15 heures. C’est déjà bien tard pour partir à la pêche. Parfois, et même souvent dans mon cas, c’est l’emploi du temps familial qui décide des horaires de pêche. Mais quelle que soit l’heure, quel que soit le jour, quelle que soit la saison, prendre ce petit chemin qui m’emmène à la rivière me donne toujours le même plaisir. Il y a des lieux où l’on se sent mieux qu’ailleurs. Arrivé sur le petit parking de pêche, je me gare sur la droite comme à mon habitude. Le plaisir est encore plus grand ce jour là, je suis seul. Quel privilège. Habitué des tenues de pêche légères en été, me voilà très vite prêt à en découdre avec les truites. La rivière est très basse, mais comme depuis la mi-juin finalement. Son niveau n’a pas varié pour dire depuis deux mois. Lors de cette partie de pêche, je vais prendre mes premières truites assez vite. Malgré des conditions de vie compliquées, les poissons restent bien combattifs. Après trois belles truites, je décide de monter un bon coup en amont pour rejoindre une partie de la rivière très boisée et ainsi profiter de sa fraicheur.
Bien que je ne mette ni cuissardes ou waders durant l’été, je recherche toujours des zones ombragées. Pas parce que les truites sont plus nombreuses ou plus actifs, tout simplement parce que je m’y sens mieux. J’avais une idée en tête. Aller me poser sur le gros caillou pour voir un peu ce qu’il s’y passait. Il y a un coup sur ce parcours où l’on trouve deux gros blocs presque collés l’un à l’autre. C’est bien entendu un endroit privilégié des truites pour se cacher. De plus, il y a de vieux souvenirs déposés par les dernières crues comme ces amas de branches enchevêtrées au fond de l’eau bloqués par les deux cailloux. De toute évidence, si je suis patient, je devrais voir un peu de vie assez vite. 
Je me cale comme à mon habitude sur le premier caillou, à moitié couché dessus. Vraiment bien installé, mais de façon à avoir mon regard braqué sur le devant du second caillou, le plus gros. J’ai déjà pris de nombreux poissons à cet endroit. Je connais bien. 
Il est même difficile de me voir, car je suis plutôt bien planqué. Ce n’est pas cette famille au complet qui remontait la rivière sur la berge en face qui dira le contraire. J’ai laissé passer le papa et lorsque la maman était pile en face de moi, j’ai lancé un « bonjour ! ». Je l’ai vu chercher, tourner la tête pour finalement devoir répéter « bonjour ». Là, c’était bon, elle m’a trouvé au milieu de mes deux cailloux. On a discuté quelques minutes, j’étais plutôt surpris de voir du monde là. Une rencontre bien sympathique. 
Les poissons non plus ne me voyaient pas. Sans bouger, on fini par faire parti du décor. J’observais avec plaisir une truite d’un peu moins de trente centimètres qui nymphait entre deux eaux quatre bons mètres en amont de moi. Puis est apparu dans mon champ visuel une superbe zébrée nageant vers l'aval ! Vraiment très marquées les zébrures. C’était une perche ! Une très grosse perche. Il arrive parfois d’en croiser, mais d’aussi grosse, c’est extrêmement rare. Elle descendait dans ma direction en rasant le premier caillou, celui où j’étais bien calé. La voilà qui vient se mettre dans l’amas de branches devant le second caillou. Elle rentre dedans, se retourne et se bloque. Zut ! Ce n’est pas comme ça que je voyais les choses. Je ne voyais vraiment que le bout du bec au milieu des branches. Tant pis, je vais tenter ma chance. 
J’avais un gammare assez lourd noué à mon quatorze centièmes. J’étais certain que ça allait la séduire. J’ai saisi ma nymphe avec ma main gauche entre pouce et index pour la faire basculer sous le scion de la canne. Le gammare s’est mis à descendre au fond tranquillement. J’ai vu ma perche un peu nerveuse, elle l’avait vu. Ses pectorales en mouvement la trahissait. Mais pas plus de réaction que cela. Si je laissais descendre encore mon imitation, j’aillais finir dans les branches et perdre mon gammare. Il me restait plus qu’une solution. J’ai donc animé un bon coup et sans que ma perche n’ai pu réagir, une autre zébrée, mais cette fois-ci une truite, a surgit telle un missile du tas de branches ! Quelle vitesse ! J’avoue que lorsqu’on est bien posé, que l’on est concentré sur un but bien précis (qui ne bouge pas) et qu’un truc comme ça arrive, ça fait limite iriser les poils ! Bien sur, mon bras est parti comme un réflexe pour ferrer et la truite était prise. Sur ces quelques secondes, j’ai perdu de vu ma perche, je ne sais pas ce qu’elle fait pour finir. 
Drôle de sentiment car la truite était magnifique, mais je voulais prendre la perche moi. Comme quoi, une zébrée peut en cacher une autre.

Fallait rester cachée !

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