Pour la première fois depuis le début des interviews sur ce blog, je reçois un pêcheur de migrateurs. Il fait parti des tous meilleurs pêcheurs de saumons de notre pays. Je tiens à remercier Jérémy de m'avoir présenté Fabrice lors de ma venue sur les Gaves en juillet 2010. Après seulement quelques minutes , j'ai de suite compris que j'avais à faire à quelqu'un qui ne parlait pas pour ne rien dire, et que lorsqu'il le faisait, il n'y avait qu'une seule chose à faire, écouter.
Profitez des paroles de ce grand Monsieur du Gave!

Nicolas : Salut Fabrice, je suis heureux de te recevoir sur ce blog ! Peux-tu nous faire une petite présentation pour ceux qui ne te connaissent pas en quelques mots s’il te plait ?

Fabrice : Je suis enseignant et je vis à Oloron sur les bords des Gaves, je suis passionné par la pêche du saumon.

Fabrice avec un 12 Kg!
12Kg

Nicolas : Le poisson qui hante tes pensées et tes rêves est le saumon. Parle-nous de ce poisson. Pourquoi l’aimes-tu plus qu’un autre, pourquoi passes tu autant de temps à le traquer ?

Fabrice : La pêche du saumon revêt un aspect un peu mythique, surtout sur le Gave, tant sa capture est difficile. Son côté imprévisible et sa combativité en font un adversaire de choix, sa rareté et son mode de vie mérite le respect.

Fabrice recherche le saumon sur le Gave
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Nicolas : Dans la continuité de la question précédente, comment devient-on saumonier, raconte-nous ton histoire ?

Fabrice : J’ai toujours vécu sur les bords du Gave, j’ai commencé par traquer les grosses truites, mais quand je voyais un saumon sauter ou marsouiner je ne pensais plus qu’à cela. Après la prise accidentelle d’un petit saumon en pêchant au vairon, j’ai franchi le pas, sacrifié mes économies pour une canne à deux mains bon marché et le matériel qui va avec. J’ai commencé par arpenter tous les pools au-dessus d’Aren ( je n’avais qu’un solex comme moyen de locomotion). Je lançais comme je pouvais, mais j’ai fini par croiser la route d’un castillon fin juillet, à une semaine de la fermeture….
Je n’avais jamais vu prendre un saumon à la ligne auparavant, encore moins à la mouche.

C'est un exploit à chaque prise!
saumon

Nicolas : Une fois que cette passion dévorante pour le saumon à atteint le pêcheur, est-il possible de pêcher autrement, de retourner un peu à la truite ou traquer un autre poisson ?

Fabrice : Je retourne toujours un peu à la truite bien sûr, j’apprécie sa pêche à vue sur les bordures, je pêche un peu l’Alose, mais ne cesse de penser au saumon.

Une truite du Gave
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Nicolas : Sans livrer tes secrets, quels sont les petits trucs qui font la différence dans cette pêche. C’est souvent les mêmes pêcheurs qui prennent le plus de saumons non ?

Fabrice : La connaissance du milieu et un bon sens de l’eau sont des avantages considérables. Le fait d’être sur place est bien évidemment un atout, puis avoir un équipement bien adapté. Je ne pêche qu’avec des lignes de types shooting, si tout le monde riait il y a une dizaine d’années quand j’ai commencé à pêcher avec ces soies, maintenant, rare sont ceux qui ne les utilisent pas.

Et Fabrice connait le Gave comme sa poche, ce n'est rien de le dire!
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Nicolas : Lors de mon séjour chez toi, j’ai passé un coup du soir à discuter avec un vieux saumonier. J’ai vécu un moment vraiment extraordinaire. Ce qui m’a marqué, c’est cette envie de pêcher alors qu’il venait de me dire qu’il avait touché seulement 2 poissons sur les 3 dernières saisons et qu’il les avait perdu tous les deux. Je trouve ça vraiment hors normes ! Comment peut-on avoir une telle foi en cette pêche ?

