Dans le petit monde de la pêche, il y a des fédérations qui attirent plus l'attention que d'autres . Pour ma part, je suis depuis pas mal ce qui se passe chez les voisins du 74. Dans l'ensemble, je trouve le travail de cette fédération assez remarquable.

Je suis tombé par hasard il y a quelques jours sur une vidéo montrant les résultats d'une pêche électrique sur la Ménoge. je l'ai trouvé très bien faite. C'est un bel outil de communication envers les pêcheurs. Vous pouvez la visionner en cliquant sur ce lien => Vidéo Ménoge 2012

Une fois que vous aurez vu cette vidéo et si ce n'est déjà fait, vous pourrez lire et apprécier les explications plus détaillées d'un des chargé de mission de la fédération de Haute Savoie. Merci à Philippe Huchet d'avoir bien voulu répondre à mes questions et d'éclairer encore mieux les pêcheurs pratiquant sur cette rivière ainsi que les curieux comme moi.

Nicolas : Salut Philippe, avant toute chose, fait-nous une petite présentation à travers ta fonction au sein de la fédération de Haute Savoie s’il te plait.

Philippe : Salut Nicolas, alors j'ai 34 ans, je suis hydrobiologiste et l'un des 3 chargés d’études de la Fédération de Pêche de Haute-Savoie depuis une dizaine d'années maintenant, après avoir fini mes classes dans ton département sur une rivière qui t'es chère. J'ai tout d'abord travaillé principalement sur la conservation des populations d'écrevisses autochtones du département, et suis depuis quelques années notamment en  charge de la réalisation de diagnostics de bassins versants de rivières ou de lacs de montagne. C'est d'ailleurs lors de la réalisation du diagnostic de bassin de la Ménoge qu'est survenue la pollution de 2010, ce qui a conduit à mettre en place en collaboration avec l'AAPPMA du Chablais-Genevois, qui gère le cours d'eau, le suivi en cours actuellement.

 

Nicolas : Peux tu nous parler un peu de la Ménoge, rivière que peut-être tous les lecteurs de ce blog ne connaissent pas.

Philippe : La Ménoge est une rivière du piémont haut-savoyard d'une trentaine de kilomètres de long, qui prend sa source à  un peu plus de 1000m d'altitude pour confluer avec l'Arve  en amont d'Annemasse, à quelques kilomètres de la frontière avec la Suisse.

Du point de vue fonctionnel, et en schématisant, elle se scinde en deux partie à peu près égales : la moitié amont, qui héberge un peuplement dominé par la truite fario (sauvage mais non autochtone, on retrouve un peu de tout au niveau génétique dans la Ménoge), et la partie aval, dont le peuplement est dominé par les cyprinidés d'eau vive (chevesnes et barbeaux).

Cette configuration s'explique principalement par la thermie des eaux : les débits d'étiages estivaux trop faibles et les réchauffements estivaux particulièrement marqués qui en découlent, en lien avec le captage d'une bonne partie des eaux au niveau des sources de la Ménoge et des ses affluents, rendant l'aval de la Ménoge inapte à héberger une population naturelle ou non de truites fario. Bien entendu ce problème de débits s'accompagne  de l'incidence des rejets, mêmes aux normes, subis par le cours d'eau (qu'il amplifie d’ailleurs), qui se traduit visuellement par des bloom alguaux plus ou moins marqués suivant l'hydrologie et les secteurs. En dépit de ces altérations, malheureusement similaires à celles subies par beaucoup de cours d'eau aujourd'hui, la partie amont héberge encore une population de truites fario fonctionnelle (la Ménoge n'est plus alevinées depuis 2007) et proche de l'optimum (en tout cas avant la pollution). La partie aval quand à elle permet encore la reproduction de l'ombre commun, une étude pluriannuelle étant actuellement en cours sur le bassin de l'Arve pour comprendre et qualifier la dynamique de cette espèce sur l'ensemble du bassin versant, dont fait partie la Ménoge. Pour conclure, le cours d'eau reste encore aujourd'hui relativement satisfaisant du point de vue piscicole sur sa partie amont, mais semble être sur la corde raide du fait de l'ensemble des pressions subies.

