Je vous propose aujourd'hui une nouvelle interview. L'homme que je reçois est réellement passionant. Vous l'avez déjà peut-être vu à travers l'écran de votre téléviseur. Quoi qu'il en soit, je vous invite à le découvrir de ce pas. De nombreux sujets sont abordés et les réponses de Bill sont des plus intéressantes. Bonne lecture.

Nicolas : Bonjour Bill. Très heureux de te recevoir sur mon blog. Peux-tu débuter par une petite présentation s’il te plait.

Bill : Bonjour Nicolas.  J’ai 27 ans, dont plus de 20 ans de pêche! Je suis passionné par le monde aquatique. J’ai fait des études de Physique et biophysique à l’ENS, et travaille actuellement sur une thèse en hydrodynamique, sur les bancs de poissons, à Paris. Par ailleurs, mon autre monde est celui des mots ; j’interviens comme orateur humoriste dans des spectacles et conférences, et j’aime beaucoup écrire.

Mon invité !

Nicolas : La passion des poissons que tu as en toi depuis tout gamin (lu dans ton livre) t-a emmené jusqu’à tes études. Incroyable cette fascination sur la durée pour la vie aquatique. Tu l’expliques comment ?

Bill : C’est un mystère, mais je pense que ça vient du côté invisible du monde aquatique. C’est tout un univers parallèle qui nous est en grande partie caché par la surface de l’eau (sauf parfois avec un masque de plongée ou de très bonnes lunettes polarisantes …). Du coup, ce monde apporte chaque fois des découvertes nouvelles !

Ils craignent le froid les gens de la capitale ;-)

Nicolas : On peut être passionné de vie aquatique sans forcément être pêcheur. Ce n’est pas ton cas. Tu es devenu pêcheur assez jeune également ?

Bill : Oui, pour moi c’était naturel. La pêche apporte un lien très fort avec la nature. Quand on pêche, on n’est plus un simple visiteur étranger ; on a une place dans l’écosystème. On interagit avec la nature et donc on prend conscience du lien qui nous y relie. Et c’est un moyen formidable de découvrir, observer et comprendre le milieu aquatique.
J’ai commencé par chercher des petites bêtes dans les rochers au bord de la mer… et la soif de la découverte m’a poussé toujours plus loin. Ensuite, ça a été la canne au coup, puis le brochet… j’ai commencé la mouche en vacances aux USA, c’est un ami américain qui m’a appris. Une des rencontres qui m’ont le plus marqué. Car la pêche, c’est aussi une formidable aventure humaine de convivialité, de partage et de découverte, qui fait se nouer de belles amitiés.

Magnifique truite à la mouche.

Nicolas : Est-ce que tes connaissances scientifiques peuvent t’aiguiller sur tes décisions durant la pêche pour être plus efficace par exemple ? 

Bill : La science est utile pour pêcher, bien sûr. Bien connaître la biologie du poisson (ce qui peut se faire par la science comme par la simple observation) est très important.
Ou dans des domaines inattendus… par exemple la mécanique nous apprend beaucoup sur le réglage du frein dans les combats. La violence des touches peut augmenter considérablement l’effet du frein, à cause de l’inertie d’accélération. Si on règle son frein au peson il faut donc le faire en tirant brusquement, sinon on le sous-estime. Aussi, plus un moulinet se vide plus l’effet du frein augmente. Un moulinet à moitié vidé double la force du frein. A méditer pendant les combats …

Superbe bec en plein Paris !

Nicolas : J’ai cru comprendre que tu pratiquais toutes sortes de lieux en variant les techniques. C’est important pour toi de te diversifier ?

Bill : La diversité des espèces est une des choses que j’adore à la pêche. Pouvoir vivre des sensations aussi différentes qu’une touche d’ombre à la nymphe, un départ de thon au broumé, une chasse de perches en pleine ville ou des gobages de fario en haute montagne. Le fait de pouvoir explorer autant de biotopes et paysages différents, de créatures variées…  Cela ajoute à l’émerveillement face au spectacle de la nature, et aide à devenir un meilleur pêcheur. Mais je comprends aussi les gens qui se spécialisent dans une pêche précisément ; c’est une façon de vivre sa passion et une philosophie que j’admire.

Magnifique brochet.

Nicolas : On a tous des préférences. Alors dis-moi, eau salée ou eau douce ? Merci d’argumenter ta réponse, je suis curieux de connaitre tes raisons.

