Les années passent, mais les bons postes à truites sauvages ne semblent pas vouloir changer. Il est amusant de se souvenir où l’on prend le plus de truites selon les différentes périodes de la saison de pêche. J’aime beaucoup faire ce travail de recherche et j’ai même parfois des regrets de ne pas avoir pris plus de notes écrites pour confirmer à coup sur tout cela.

Un peu comme pour le grand gibier, il y a « des passages » qui restent réguliers quoi qu’il arrive pour les truites sauvages. Pourtant, d’une saison sur l’autre, ou même plus encore d’une décennie à l’autre, les poissons ne sont pas les mêmes. Peu importe, ils passeront toujours  précisément sur ce banc de sable ou devant cette arrivée de bief. C’est inéluctable.

Chaque année, j’en rigole. Je me mets sur la berge, en attente bien calé contre un frêne ou une verne (aulne) et je me dis : normalement, ça va arriver de là pour venir ici. Bingo, ça marche à chaque fois. Bien entendu, tout est remis en cause une fois le poisson pêché, qu’il soit pris ou pas d’ailleurs. Le simple fait de lui faire peur et il est tout à fait possible ne plus le voir de la saison à ce même endroit. Le « bon passage » d’années en années sur un poste est souvent lié à l’époque, printemps, été et aussi à l’horaire, matin, midi, soir…

Il y a quelques jours, je suis allé faire un bout de berge en pensant aux saisons précédentes. J’ai remarqué depuis de nombreuses années que sur ce linéaire qui doit faire tout juste 150 mètres, les truites sortent à l’eau basse en avril et en début de soirée, jamais plus tôt dans la journée. C’est comme cela tous les ans, et je ne l’ai pas remarqué ailleurs. J’ai fait cette berge à tous les horaires, à toutes les époques, comme de nombreuses autres. Ici, la plus grande activité, c’est fin avril si les eaux sont basses et uniquement en début de soirée. Ne me demandez pas pourquoi, je n’en sais rien du tout. Ce que je sais, c’est que cette année, c’est de nouveau comme ça.

C’est là qu’on se dit que la maîtrise de la technique de pêche est une chose, mais que la parfaite connaissance du milieu, de son fonctionnement et du comportement des truites est tout aussi important voir plus. Dans ce cas là, c’est largement plus tant les truites sont "faciles" à prendre pendant quelques jours. Elles sortent pour manger et elles ne font pas semblant. Elles sont très actives.

Bien entendu, elles gardent une méfiance naturelle, mais la différence est assez flagrante. Il y a de plus des signes qui ne trompent pas. Je vois durant cette période assez courte (pas la peine de me pister, c’est terminé ;-) ) toutes les classes d’âge sur ce même linéaire. Aucune truite ne s’occupe de celle d’à côté. Elles ne pensent qu’à une chose, manger le plus possible. L’activité stoppe en général brutalement une petite heure avant la nuit noire. Il ne faut donc pas louper le créneau.

Le reste de l’année, il m’arrive de voir des poissons sur ce linéaire, mais cela n’a rien à voir avec la densité de ces quelques jours d’avril et surtout avec la folle activité qui y règne.

Ce soir-là, je venais de voir deux très beaux poissons que j’ai merdouillé par maladresse. Dont une manquée au ferrage ce qui m’arrive de plus en plus malheureusement. C’était mon gros point fort, j’avais quasiment aucun déchet. Les années font que je régresse, va falloir que je m’y habitue !

Sur le poste suivant, un endroit où j’ai déjà tenté des dizaines de truites par le passé, je me suis fondu dans la ripisylve, accroupi et j’ai patienté en prenant le temps d'observer autour de moi. J’ai fixé mon regard sur l’amont, car par expérience, les truites viennent sur ce banc de sable ramasser ce qui s’y trouve uniquement en descendant la rivière. Encore une fois, je ne sais pas exactement pourquoi, mais le circuit des poissons qui passent ici est ainsi fait depuis que je le connais, et ça fait une paire d’années.

Quand la truite du jour est apparue dans mon champ de vision, j’ai rigolé tout seul. J’avais envie de lui dire : On ne se connait pas, mais qu’est ce que tu es prévisible. J’ai même poussé le vice à lui laisser faire deux fois son circuit sans l’embêter. C’est hallucinant de voir à quel point ces poissons de générations en générations font la même chose aux mêmes endroits à la même époque aux mêmes horaires. Alors ce n’est pas forcément tout le temps vrai, mais très souvent d’après mes observations.

A la troisième apparition de la truite, je lui ai poliment proposé d’engamer mon gammare JFD en 14. Elle m’a rendu la politesse en faisant un écart qui ne laissait aucune place aux doutes. Après un ferrage énergique, nous étions liés tous les deux par quelques brins de nylon et un hameçon habillé de plume et de plomb.

Ho certes, ce n’est pas un grand coup de ligne, non, une simple arbalète depuis la berge. Mais le fait d’avoir deviné à l’avance ce qui allait se passer sans même avoir vu le poisson suffisait à mon bonheur. Et j’ai encore ce besoin de conclure ce genre d’action par la prise de la truite. Je n’oublie pas que je suis pêcheur, jamais !

Une truite bien claire, comme souvent sur ce poste, avec une pigmentation bien dense et sans zébrure. Elle m’a fait un combat violent ce qui indique qu’elle est en pleine forme. Une bonne nouvelle !

Elle est repartie après deux photos souvenir. Je pense que je ne la reverrais pas ici celle-là. C’est vraiment une zone où les poissons viennent se nourrir et une fois « emmerdées » par un pêcheur, ces truites quittent les lieux. Du moins jusqu’au mois d’avril de l’année suivante où de nouveau, je leur donnerais rendez-vous. C’est certain !