C'est un grand plaisir pour moi d’accueillir Christian sur ce blog pour parler de la situation du Doubs. Il est à la tête d'une des plus célèbres AAPPMA de notre pays, la Franco-Suisse à Goumois.

Il me semblait important de faire le point après ces dernières années où la rivière a subit de plein fouet les traumatismes que l'on connait tous.


Nicolas : Bonjour Christian, fais nous une présentation succincte s’il te plait et rappelle nous tes fonctions dans le monde associatif pêche.

Christian : Bonjour Nicolas, j’’ai 57 ans, marié, 2 enfants.  

Au niveau professionnel, je travaille chez P.S.A à Sochaux où j’occupe un poste de responsable bureau études conception des ateliers de ferrage.

Au niveau  associatif pêche, je suis au CA de la Franco-suisse depuis 31 ans où j’ai occupé les postes de secrétaire, puis de président depuis 2009. Je suis également vice-président de la fédération de pêche du Doubs depuis 2003.  

Christian ici au premier plan à gauche avec son équipe.

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Nicolas : Le Doubs Franco-suisse a subit de grosses mortalités ces dernières années. Y’avait-il eu des précédents du même genre sur cette rivière par le passé ?

Christian : D’après mes souvenirs, on a toujours vu quelques poissons malades principalement  après les périodes de fraie avec des mortalités  plus ou moins  conséquentes concernant les ombres. Les plus anciens se souviennent d’une hécatombe sur ces poissons dans les années 1945,1946. Concernant les truites, mis à part quelques cas isolés, on n’a jamais vu autant de poissons touchés que lors de  ces 3 dernières années. 

Tristes souvenirs...

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Nicolas : Il y a eu beaucoup d’écrits vis-à-vis de ces pertes piscicoles. Avec du recul, peut-on aujourd’hui cibler  une source de pollution bien précise ?

Christian : Les rapports scientifiques venant du laboratoire de Neuchâtel précise qu’il s’agit de la « saprolégnia parisitica » et donnent les éléments suivants :

          Souche identique sur 3 rivières (Doubs, Loue et Sorne)

          Souche identique sur 3 espèces (Truite, Ombre et Loche)

          Population clonale donc apparition récente

          Deux populations de Saprolégnia

        Forme peu virulente, résidente, grande variabilité génétique, eau + poissons = saprolégnia sp

        Forme très virulente, introduite récemment, pas de variabilité génétique, uniquement sur poissons =  saprolégnia parasitica 

          Au moins 3 espèces de poissons sensibles (truite, ombre, loche)

          Elle s’est étendue à une rivière non connectée au Doubs

          Sa population clonale suggère une introduction récente dans la région

Mis à part ces renseignements, on peut supposer qu’elle peut se  transporter d’une rivière à l’autre mais il y a forcément un ou plusieurs éléments déclencheurs qui n’ont pas pu être mis en évidence. Les recherches  se poursuivent mais il reste à arbitrer les préconisations de l’office fédéral de l’environnement Suisse qui souhaitent  des mesures de prévention concernant principalement la désinfection du matériel de pêche.  

Fond colmaté.

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Nicolas : Il y a eu des actions de menées dont la manifestation de Goumois.  Est-ce que toi et ton équipe avez senti des retombées suite à cet évènement ?

Christian: La manifestation de Goumois a été nécessaire pour que la problématique du Doubs Franco-suisse soit prise en compte au bon niveau des 2 états avec la création d’un groupe de travail binational.

Nous comptons beaucoup sur cette entité pour faire avancer nos dossiers et qui a d’ores et déjà dégagé un plan d’action visant à réduire les impacts des activités humaines avec 3 thèmes majeurs

          THEME 1: RÉGIME HYDROLOGIQUE DU DOUBS

        Débits à l’aval des barrages hydroélectriques

          THEME 2: QUALITÉ PHYSICO-CHIMIQUE DES EAUX

        Flux des micro polluants liés aux activités industrielles, forestières et urbains

        Pollution des sédiments dans les retenues de barrages

        Sites et sols pollués

        Assainissement collectif

        Assainissement individuel

          THEME 3: QUALITÉ PHYSIQUE DES COURS D’EAU

        Continuité piscicole sur le Doubs

        Connectivité avec les affluents

        Restauration des habitats aquatiques du Doubs et des affluents

Manifestation du 14 mai 2011

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Nicolas : Le collectif SOS Loue et rivières comtoise est aussi moteur dans ces actions.  C’est important d’avoir un tel soutien ?

Christian : Oui bien sûr, nous travaillons en étroite collaboration avec SOS Loue mais aussi avec Pronatura, le WWF et la fédération de pêche Suisse. Nous sommes actuellement engagés tous ensemble  sur une plainte  déposée au conseil de l’Europe  pour Violation de la convention de BERNE pour ce qui concerne la préservation de l’apron

        Dépôt de plainte contre le France et la Suisse

          Objet: Manque d’investigation des autorités  concernées sur les causes de la pollution du Doubs, activités hydro-électriques, micropolluants, obstacles à la migration du poisson et destruction de l’habitat

Pour répondre à ta question, il est extrêmement important de travailler avec tous ces collectifs ou organisations et d’avoir leurs soutiens et je les en remercie au passage.

