Si vous avez manqué les précédents « épisodes » : Histoire n°1 et Histoire n°2

 

Mes premières parties de pêche avec André Terrier furent à chaque fois un véritable feu d’artifice. J’ai pris très vite conscience de la chance que j’avais de pouvoir le côtoyer ainsi pour apprendre à ses côtés. Je voyais à quel point les autres pêcheurs tentaient parfois par tous les moyens de s’accaparer cet homme quelques heures voire quelques minutes uniquement pour profiter de ses connaissances. C’était assez flagrant. Et moi, de mon côté, je n’avais rien à faire. Au contraire, étant un jeune adolescent, c’est lui qui venait à la maison pour ensuite m’emmener à la pêche. Je profitais aussi très souvent de sa présence lorsqu’il venait voir mon père avec qui il était ami. Mon papa était un surdoué de la mécanique automobile. André, comme bon nombre de personnes du village et des alentours, venait faire réparer sa voiture à la maison.

Pour revenir à mes premières parties de pêche en compagnie d’André, j’ai rapidement basculé de la mouche sèche à la technique dite de « la ratafouillette ». Bien qu’André insistait pour que je me focalise sur la pêche en sèche afin de parfaire ma technique, le fait de le voir faire poisson sur poisson à mes côtés en ratafouillant toutes les veines de courant qui se présentaient à nous m’avait donné l’irrésistible envie d’en savoir plus. Il faut dire que ça avait l’air si facile en le regardant. 

Nos parcours favoris étaient l’Angillon « aux îles », la Saine en aval de la confluence avec la Lemme et bien sûr, l’amont de Bourg de Sirod sous la réserve qui n'a pas bougé encore aujourd'hui. J’en ai passé des après-midi à le regarder monter en ratafouillant les courants du Bourg. Les truites n’en n’ont pas forcément de bons souvenirs elles. Et souvent, en arrivant tout en haut, dans la dernière belle coulée rive droite juste en aval de la passerelle, un bel ombre venait happer son ATT en plein courant.

André avait sa technique bien à lui où il utilisait ses propres nymphes créées à la fin des années 70, début des années 80. Il faut bien tout remettre dans le contexte surtout vis-à-vis de l’époque. André avait une maîtrise très pointue de cette pêche sous la canne. Il pêchait ¾ amont voir plein amont. Seul le bas de ligne était en action de pêche. Il pouvait arriver qu’un petit bout de soie dépasse de l’anneau de pointe, mais rarement. Il utilisait très souvent un petit brin de laine noué au-dessus du nœud de la pointe en guise d’indicateur. L’utilisation des fils de couleurs vives et autres pâtes de la même sorte n’étaient pas ou peu utilisés.

Pour les nymphes, c’est très simple, son cœur balançait entre l’alezane et la golden verte. Seule une belle éclosion d’echdyos pouvait lui faire mettre son ATT rose (la n°7 de la série ATT commercialisée à l’époque par les Mouches Devaux). Mais sinon, c’était tout le temps les deux premières citées qui sont les numéros deux et trois de la fameuse série. 

Et donc, à force de quémander, André a bien voulu m’apprendre la ratafouillette. Je ne pouvais avoir meilleur professeur. A cette époque, dans notre pays, il était considéré comme le maître en la matière. J’ai fait mes classes principalement sur l’Angillon, rivière où je pouvais aller seul en vélo ou en mobylette à 14 ans. Je laissais mon vélo à l’ancienne piscine pour pêcher uniquement les courants jusqu’à Ardon ! Pour le plaisir, je pêchais les gobages qui étaient très nombreux à cette époque en redescendant avec un montage avancé. Cette rivière m’a donné un grand nombre de truites. Quand je vois son état aujourd’hui…

L’Ain me faisait peur avec ma canne à mouche, seul le parcours plus intimiste du Bourg de Sirod me rassurait. Mais là, je devais attendre le samedi qu’André m’accepte avec lui. Ils nous arrivaient aussi de faire le petit bout de l’Ain en amont de la confluence avec la Saine, mais uniquement après l’ouverture de l’ombre. Oui, dans les années 80, on ne pouvait pas pêcher à la mouche avant l’ouverture de l’ombre, seule la Saine, la Lemme et l’Angillon pouvait nous offrir cette possibilité. C’est pourquoi j’ai passé mon adolescence sur les rives de cette dernière.

J’ai assez vite compris les bases de cette pêche sous l’eau, j’avais tellement observé André avant de tenter cette nouvelle technique. Le plus long finalement a été de comprendre où faire passer la nymphe, où étaient les meilleures coulées et comment bien faire passer la nymphe à ces endroits précis selon la vitesse du courant, la profondeur. André me reprenait souvent. Il lui arrivait de refaire un courant derrière moi, de sortir 6-7 truites…Cela remettait de suite en place. Il me disait régulièrement, pêche l’endroit le plus lent du secteur rapide, le plus profond, celui où tu détectes un changement de rythme, un profil différent…

Le poser de la nymphe était primordial. C’est ce premier geste qui conditionnait la suite. On fabricait nos imitations sans bille, le tungstène n’était pas encore présent dans les rayons pêche. Le plombage de base était une rangée et demie de fil de plomb en 6 dixièmes. Il fallait faire ce geste très sec pour faire pénétrer la nymphe au plus vite afin qu’elle soit pêchante dès les premiers centimètres de dérive. Il nous arrivait parfois de pincer en plus une petite grenaille devant l’œillet d’une alezane pour lui faire gratter le fond que l’on n’arrivait pas à atteindre avec la densité de nos nymphes. Il fallait surtout éviter la rencontre avec le bout du scion lors des faux lancers dans ces cas là, un peu comme aujourd’hui avec les billes. C’était une pêche rapide, vive et rythmée, cela me plaisait beaucoup. De plus, avec le temps qui passait, je commençais à faire de très jolies pêches en étant encore très très loin du niveau d’André…A suivre.

Adolescent sous le regard d'André. Ratafouillage d'un courant en aval de Champagnole sous Taravant.

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