Bill : Ah non c’est trop dur comme question ! La mer, c’est la liberté et la grandeur ; l’eau douce, c’est le calme et la poésie. Comment choisir entre les deux ?  Il y a plus de variété de types de pêches en mer, et les poissons sont plus combatifs ; en eau douce on se sent plus absorbé par le milieu aquatique, et celui-ci semble plus familier. Bref, j’adore les deux.

Complètement absorbé.

Nicolas : Une technique préférée ? Un poisson que tu aimes rechercher plus qu’un autre ?

Bill : Je les aime tous, mais si je ne dois choisir qu’une pêche… ce serait, en eau douce, la pêche à la mouche des salmonidés (truite et surtout ombre), qui pour moi a beaucoup de pureté et de poésie. Et en mer, la pêche « au gros » des grands poissons pélagiques au large, surtout le thon, et le marlin au switch bait… j’adore le grand large, qui procure une sensation de liberté immense et apporte toujours son lot de découvertes (mammifères marins, tortues etc). On y fait à chaque fois des observations incroyables.
On a de la chance car en France, nous avons de merveilleuses rivières très variées pour la pêche à la mouche, et de beaux passages de thons pour la pêche au large.

En eau salée.

Nicolas : Pour tes études, tu es basé dans la capitale. Il y a un phénomène anti-pêche qui prend de plus en plus d’ampleur à Paris. Comment juges-tu leur influence sur le reste de la population ? Sont-ils dangereux pour toi à moyen ou long terme ?

Bill : C’est un phénomène marginal, monté par une association végan d’une centaine d’adhérents extrémistes, qui veulent aussi interdire les zoos, la dératisation (en donnant aux rats des contraceptifs !).  Mais ils sont soutenus par des lobbys puissants et médiatisés, et font beaucoup de désinformation. Du coup ils ont une mauvaise influence sur l’image de notre loisir. Mais quand je pêche à Paris je peux vous dire que l’immense majorité des passants sont positifs avec les pêcheurs, et très intrigués et curieux de découvrir ce loisir.

Originale comme photo !



Ce qui m’inquiète c’est la façon dont ces théories « antispécistes » sont amalgamées avec l’écologie. Alors que ça n’a rien à voir ! Les antispécistes ne défendent pas les milieux naturels, les espèces ni les écosystèmes. Par exemple, ils veulent interdire le nokill, car l’idée de risquer de stresser un poisson pour le loisir les choque. Tandis qu’ils ne disent rien contre les pompages sauvages, les barrages, la pollution, la surpêche commerciale ... qui sont eux de vrais problèmes écologiques (et qui font faire souffrir bien plus de poissons... mais bon, les anti pêche ne sont ni écologiques, ni même logiques !).

Évidemment, le gouvernement et les décideurs profitent de cette confusion. Ils font passer pour écologistes des mesures qui sont en fait animalistes, pour se donner une image écolo qui masque leur inaction face aux vrais problèmes écologiques (pollution, pesticides, surpêche, climat...).

C’est tout notre rapport à la nature qui est menacé par les idées végan extrémistes. Pour eux, la nature devrait être une sorte de sanctuaire intouchable dont l’homme serait exclu. C’est utopique et dangereux. Dans un pays comme la France, de multiples écosystèmes ont besoin de l’activité humaine. Et comment des citoyens pourront-ils protéger la faune sauvage si celle-ci est un ailleurs inaccessible, qu’on voit seulement à la télé ? Les sentinelles de la nature sont avant tout ceux qui la vivent.

Nicolas : Quelle réponse le monde de la pêche doit apporter à ces gens ? Doit-on d’ailleurs leur répondre ?

Bill : On ne doit pas trop réagir aux provocations de ces gens; c’est déjà trop donner de place à leur mouvement.

Par contre, il est fondamental que le monde de la pêche fasse mieux connaître son rôle écologique auprès du grand public. Aujourd’hui les associations de pêche sont les seuls responsables de la protection du milieu aquatique, que les pêcheurs financent et assurent eux mêmes directement. Il faudrait que cela soit mieux connu du grand public.

Si le sujet vous préoccupe, avec Numa Marengo, on a organisé sur la chaîne YT Numa Fishing une grande réflexion avec des philosophes, des sociologues, des scientifiques, pour établir quelle est la meilleure réponse et notre positionnement éthique par rapport à l’animalisme.

Superbe poisson.

Nicolas : Plus globalement et dans les grandes lignes, quel  est ton sentiment sur la gestion de la pêche en France, sur ce que fait (ou ne fait pas) notre Fédération Nationale ?