Fabrice :Chaque lancer nous rapproche de la prochaine touche, mais sur le Gave, pour certains, elles sont plus espacées……
C’est vrai que capturer un saumon sur le Gave et qui plus est à la mouche, a un coté mythique, mais certains ne mettent pas toutes les chances de leur coté. La pêche du saumon a un aspect convivial qui fait son charme, on se retrouve lors des casses-croutes, mais il ne faut pas confondre pêcher une journée durant et passer une journée sur le Gave, car certains rentrent chez eux le soir, et si entre les rencontres, les apéros, le casse-croute, ils ont pêché trois heures, c’est le bout du monde.
Contrairement à la pêche de la truite, au saumon, on est toujours en action de pêche, et heureusement, car si l’on ne voit rien, on a au moins la satisfaction de faire de beaux lancers, et d’améliorer sa technique. Le Gave est certainement une bonne école pour cela.

Proche du but!!
échouage

Nicolas : Pour les pêcheurs de truites qui comme moi ne connaissent pas du tout ce poisson et sa pêche, à quoi ressemble la boite à mouche d’un saumonier ?

Fabrice : La mienne n'a pas grand-chose…Je n’utilise que des modèles de type tubes flies, une dizaine de modèles différents en tailles et poids variés.

Un tube à Fabrice.
tube

Nicolas : J’ai pu également me rendre compte lors de mon voyage dans ton pays que pour le matériel, c’est aussi une autre dimension. Qu’est-ce qu’il faut pour tenter le saumon à la mouche dans le Gave. As-tu une préférence pour une canne en particulier ?

Fabrice :Le Gave est une grande rivière qui nécessite l’emploi de cannes à deux mains, non pas pour lutter avec un saumon, on y arriverait aussi bien ( parfois mieux) avec une cane une main, mais pour éviter de faire des faux lancers, qui est une perte de temps. Au saumon, il faut être efficace, j’emploie une canne de 13’8 pour soie de 9/10 et une switch 11’ soie de 8 pour les pêches un peu plus fines mais toujours à deux mains. Pour les pêches en nymphes, j’ai une 10’soie de 7, voir parfois ma canne à truite 9’ soie de 5.

Nicolas : Tu pêches le saumon essentiellement sur le Gave d’Oloron. Tu as une expérience énorme sur ce cours d’eau, comment vois-tu l’évolution des populations avec les années qui passent et que t’inspire l’avenir.

Fabrice : On parle de réchauffement climatique, de pollution, de colmatage des frayères, d’agriculture, de pêche au filet…Que c’est irrémédiable, j’avoue ne pas y croire, le gave d’Oloron est une rivière courte, avec peu d’obstacles où les saumons atteignent des frayères viables en moins de trois jours pour certains. Les rivières écossaises et islandaises battent des records cette année, c’est vrai que les poissons ont une migration en mer plus courte que les nôtres, mais surtout ils s’en donnent les moyens. Nous, nous créons des commissions qui créent des sous-commissions organisées en sous groupes ou associations pour faire des réunions afin de décider la date de la prochaine réunion….
Nous sommes des incapables, et ce n’est pas par faute de bonne volonté ni de compétences, car elles existent et sont sur place. On se complaît à dire que nous avons le meilleur système d’organisation de la pêche sans voir plus loin que le bout de son nez….

D'autres trésors du Gave, l'alose, et les morilles!!
autres

Nicolas : Laissons de côté quelques instants le poisson pour parler du cours d’eau, le Gave ! Quand je parle de ma rivière, je dis souvent que l’eau qui y coule est aussi vitale que le sang qui coule dans mes veines, et toi, que représente à tes yeux le Gave ?

Fabrice : C’est tout simplement une grande partie de ma vie, c’est là que je me ressource.

Il y a de quoi se ressourcer!
pano

Nicolas : Ta rivière et les saumons te passionnent tellement, que tu en as écrit un livre il y a quelques années. Que t’as apporté cette expérience ? Serait tu prêt à la renouveler pour approfondir sur la pêche du saumon par exemple ?

Fabrice : Écrire ce livre a été une belle expérience, c’est toujours agréable de voir un pêcheur de saumon le consulter pour aller à tel ou tel endroit, cela aura servi au moins à quelque chose. Il n’y a pas d’ endroit secret, plus il y aura de monde concerné par la pêche du saumon, plus on aura des chances de le voir continuer à remonter notre rivière. Approfondir sur la pêche du saumon pourquoi pas, peut-être un peu plus tard, quand j’aurai un peu plus de temps pour moi.