Article au sujet de l'apron.

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Nicolas : Aujourd’hui, le combat continu, en particulier aux niveaux des éclusées. Que peux-tu nous dire sur les actions en cours ?

Christian : Vaste sujet qui nécessite à chaque fois de longues explications car on touche du doigt des enjeux économiques et politiques majeurs concernant la France et la Suisse.

Pour faire simple, la France pour remplir ces objectifs DCE doit revoir pour 2014 le règlement d’eau international  datant de 1969 qui gère les 3 barrages de la boucle Franco-suisse (Chatelôt, Refrain et la goule.

Un rapport de force s’est donc installé entre les états, les usiniers et les pêcheurs pour obtenir le meilleur compromis entre la partie économique et écologique.  Nous sommes donc engagés dans un processus  long et difficile qui nécessite de la persévérance et de nombreux alliés.

C’est pour ces raisons que nous essayons de médiatiser au maximum toutes les mortalités causées par les éclusées telles qu’elles sont réalisées aujourd’hui. Nous  devons arbitrer en parallèles sous la pression du gouvernement  Suisse, le principe de la démodulation de certains types d’éclusées du chatelôt dans la retenue de Biaufond.

Tout va se jouer en 2013 et nous aurons besoin de tous nos partenaires des 2 pays pour peser dans les négociations.  

Conséquences d'une éclusée.

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 A voir ou a revoir cette vidéo => La rivière robinet. Également, à signer, cette pétition, merci !!

Nicolas : On a l’impression de loin que les politiques sont un peu plus sensibles aux problèmes liés à nos rivières et donc au Doubs, est ce que ça correspond avec la réalité ?

Christian: Manifestement, la maladie et les photos associées ont touché les politiques qui nous ont aidé à monter les dossiers au bon niveau des 2 états avec la création de la commission binationale dont j’ai parlé plus haut.

Nous avons eu de nombreux soutiens mais en politique rien n’est jamais acquit, les partis changent, les élus avec et il est toujours difficile de maintenir la bonne pression, bien souvent liée à l’actualité du terrain. Mais d’une manière générale, un réseau s’est créé et de nombreux maires, députés, sénateurs  ou conseillers généraux et régionaux  restent solidaires et à notre écoute.

Nicolas : Suite à ces mortalités, les pêcheurs ont déserté le Doubs après en avoir profités des années durant. Sans forcément rentrer dans les détails, qu’elle est la situation de l’AAPPMA en sachant par exemple, qu’elle a un employé en la personne de Patrice, votre garde.

Christian : Lors de notre dernière AG qui s’est tenue le 27 Octobre 2012 nous nous sommes fixés des objectifs précis.

        Equilibrer le budget

        Garder un garde pêche professionnel (Gardiennage + Cormorans + Rapports mortalités + participation réunions + Communication site internet

        Garder un parcours de pêche cohérent

        Lutter pour la préservation du milieu (pollutions, mortalités, éclusées..)

        Garder un état esprit associatif et bénévole  (Fêtes familiales + nettoyage des berges + enrochement  + Ficelles  + Travaux divers …)

Pour réaliser ces objectifs, un gros travail de fond a été engagé vers les propriétaires riverains, l’état Français, les communes et le canton du Jura pour adapter les tarifs de location des baux de pêche. Je tiens d’ailleurs  à remercier tous ces intervenants pour leur compréhension.

Nous souhaitons aussi pour l’intérêt de tous garder un parcours cohérent sans morcellement de façon à offrir aux pêcheurs un maximum de linéaire et favoriser le tourisme pêche.

En parallèle, nous avons accentué notre  esprit associatif et bénévole en participant d’avantage aux manifestations locales et en créant une fête familiale qui se déroule tous les ans le premier dimanche de Juillet au canal du moulin du plain.

Maintenant tout est lié à la qualité écologique du Doubs et à la disparition de cette foutue maladie qui fait fuir de nombreux pêcheurs mais il est clair que nous avons besoin des pêcheurs  pour l’avenir car nous ne pourrons pas poursuivre éternellement cette politique sans apport financier plus conséquent. 

Mise en place des fils

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L'AAPPMA réalise des travaux tout au long de l'année.

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Nicolas : Aujourd’hui, et même ces dernières années, la pêche est restée ouverte. J’ai été surpris lors de ma venue en septembre 2011 du nombre de truites vues. A quoi correspond la situation actuelle en termes de population piscicole ? As-tu des chiffres as nous fournir ?

Christian: Des pêches de sondage de grandes envergures se sont déroulées fin 2011, les résultats sont positifs et les nombreux acteurs présents ont en fait été très surpris par la quantité de poissons prélevés après ces 2 années de maladie. Il a également été mis en évidence la présence de toutes les classes d'âge avec une réussite importante de la fraie 2010/2011 concernant aussi bien les truites que les ombres.