Bill : Le système de gestion de la pêche en France est assez bancal. L’état s’est démis de ses responsabilités de gestion du domaine public aquatique, en laissant les associations de pêcheurs faire tout le travail, gratuitement. C’est un peu comme si l’entretien des routes du pays était confié aux associations de cyclistes.

En parallèle, le code de l’environnement est rempli de lois archaïques, dont certaines datent de l’ancien régime et n’ont jamais évolué ! Beaucoup des mailles en vigueur aujourd’hui datent du roi Charles X, et certaines lois sur la pêche des migrateurs aux engins datent de Colbert ! On devrait pouvoir changer plus facilement des lois qui n’ont plus aucun sens aujourd’hui, comme l’interdiction de la pêche de nuit.

Ce genre d’absurdités existe aussi en mer, où des poissons comme la sériole, les marlins, ou les coryphènes n’ont pas de maille car ils n’étaient pas connus des bureaucrates du 19eme siècle… et rien n’a changé depuis !

Je suis donc émerveillé par la passion et le travail bénévole incroyable de nombreuses AAPPMA qui, malgré toutes les difficultés du système, gèrent brillamment leurs parcours.

Pour ce qui est de la fédération, je suis, disons... plus mitigé. Il faut reconnaître que leur tâche n’est pas facile : ils doivent concilier toutes les différences de culture, de générations ou de mentalités entre les pêcheurs... et se financer en vendant des cartes. Certaines de leurs politiques vont dans le bon sens : mettre l’accent sur le tourisme pêche, sur le lien entre les générations, sur les femmes et les jeunes à la pêche, sur le rôle écologique engagé des pêcheurs...

Mais ils ont encore trop de prises de position lamentables et passéistes. Par exemple, leur proposition de retarder la fermeture de la truite pour compenser le confinement et « amortir le permis » est d’une bêtise inqualifiable.

Leur communication « grand public » reflète bien la vision de la pêche de la Fédé... ils présentent la pêche comme un loisir populaire un peu « beauf », pour se détendre sur une chaise pliante avec une bière en attendant que la truite de bassine fasse couler le bouchon. Ils tentent de faire du populisme pour vendre des cartes. A mon avis c’est une grave erreur, car ils s’aliènent ainsi les pêcheurs les plus passionnés, modernes et influents, toute la nouvelle génération, qui ne se sent pas du tout représentée par cette vision de la pêche. Ce sont pourtant ces pêcheurs passionnés qui sont nos meilleurs ambassadeurs.

A chacun de faire le maximum pour faire bouger cette fédération dans le bon sens !

Du lourd.

Nicolas : Es-tu impliqué dans une structure pêche ? Penses-tu que c’est indissociable avec le fait d’être pêcheur ?

Bill : Ce qui est indissociable avec le fait d’être pêcheur, c’est pour moi l’engagement pour la protection du milieu aquatique. Cela peut se faire via des AAPPMA traditionnelles, mais aussi des associations locales ou internationales, comme la Team River Clean, L’ADRM, l’IGFA, Trout Unlimited, etc.
Je suis impliqué dans diverses structures, qui vont du CA de l’Union des pêcheurs de Paris aux programmes de marquage des thons de la Fédération de pêche de Monaco.

Quand on pêche en eau douce, s’engager dans son AAPPMA est à mon avis important. Si on n’essaye pas de changer le système, il n’est pas légitime de s’en plaindre. La bataille se joue avant tout sur le terrain. Cependant, s’investir dans une AAPPMA exige souvent des horaires incompatibles avec une activité professionnelle… et beaucoup d’AAPPMA sont par conséquent la chasse gardée de retraités qui ont du temps. C’est regrettable, car cela crée parfois un conflit de générations. Il est important de faciliter l’engagement dans les AAPPMA pour les jeunes actifs.

Ombre à la mouche.

Nicolas : Passionné par les poissons, par la pêche, mais aussi par les mots. Tu as remporté sur France2 le grand oral, un concours TV d’éloquence. Cette passion des mots t’es venue de quelle façon ?

Bill : C’est comme la pêche, ça me passionne depuis très longtemps. Je trouve que les mots sont un moyen génial de transmettre des émotions, des idées, par le rire et le divertissement. Et c’est aussi un matériau artistique, comme la peinture, la musique ou la photo. Grâce à des mots, on peut fixer la beauté de la nature et la partager avec d’autres. C’est une manière de célébrer la vie ! On ressent tous cette joie du partage lorsqu’on raconte nos histoires de pêche.