La couverture du livre de Fabrice
livre

Nicolas : Par chez toi, il y a le Gave bien sur, mais aussi une multitude d’autres rivières toutes aussi belles les unes que les autres, parle nous de ton pays, de tous ces joyaux ?

Fabrice : C’est vrai que nous sommes dans une région bénie des dieux pour la pêche à la mouche. Dans un rayon de moins de trente km autour d’Oloron, il est possible de pêcher outre le gave d’Oloron, des affluents majeurs comme le Saison ou le Vert, ainsi que le gave d’Aspe, le gave d’Ossau et le Lourdios. Si on pousse un peu plus loin on le gave de Pau, les Nives , et les lacs de montagne. Il est impossible lors d’un séjour en Béarn de ne pas pouvoir pêcher à la mouche, ne serait-ce qu’un jour, il y a toujours une rivière ou secteur de pêchable.

Le Saison
saison

Nicolas : Tu vas maintenant vivre à quelques enjambées de TA rivière (J’espère que notre chambre avec Fred est terminée !), c’est un rêve qui devient réalité j’imagine ?

Fabrice : C’est un concours de circonstances au départ, mais c’est effectivement un rêve que d’avoir le Gave en bas de son jardin. Vos chambres sont prêtes bien sûr…

Mate moi ça Fred, nos chambres!!!
chambres

Nicolas : Revenons au poisson roi ! Tu pars régulièrement à l’étranger pour continuer à le traquer, quelles sont tes destinations de prédilection et pourquoi ?

Fabrice : J’ai été en Écosse une fois, et au Québec, mais je suis tombé sous le charme de la Norvège et plus précisément de la Gaula. Le charme des maisons scandinaves m’a décidé et inspiré pour la construction de la mienne, et la rivière est tout simplement magnifique

Magnifique photo de Fabrice!
sousl'eau

Nicolas : Pour mon plaisir et celui des lecteurs de ce blog, raconte nous l’histoire de ton plus beau combat avec un saumon, fait le nous vivre, qu’on est l’impression d’être à tes côtés !

Fabrice : C’était sur la Gaula, la semaine de l’ouverture, en fin de semaine après un important coup d’eau, je sens une touche discrète mais puissante, je lève la canne et le poisson fait un demi tour devant moi dans un remous impressionnant. Je le tiens quelques secondes devant , dans le courant, puis il décide de descendre, mon frein est bien réglé et joue parfaitement son rôle, mais rien n’y fait, le saumon continue sa descente. je suis obligé de le suivre, nous atteignons le pool d’en dessous, mais le poisson est déjà 150m environ en dessous de moi. Malgré la traction puissante que j’exerce sur mon bas de ligne en 50/100 je ne peux l’empêcher de tirer sur le moulinet.
A force de le suivre je me suis retrouvé coincé sur une langue de gravier, impossible de rejoindre le bord, trop d’eau, traverser même pas la peine d’y songer, nous sommes début juin en pleine fonte des neiges….
Quand soudain quelqu’un sur la rive d’en-face m’interpelle et me fait de grands gestes. Je le vois prendre une barque et traverser à la rame, après quelques minutes je le vois enfin passer sous mon backing avec un sourire aux lèvres « You’ve got a problem ? » me dit-il.
Je lui réponds par l’affirmative et monte avec lui. Nous rejoignons ensemble la rive opposée. Pendant la traversée, je vois les dernières spires de backing s’envoler. Une fois la berge atteinte, je rembobine le backing, je prends contact avec le poisson, puis plus rien !
Après plusieurs minutes à tout enrouler sur le moulinet, je récupère mon bas de ligne lacéré par les rochers.
Mon ami d’infortune pas aussi dépité que moi mais presque me refit traverser la Gaula pour rejoindre mes camarades.
Ce fut la seule touche de la semaine….

La remise à l'eau d'un gros saumon
remise

Merci pour tout Fabrice ! Tu sais ce que je pense de toi, je te l’ai déjà dit, j’ai vraiment apprécié notre rencontre, j’ai beaucoup de respect pour les gens qui savent de quoi ils parlent, et tu en fais parti. A très bientôt, on reviendra avec Fred un de ces quatre ou je reviendrai avec mon fils!