nous raconter à mon père et moi sa partie de pêche. Une fois, je me souviens que j’étais seul à la maison. La porte d’entrée était vitrée à l’époque et donnait directement sur la cuisine. J’étais à table, je venais de me faire des œufs au plat. Il est sorti de sa voiture et quand il m’a vu à travers la vitre, il est rentré plein d’énergie comme souvent et avant même de me dire bonjour, il avait piqué un morceau de pain sur la table pour le tremper dans un jaune d’œuf ! « Ca me faisait trop envie ! » C’était André ça ! Une autre fois, je l’ai vu arriver bien moins fringuant qu’à l’habitude. Il est arrivé avec un visage morose. Et puis, comme à son habitude, il a commencé à nous raconter sa partie de pêche. Ce soir-là, André était allé « aux barques ». C’est un lieu dit de la rivière d’Ain que peu de monde doit connaître sous ce nom maintenant. Il nous a décrit une scène. Je l’imagine encore très bien tellement il était précis dans ses dires. Il y avait une tâche de marne à cet endroit au fond de la rivière. Et sur l’amont de cette zone très claire, André avait vu une queue de truite, une grosse caudale, une immense caudale. André, et c’est aussi comme cela qu’il m’a éduqué à la pêche, n’était pas un pêcheur qui traquait les gros poissons, non. Il pêchait, tout simplement. Mais bien sûr, quand une opportunité se présentait au hasard de la pêche, il faisait de son mieux pour capturer le poisson. Ne voyant que la queue de la truite, il posa sa nymphe, une petite vautour, très en amont de la tâche de marne. Tout le reste du corps de la truite lui était invisible. Après une dérive dont il avait le secret, il anima légèrement sa nymphe. Je le vois encore me dire en mimant la scène de ses deux mains : « La queue a disparu en avançant ! J’ai ferré ! Elle était au bout Nicolas !». Son visage était si grave que l’on pouvait déjà deviner l’issue. Le combat avait duré une vingtaine de très longues minutes pour se terminer par un décrochage. Au moment de me l’annoncer, j’ai vu une larme couler sur son visage. Il était déçu pour un poisson comme je ne l’avais jamais vu. « Tu sais, j’aurais préféré la casser dès le début…Mais pas la décrocher. Elle était à moi… ». C’est une truite qu’il estimait à plus de 80 centimètres. Dans les années 80-90, c’est des poissons que l’on pouvait croiser. Il y avait beaucoup moins de truites entre 40 et 55 cm comme aujourd’hui, mais des très très gros, il y en avait oui.

Et c’est pour tout ça qu’il a laissé un immense vide dans ma vie après être parti le 3 avril 1996. Parce qu’il était plus qu’un « mentor » pour moi et que j’imagine avoir été un peu plus qu’un « disciple » pour lui…