Cherchez France2, le grand oral, Bill François, vous trouverez sa prestation.

Nicolas : Quand on aime les mots, on aime écrire. Ton livre dont j’ai déjà fait le retour ici-même est un régal. As-tu d’autres projets du même genre ou bien dans un domaine assez proche ?

Bill : Oui, beaucoup de projets ! Un deuxième livre bien sûr, mais  aussi dans le domaine des documentaires, et  un spectacle humoristique sur scène quand les théâtres rouvriront dans de bonnes conditions !
Je suis aussi en pleine adaptation de mon livre dans plusieurs langues, et j’aimerais en créer aussi une version illustrée, adaptée pour les enfants.

J'ai adoré !

Nicolas : Revenons à la pêche. Je suppose que tu suis ici et là les actualités parfois bien moroses de certains cours d’eau. Comment vois-tu l’évolution de la pêche de loisir en eau douce dans notre pays ?

Bill : Les problèmes de sécheresse et d’eutrophisation sont dramatiques, sans parler des pollutions…
C’est une tendance générale de perte de la biodiversité qui est catastrophique.
Pour la pêche de loisir, je vois des évolutions qui me rendent plus optimiste. Le no-kill s’est généralisé. Beaucoup d’activités de guidage se développent sur des pêches nouvelles et spectaculaires ! Thons au lancer ou à la mouche, migrateurs, truites sauvages deviennent de plus en plus accessibles et font de notre pays une vraie destination halieutique. La pêche à la mouche se démocratise avec des poissons comme la carpe ou le chevesne qui sont un premier pas vers l’ombre ou la truite.  Beaucoup d’enfants se mettent à la pêche, en particulier dans les villes, où le streetfishing fait émerger une génération nouvelle. C’est frais et positif.
J’espère que cette évolution rendra les pêcheurs encore plus engagés pour protéger la ressource halieutique et les milieux aquatiques.

Bill touche vraiment à tout.

Nicolas : Es-tu déjà venu voir nos zébrées ? Si oui, qu’en as-tu pensé ?

Bill : J’ai eu la chance de découvrir les zébrées avec l’ami Nikola Mandic, sur l’Albarine et la Valserine. C’était un moment génial. Il m’a fait découvrir des parcours splendides et admirablement bien gérés. Les rivières de votre région sont un trésor, largement dignes des plus célèbres rivières du monde entier.
Je n’imaginais pas voir de telles densités de truites sauvages, sur des parcours aussi beaux, ailleurs que dans un rêve. Je n’imaginais pas non plus qu’elles seraient si difficiles ! J’ai appris beaucoup de choses en loupant beaucoup de poissons…  Même les ombres « bleus » sont extrêmement éduqués là-bas. Rien à voir avec mes habituels poissons de Normandie, ou de Haute Seine, qui sont pourtant déjà très méfiants. J’ai hâte d’avoir ma revanche sur ces truites fabuleuses et insaisissables.
J’ai aussi rencontré des zébrées un peu différentes, de souche niçoise, sur la Gordolasque, que m’a fait découvrir l’ami Alex Meyer, de Catch my fly. Des poissons d’altitude de toute beauté !

Une ambiance qui me parle.

Nicolas : Voyageur ? Tu es prêt à aller loin pour pêcher ? A faire des sacrifices pour découvrir d’autres contrées ?

Bill : Ah oui, dès que j’en ai l’occasion, je pars découvrir de nouveaux poissons. Que ce soit dans nos régions de France, ou à l’étranger. J’adore le Maroc, où la pêche du marlin blanc en switch and bait, à vue, est extraordinaire. Pour la truite, j’ai eu l’occasion de pêcher dans le Wyoming et le Montana, régions exceptionnelles. J’aimerais beaucoup découvrir les gros ombres des Balkans et de Scandinavie. Il y a tellement de voyages dont je  rêve…
Mais ce n’est pas nécessaire de partir loin pour faire des pêches exotiques. A quelques heures de train, on peut être tout complètement dépaysé par les chasses de thon du Delta du Rhône, ou les fario de torrent des Alpes !

Outch !

Nicolas : Merci d’avoir répondu à mes questions Bill. Au plaisir de te croiser au bord de l’eau. Beaucoup de bonheur pour la suite.

Bill : Merci à toi Nicolas, et bravo pour tout ce que tu fais pour la pêche à la mouche et pour nos rivières. J’espère qu’on se croisera bientôt au bord de l’eau !