 

Nicolas : Revenons un peu en arrière et rappelle nous quelle a été la pollution qui a dévasté la Ménoge et donc les conséquences qui ont suivi sur ses habitants.

Philippe : En octobre 2010, la Ménoge a donc subi une pollution massive au xylophène à environ 6 Km de ses sources, qui a touché significativement 15 Km de cours d'eau, tuant toute vie piscicole sur les 5 premiers kilomètres, les mortalités piscicoles allant de 80% à 25% de mortalité sur les 10 Km suivant. Les photos et vidéos qui ont circulé à l'époque étaient assez éloquentes, les secteurs amonts étaient littéralement couverts de truites et de chabots morts, et l'ambiance était plus que glauque au moment de la réalisation des pêches électriques mises en place immédiatement après la pollution, pour quantifier l'impact et réaliser un point zéro pour le suivi.

 

Nicolas : Avant cette pollution, la Ménoge a subit une terrible crue qui a eu des incidences sur les populations également non ?

Philippe : La Ménoge avait effectivement subi une crue cinquentennale lors de l'été 2007 (le débit était passé en 2 jours de 3 à 120 m3/s en pointe), qui avait fortement impacté le cours d'eau au niveau physique et avait également eu des répercussions sur le plan piscicole, qui avaient été mises en évidence lors du diagnostic piscicole réalisé en 2008. Cependant, il s'agit d'un phénomène naturel d'une part, et son incidence a été sans commune mesure avec celle de la pollution de 2010. Les résultats sur la station témoin du suivi, située en amont de la pollution et donc seulement touchée par la crue de 2007, ont mis en évidence un retour assez rapide (3 ans) à une biomasse proche de l'optimum. En gros, les peuplements piscicoles de la Menoge étaient en fin de reconstitution suite à la crue lorsque la pollution est survenue.

 

Nicolas : Le petit film montre à quel point la nature peut être forte malgré les innombrables obstacles dont elle fait fasse.  Les chiffres sont très positifs, cela semblait inespéré ou c’est dans un processus normal ?

Philippe : Les chiffres, et surtout la tendance observée depuis 2011, sont effectivement encourageants, mais le cours d'eau est encore loin de son optimum (au niveau picsicole mais également au niveau macrobenthique). Juste après la pollution, on espérait un retour à la normale possible dans les 5 à 10 ans dans le meilleur des cas (c'est à dire sans de dégradation supplémentaire du milieu), ce au regard du premier bilan réalisé juste après la pollution, des rares données de suivi de pollution similaires que l'on avait trouvé (notamment celui de la fédération de pêche des pyrénées-atlantiques suite à la pollution du gave d'Aspe en 2007) et des connaissances que l'on avait du fonctionnement du cours d'eau issues des premiers résultats du diagnostic débuté en 2008.

Les résultats actuels semblent indiquer que l'on est sur le scénario le plus optimiste (5 à 6ans), sans que cela soit inespéré : on avait constaté dans le cadre du suivi l'absence de contamination durable du milieu par le polluant, et on savait qu'il  existait des zones refuges (amont pollution, affluents fonctionnels, partie aval la moins impactée par la pollution) susceptibles de « réensemencer » le linéaire touché par la migration de géniteurs voire de juvéniles depuis ces réservoirs. Les données du suivi du gave d'Aspe par la Fédération des Pyrénées Atlantiques ayant clairement montré l'inutilité des alevinage dans ce contexte, le parti pris a donc été dans un premier temps de ne pas aleviner, de ne pas déverser d'arc-en-ciel surdensitaires pour maintenir artificiellement une activité pêche, et au passage prendre le risque d'enrayer le processus de recolonisation naturelle, de laisser tranquilles les truites avant d'avoir les premiers résultats du suivi (fermeture de la pêche en 2011) et de suivre l'évolution du milieu et de son peuplement piscicole.

