La nymphe à vue est un mode de pêche bien à part. Être dans l’obligation de voir le poisson pour tenter de le prendre vous amène parfois à dériver un peu de votre objectif premier. Avec les années qui passent, je deviens de plus en plus un contemplatif. J’ai cette impression permanente qu’il me reste tant de choses à apprendre. La truite sauvage est un poisson qui me fascine pour bien des raisons. J’ai, malgré 31 ans de pratique, tellement de questions sans réponses sur son comportement, ses habitudes...C’est pour cela qu’il est bon parfois de ne pas être un acharné du résultat, de la performance et qu’il faut savoir se fondre dans le milieu pour observer, comprendre et apprendre.

C’est ainsi que je me suis retrouvé un après-midi par temps assez couvert au bord de l’eau. Alors que je progressais tranquillement le long de la berge bien au sec, j’ai fait fuir un très joli poisson par maladresse. Une réelle gaffe car c’est un poisson que je connais depuis l’ouverture pour l’avoir déjà tenté au moins 4 fois pour autant d’échecs. Mais, comme parfois, je devais être dans mes pensées de pêcheur heureux d’être là sans être concentré sur les truites elles-mêmes. Oui, je ne cours plus après les truites comme j’ai pu le faire par le passé. J’apprécie avant tout le moment présent à sa juste valeur en profitant de ce qui m'entoure. Quoi qu’il en soit, la truite était partie ! J’ai donc continué ma progression en remontant la rivière. Les hirondelles se faisaient de plus en plus présentes. Je dois dire que j’en ai vu un gros paquet ce jour-là. Bien plus que l’an passé au même endroit. Elles n’étaient pas là pour rien, l’éclosion débutait. Des mouches volaient ici où là, la plupart étaient des grises à corps jaune comme on dit chez nous.

J’ai eu l’idée de monter voir une berge beaucoup plus en amont d’où j’étais. Je voulais observer le comportement de certaines truites que je connaissais lors du démarrage de l’éclosion. Après dix minutes de marche rapide (oui, ça m’arrive encore d’aller vite !), je suis arrivé sur ma berge. C’est en fait un petit linéaire où la rivière vient lécher une bordure de saules. Le courant principal se fait plus sur le milieu, mais à cet endroit, il y a des plaques où les truites viennent régulièrement depuis que je me promène sur cette rivière. Je n’avais pas l’intention de pêcher, juste d’observer. Je le fais très souvent l’automne mais moins en saison. Et pourtant, c’est très instructif. D’autant plus que les truites n’ont pas tout à fait le même comportement durant la période de non pêche que maintenant.

Quoi qu’il en soit, je me suis planqué dans un bouquet de saules en me disant que si j’étais une truite, je viendrais par là pour m’engloutir quelques éphémères bien dodues. Immobile, la canne hors de portée, j’étais en entente d’action pendant que les hirondelles, elles, ne faisaient pas semblant ! Les mouches dérivaient de plus. Après quinze minutes d’attente, une première truite arriva sur zone. Un poisson d’environ 45cm. Tranquille la truite. Elle s’est posée deux mètres en amont de moi et à environ la même distance de la berge. Les mouches lui passaient au-dessus de la tête. Cela la laissait indifférente. Moi qui pensais qu’elle était venue là pour casser la croûte. Cinq minutes plus tard, un autre poisson, plus petit, environ 30-32 cm. Lui, il s’est mis pile devant moi à 50 centimètres de la berge, autant dire que je le voyais plutôt super bien. Très nerveuse cette truite. Elle ne tenait pas en place, toujours à regarder à gauche, à droite…Est-ce-qu’elle me voyait ? Aucune idée. En tous les cas, elle est restée là, tout près de moi.

Ce qui est certain, c’est que cette truite plus modeste était venue là à cause de l’éclosion en cours. Ce qui allait se passer m’a juste laissé de marbre. Après quelques minutes à gesticuler dans tous les sens, elle s’est stabilisée. Puis, elle est venue à la surface pour enfin s’intéresser aux mouches qui dérivaient très nombreuses et en rangs serrés. Mais pas pour gober, non ! Pour inspecter ! Oui, je pense qu’elle est venue « mater » les 20 ou 30 premières mouches en venant jute sous la surface, à presque les toucher mais sans les prendre. Elle ne faisait que regarder. Incroyable. Et puis, après cette première salve d’inspection, elle a commencé à les gober. Une à une et de plus en plus intensément. A croire qu’il fallait qu’elle se rassure avant de manger. Je n’avais jamais vu un tel comportement. L’autre poisson pendant ce temps lui n’a pas bougé une écaille. Des centaines de mouches lui sont passées au-dessus de la tête, rien. Pas un signe d’intérêt.

J’ai regardé mes deux compagnes durant 1h30. J’étais bien, je prenais du plaisir. Et puis, j’ai éternué de façon disons démonstrative ! Les deux sont parties de suite ! Il était temps pour moi de reprendre ma pêche après ce petit intermède.

Ben du coup, l’heure avait bien tourné. Je suis donc allé direct l’endroit où j’avais fait fuir le premier poisson vu en début de partie de pêche. J’avais mon idée en tête car, comme je vous l'ai déjà dit, c’est un poisson que j’avais déjà tenté plusieurs fois sans succès. Arrivé sur zone, je me suis mis à plat ventre et j’ai progressé ainsi. Dès que j’ai passé la tête de la berge haute, j’ai vu ma truite. Un superbe poisson de plus de 55cm. Il était de nouveau là, tout près de moi, serein. J’avais toujours mon fidèle gammare JFD-14 au bout de ma pointe. Bien conscient que j’avais déjà essuyé de nombreux refus avec cette bestiole, j’ai malgré tout retenté ma chance. Et là, un truc juste inimaginable. Elle est venue à la rencontre de la nymphe à la descente de celle-ci. Elle était de dos quand elle a pris. J’ai vu les ouïes s’ouvrir, j’ai ferré ! Loupé ! Ha la grande classe Germain, bravo ! Un poisson que je suis depuis des semaines. Rhooooooo. Le fait d’être couché m’a rendu plus lent au levé du bras, du coup, j’ai ferré dans le vide une fois que le poisson avait recraché. Cette truite a pris comme un alevin qui n'avait jamais rien vu. La seule différence avec toutes mes autres tentatives, c’est que j’étais totalement invisible pour elle cette fois-ci. C’est en tous cas ma conclusion. Rien à voir avec la nymphe au final.

Je suis resté là en rigolant de mon échec. Et puis bien allé, un autre poisson à peine plus petit est venu sur le même poste juste après. Exactement au même endroit. Quand ça veut réussir…

Je ne me suis pas fait prier. J’ai relancé mon petit gammare et la truite, comme la précédente, est venue le cueillir comme une fleur ! Par contre, là, j’ai appuyé mon ferrage, pendue !  Truite de début de saison pris dans l’eau froide, une masse pleine de muscles et très en colère ! Un combat vif et énergique. Magnifique ! Cette truite a été la conclusion de ma partie de pêche où au final, j’aurais trempé ma nymphe moins de deux minutes dans l’eau, mais que de plaisir j’ai pris ce jour-là.

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