Si vous avez manqué le précédent « épisode » : Histoire n°1


Je n’ai eu aucun mal à me lever ce samedi matin là. D’habitude, et comme tous les samedis, c’était pour aller prendre le bus afin de se rendre au collège. Non, cette fois-ci, je me suis levé avec une envie furieuse de fouetter ! André m’avait dit qu’il passerait me prendre en tout début d’après-midi, je devais donc, durant les quelques heures qui étaient devant moi, tenter de comprendre ce geste si particulier du moucheur. André m’avait vraiment montré le minimum durant une dizaine de minutes la veille, rien de plus.

En premier lieu, il fallait monter la Kunan pour qu’elle soit opérationnelle. Avec une maladresse évidente, j’ai réussi à passer mon le fil de mon bas de ligne dans tous les anneaux après pas mal d’essais. Aux premières tentatives, tout retombait avant que je n’ai atteint l’anneau de pointe. Je me souviens avoir sorti quelques mètres de soie à la main. Bien entendu, ces premiers essais furent une catastrophe. Mais du haut de mes douze ans, je ne m’en rendais pas forcément compte. J’étais heureux, je faisais voler bon gré mal gré de la soie dans les airs et André Terrier allait bientôt arriver à la maison. Je n’ai que très peu de souvenirs de ce matin là mise à part ces quelques détails, cela reste assez flou dans ma tête. Ce dont je me souviens très bien, c’est cette excitation qui était liée à l’attente d’André. Je ne connaissais presque rien de lui si ce n'est quelques paroles de mon père, j’étais à mille lieux d’imaginer l'homme qu'il était, le pêcheur qu’il était devenu. Néanmoins, durant notre brève rencontre de la veille, j’avais déjà pu déceler un peu le personnage. C’est difficile à exprimer, à expliquer, mais André avait cette faculté à vous mettre à l’aise de suite. Je n’avais déjà qu’une seule envie, passer du temps avec lui, être à ses côtés. Que cela soit au bord de l'eau ou ailleurs. Bien sur qu’il avait aussi cette vision de la partie de pêche que l'on devait faire ensemble, mais depuis le tout début, au-delà de la pêche, c’est être en compagnie d’André qui me plaisait. Il a eu autant d’importance en tant qu’homme au quotidien pour moi durant toutes ces années.
André arriva à la maison dans son Alfa Roméo Break grise. Je ne suis jamais monté dans sa deux-chevaux mythique jaune ! Il allait à la pêche avec uniquement sur les parcours du village, dès que le trajet était un peu plus long, il prenait la voiture familliale. Pour la petite histoire et pour ceux qui ont connue la deux-chevaux jaune, elle a terminé ses jours chez nous. André l'avait donné à mon père. Je me souviens encore essayer mes lances-pierre fabrication maison dessus (clignotants et phares) ! 

Nous sommes donc partis en direction de l'Angillon. C'est un petit affluent de l'Ain qui passe sous le pont de l'ancienne piscine entre Crotenay et Champagnole. André pêchait énormément cette rivière. A l'époque, elle était peuplée de nombreuses truites. Elle avait aussi pour spécificité d'être beaucoup plus précoce que la rivière d'Ain en terme d'activité. En effet, c'est une rivière de plaine avec des températures un peu plus élevées que les autres rivières des alentours. En clair, il y avait des gobages tous les après-midi dès le mois de Mars. Pour un débutant comme moi, c'était le terrain de jeu idéal. Arrivé sur le parking de l'ancienne piscine, André me rafistola une pointe au bas de ligne (que j'avais mis à mal le matin) et me noua au bout une olive type araignée en montage avancé. A l'époque, on utilisait beaucoup ces montages du cru. André les montait avec deux colerettes de coq de couleurs différentes. Je ne me souviens plus de la météo ce jour là, ni même du niveau de la rivière, c'est complétement absent de ma mémoire. Par contre, je me souviens très bien de la suite. Nous sommes montés directement dans les prés plus en amont que la "piscine". Au premier petit "plat", nous avons stoppé. André était sûr de son fait. Effectivement, après très peu d'attente, le premier gobage a trahi la présence d'une truite. C'est encore une fois un peu vague dans mon esprit, mais je me souviens que ce poisson, je ne l'ai pas attaqué seul. André est passé derrière moi et nous avons tenu la Kunan à deux. La poignée était dans ma main, mais ma main était dans celle d'André. Je me suis laissé guider tout en écoutant les consignes. La soie volait si bien, tellement mieux que le matin lorsque j'étais seul. Puis André me força à stopper mon geste en bloquant mon poignet de façon à faire plaquer la soie sur la surface de l'eau. La mouche se posera dans l'alignement du bas de ligne, j'avais cette impression de bien pêcher, j'en oubliais la main directive d'André. La mouche dériva parfaitement avec une flottaison haute due à son montage avancé. Les truites de l'Angillon, je l'apprendrais avec le temps, étaient très sympathiques. Celle-ci ne dérogea pas à la règle. La mouche arriva au bon endroit lorsqu'elle disparue dans un remou provoqué par la truite. J'ai eu le réflexe de ferrer, tout comme André qui me tenait toujours la main. Je peux vous dire que cette truite n'avait aucune chance d'éviter le fer. La voilà s'écrilla André avec joie ! Comme j'étais heureux, comme André était également heureux...Ma première truite à la mouche, c'était elle, prise le long de ce bouquet de saules sur l'Angillon avec une olive, entre les mains du maître. Ho, bien sûr, ce n'était pas un monstre, même tout le contraire, mais qu'importe, c'était la première. La densité était-elle il y a 30 ans sur ce cours d'eau que j'ai pris encore quelques truites par la suite cette même après-midi. J'en ai même pris sans l'aide d'André, en fouettant toujours très maladroitement. Les mouches étaient très présentes, mon faible niveau de débutant de quelques heures suffisait pour tromper quelques poissons...Que les temps ont changé.

Et puis j'ai fini par arrêter de pêcher. Je ne voulais manquer aucune miette du spectacle qui m'était offert où j'étais le seul et unique spectateur privilégié. André Terrier pêchait devant moi sans fouetter, je ne voyais pas sa mouche. Il jettait régulièrement avec un mouvement sec et autoritaire son bas de ligne directement sous la canne sans presque sortir de soie. De temps en temps, je pouvais voir un ploc au poser. Et très souvent, je le voyais ferrer et prendre des truites...En voilà une disait-il ! Je venais de découvrir la ratafouillette...Mais ceci est une autre hsitoire.