On s’aperçoit également que les 2 stations du Doubs Franco-suisse pêchées présentent des  biomasses quasi-équivalentes aux années 1973.

Voir ci-dessous extrait du rapport sur la  Station des Seignottes, située  environ 2 kilomètres en amont de Goumois (station en plus très fréquentée par les pêcheurs).



Comparativement aux années antérieures, le peuplement apparaît s’améliorer même si les abondances de l’ombre, de la truite et de la loche apparaissent en deçà des potentialités du milieu.

Cependant, en 1973 sur la station du Moulin du Plain située 3 kilomètres en aval, VERNEAUX (1973) observe un peuplement très similaire voire légèrement inférieur à celui de 2011 sur le plan des abondances numériques. Toujours comparativement à ces données de 1973, l’apron présent à cette époque n’a pas été retrouvé depuis et est toujours absent en 2011.


Magnifique truite du Doubs

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Nicolas : Les témoignages qui viennent à moi par les quelques pêcheurs encore fidèles au parcours de Goumois vont tous dans le même sens.  Aujourd’hui, et après cette catastrophe, il reste des truites en nombre sur le Doubs pour se faire plaisir à la pêche, es tu du même avis ?

Christian : Absolument, j’ai des retours  positifs de nombreux adeptes qui ont trouvé beaucoup de plaisir à pêcher le parcours de la Franco-suisse. Ces témoignages viennent souvent de pêcheurs qui pratiquent sur d’autres rivières Françaises ou étrangères et qui sont très surpris de la qualité et de la quantité de poissons vus ou pris.

On sent également une prise de conscience des pêcheurs avec une volonté affichée de préserver le cheptel en place (pratique plus marquée concernant le No-kill).  

Un petit mot concernant les ombres

Le parcours du Refrain possède une belle population d’ombres adultes, sur les autres secteurs plus affectés par la maladie, beaucoup de poissons dont la taille est comprise entre 25 et 30 CM. Cela nous montre que le potentiel est toujours là , que le non prélèvement est important et qu’il est nécessaire d’attendre avant de prendre d’autres décisions plus radicales.


Il reste de l'espoir pour les ombres du Doubs.

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Nicolas : On a bien compris que l’avenir de la Franco-suisse passait obligatoirement par le retour des pêcheurs et donc la vente de cartes. Comment peux-tu conclure cette interview pour les convaincre de revenir ?

Christian : Nous gérons un parcours conséquent de 54 Kilomètres de rives dans un cadre sauvage, même si elle s’est dégradée la rivière offre de nombreuses possibilités de pêche sur un profil très varié. Comme nous l’avons vu au cours de cet échange, la population de salmonidés est toujours conséquente avec  la présence de très beaux poissons sauvages. De même on peut indiquer que toutes les classes d’âge sont représentées ce qui indiquent que le potentiel est toujours là. En complément, les 2 secteurs de 2ème catégorie sont aussi très poissonneux avec les prises  fréquentes de très gros brochets. 

Patrice avec un brochet du Doubs

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Pour résumer, j’encourage vivement tous les pêcheurs à venir pratiquer leur loisir sur le parcours de la Franco-suisse où il est vraiment toujours possible de se faire plaisir. 

Une, si ce n'est LA plus belle vallée de notre pays.

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Nicolas : Merci Christian pour ces éclaircissements et tous mes vœux de réussite pour les années à venir à toi et ton équipe.

Christian : Merci à toi, également pour cette interview de la part de toute mon équipe  qui je l’espère servira de base de communication pour montrer tout le travail réalisé par notre association. J’espère aussi qu’elle motivera  les pêcheurs hésitants à venir à Goumois et à nous soutenir dans les prochaines années.  

Une nouvelle fois, merci à toi Christian d'avoir pris de ton temps précieux pour nous informer sur la situation actuelle. On voit très bien à travers tes réponses que le combat et le travail sur le terrain sont permanents. Tu es à la tête d'une équipe soudée et dynamique qui possède un amour profond pour sa rivière et sa vallée. De mon point de vue, il serait inacceptable et réellement trop injuste que vous ne puissiez plus défendre le Doubs à cause de problèmes financiers qui fragiliseraient l'AAPPMA.

Je vais donc m'adresser maintenant à tous ces pêcheurs qui ont profité pendant des années durant sans se poser la moindre question du Doubs, de sa vallée, de ses truites et de ses ombres. Comment pouvez ignorer cette région comme vous le faites maintenant ? Comment pouvez vous laissez à l'abandon ces personnes qui tentent, et qui vont réussir, j'en suis persuadé à sauver ce qui peut l'être encore. Est ce que c'est si difficile de rendre un minimum ce que vous a apporté cette rivière ? Non ! Que cela soit financièrement ou avec un autre moyen, on peut toujours rendre service.  Contactez l'AAPPMA.

Merci pour eux, merci pour le Doubs.