Depuis plusieurs saisons, il est très difficile de faire pêche sur "mes" parcours habituels. Malgré une expérience de plus de 35 ans sur des linéaires que je connais parfaitement, mes parties de pêche se terminent la plupart du temps par 0, 1 ou 2 truites grand maximum.

Peu importe finalement car je suis à un stade de ma vie de pêcheur où la priorité de mes sorties est ailleurs que dans le nombre de poissons capturés et ce même si je suis bien conscient de voir mes linéaires préférentiels mourir à petit feu. Certes, avec le temps qui passe je suis moins performant qu’à une époque, mais quand même, la densité est si faible que même pour des pêcheurs dans la fleur de l’âge avec bac + 10 en nymphe à vue, c’est devenu extrêmement compliqué de prendre du poisson régulièrement. Disons que techniquement ce n'est guère plus compliqué qu'avant mais il faut surtout y passer plus de temps. Vraiment beaucoup de temps pour un résultat bien moindre. Pour imager ma pensée, on peut dire qu’il n’y a pas si longtemps, il était possible de prendre 6 ou 7 truites en 1 heure et que de nos jours, il faut plutôt compter 1 truite toutes les 6 ou 7 heures quand ça va bien…En tous les cas autour de chez moi.

Il faut être très attaché à un morceau de rivière pour continuer à pêcher ces linéaires parce qu’il arrive qu’on promène la canne sans décrocher la nymphe de l’accroche-mouche durant de longues heures. Celui qui est avant tout motivé par la prise de poisson ne sera pas satisfait sur la plupart des parcours de la haute rivière d’Ain.

L’introduction de cet article relate la vérité, je ne la noircie pas volontairement. Mais il me semblait nécessaire de débuter mon histoire ainsi pour bien comprendre la rareté actuelle de l’évènement dont j’ai été le témoin et l’acteur.

C’était une très belle journée où je ne devais pas pêcher d’ailleurs. Un jour de très grand soleil sans chaleur excessive. L’emploi du temps familial m’avait permis contre toute attente de me libérer durant l’après-midi. Je suis donc parti seul à la pêche sur un parcours que je n’avais pas encore fait cette saison. Je le savais très pauvre en truite mais l’avantage de ce genre de linéaire, c’est qu’il n’y a peu ou pas de pêcheur également. Cela conditionne souvent mes choix de parcours. Un peu sauvage le type et je n'aime pas être dérangé durant ma sieste que je pratique de plus en plus au bord de l'eau !

La rivière était très basse mais comme presque toute la saison. Je me souviens très bien n’avoir pas vu une seule nageoire durant les 2 premières heures. Rien. Pas un gobage non plus. Je progressais sous le soleil le plus souvent hors de l’eau ou avec de l’eau aux chevilles sans aller plus loin. Plusieurs fois j’ai fait des « stops » assez longs pour vraiment « scanner » les meilleurs coins mais sans succès. C’est après ces deux heures de prospection sans rien voir je suis tombé à la toute fin d’une immense gravière sur ce qui semblait être de loin une vaironnée. Aucune euphorie à la vue de celle-ci car même si être le témoin d’un tel spectacle est toujours un régal, la pêche des truites durant ces périodes est rarement « fun ». Je me suis positionné à la perpendiculaire du groupe de poissons en plein découvert mais à bonne distance. Il y avait 9 truites hyper actives qui boulotaient les vairons chacune leur tour. J’ai d’abord observé car c’était finalement mes premières rencontres depuis 2 heures de recherche.

Je me permets de faire un petit aparté sur ces vaironnées. Je ne sais pas ce qu'il en est de vos propres observations sur vos rivières, mais de ce que j’en vois, j’ai l’impression qu’il y en a de plus en plus souvent et à n’importe quel moment de l’année. C’est assez flagrant. Je vois des vaironnées sur presque 3 mois de rang. Autant quand j’étais plus jeune c’était un évènement bien ciblé sur une période assez précise d’une année sur l’autre, autant de nos jours, c’est du n’importe quoi. Mais bon, vu le nombre d’insectes ces dernières saisons, heureusement qu’elles ont les vairons pour se nourrir.

Pour en revenir à mon histoire, et comme j’ai commencé à le dire plus haut, la pêche des truites excitées sur les vairons en nymphe à vue est le plus souvent sans grand intérêt. En tous les cas par rapport à ce que j’aime faire avec une canne à mouche. Ce jour-là, rien de nouveau, des poissons qui bourraient chacun leur tour le banc de vairons. C’était un chouette spectacle ! J’avais au bout de ma pointe en 15 centièmes une cuivre sur hameçon de 16. Je me souviens très bien m’être dis que je n’allais pas changer. Si d’aventure ça prenait comme ça tant mieux, sinon tant pis. Je ne voulais pas me prendre la tête avec ces truites qui ne réagissent jamais de la même façon dans ces conditions.

J'ai donc fait ma première dérive en posant ma nymphe assez haut des poissons. Pas de réaction. J’ai refait quelques dérives sans « viser » un poisson parmi les autres. Rien. J’ai fini par m’appliquer à dériver en me concentrant sur un poisson. Chose pas facile tant ils bougeaient tous régulièrement. À la première dérive propre et précise sur une truite, j’ai pu voir de la douzaine de mètres qui nous séparaient un léger mouvement de tête en direction de la surface. Par réflexe j’ai soulevé ma soie et j’ai vu ce poisson débuter son combat pour se libérer du fil et de l’hameçon. Incroyable, le poisson a pris de la même façon qu’une truite seule nymphant sur une gravière. Rien à voir avec un comportement de vaironnée où il faut le plus souvent jouer sur l'agressivité des poissons pour les leurrer. Après avoir relâché ma truite, j’ai recommencé encore et encore. À chaque fois que j’étais assez précis, la truite visée soulevait la tête pour prendre ma cuivre. Et parfois elle se soulevait vraiment franchement. Je n’avais jamais vu cela dans ces conditions sur autant de poissons. Cela s’enchainait. A tel point que sur les 9 poissons présents, j’en mettrais 7 à l’épuisette et j’en décrocherais 2 durant le combat. En 36 ans de pêche, je n’avais jamais vécu cela. Le tout en à peine 90 minutes. Au-delà des poissons qui étaient tous magnifiques, c’était une vraie belle pêche de dérive. C’était assez déroutant tant elles peuvent être soupe au lait sur ces vaironnées. Là, 9 truites avec la même bestiole qui a fini dans un sale état d’ailleurs. J’ai juste refait mon nœud tous les deux poissons. Mais à chaque fois je remettais la même nymphe en coupant avec les dents les fibres de faisan qui dépassaient au fur et à mesure des captures.

En clair, j’ai vécu 90 minutes de rêve au milieu d’une saison entière bien morose où si je ne faisais pas capot, je prenais 1 poisson. Alors il ne faut pas se leurrer, la boule de vairons a dû attirer les truites à 500 mètres à la ronde, mais cela m'a permis de revivre l’espace de quelques minutes de vraies belles scènes de nymphe à vue. De nos jours, un instant aussi rare que magique !