Les résultats de 2011 ont mis en évidence que la rivière se débrouillait globalement très bien toute seule : recolonisation par la truite, reconstitution rapide des stocks de macrobenthos en terme de quantité, mais pas de qualité (effet « pionnier », un peu comme après une coupe à blancs, ce sont les ronces qui poussent en premier puis les espèces plus « nobles » réapparaissent petit à petit).

Seul un secteur situé au sein du linéaire ayant subi 100% de mortalité et délimité par  deux seuils considérés comme infranchissables affichait une dynamique de recolonisation très limitée. Une opération de transfert de population de truite a été réalisée à l'automne 2011 sur ce secteur, à partir de populations fonctionnelles issues de biefs présents sur le bassin de la Ménoge, donc des poissons sauvages et aptes à se reproduire sur le bassin versant. Ces biefs privés faisant en outre régulièrement l'objet de pêches de sauvetage (curages ou assèchements) et seule une partie des truites ayant été prélevée , l'opération a pu se faire sans que ce soit au détriment d'un milieu naturel. L'ensemble des poissons transférés a été marqué avant transfert dans la Ménoge, afin de les distinguer des poissons issus des migrations et de la reproduction naturelle dans le cadre des inventaires ultérieurs, et également de juger de l'utilité ou non d'une telle opération : quelle est leur survie, quelles sont leurs déplacements, quelle part représentent-ils au sein de l'effectif de géniteurs observé lors des pêches sur le secteur, y-a-t-il une différence de dynamique de recolonisation par rapport aux autres secteurs sans transfert? Ces questions trouveront peut être leur réponse à la fin du suivi, toujours est-il que dans le pire des cas, les transferts n'auront servi à rien, mais qu'aucun dommage ne sera porté au milieu ou à la population de truite. En 2012, ces poissons marqués n'ont été retrouvés que sur le secteur où ils avaient été transférés, dans une densité équivalente à celle des transferts. Ils correspondent à 10 poissons sur les 261 capturés, mais représentent 50% des géniteurs présents.

 

Nicolas : Les populations ne cessent d’augmenter. Est-ce que c’est le seul fait du pouvoir régénérateur de la rivière ou aussi, des mesures de protection prises par l’AAPPMA en place ?

Philippe : Bien entendu, c'est avant tout du aux capacités de régénération de la rivière, puisque sans cette capacité il n'y aurait pas eu de poissons, situation qui a tendance à limiter fortement les effets des mesures de gestions halieutiques.

Les mesures de gestions et de protection halieutiques prises sur la menoge sont des mesures d'accompagnement,  qui ne concernent par ailleurs que la truite. Elles ont été mises en place par l'AAPPMA de manière à donner le maximum de chance à la population de truite de la Ménoge de se reconstituer le plus rapidement possible, sans interventionnisme précipité et risquant de faire plus de mal que de bien. Le suivi pluriannuel réalisé par la fédération permet de mesurer l'évolution en temps réel et de rectifier le tir au besoin. Dans cet esprit, après un an de fermeture de la pêche, les résultats des inventaires 2011 ont montré que la pêche pouvait être ouverte sous certaine conditions, et l'AAPPMA a pris d'elle même les mesures qui s'imposaient : limitation des prélèvements maximum autorisés (passage de 5 à 2, incitation aux pêcheurs souhaitant voir leur rivière revenir au plus vite à son optimum à se responsabiliser aussi), taille de capture permettant réellement de protéger les géniteurs : en l'occurrence, la taille à 25 cm permet de protéger  80% des géniteurs présents sur le secteur amont du linéaire impacté contre 52% pour l'ancienne maille à 23. Sur le secteur plus en aval, où la croissance est plus rapide, le problème de la maille ne se posait pas puisqu'il est en no kill).

 

Nicolas : On peut aussi se rendre compte que la partie aval de la pollution abrite les plus jolis poissons, quelle en est la cause ?

Philippe : Il y a plusieurs raisons à cet état de fait :

  •  D'une part , cette station figure au sein du parcours no kill, qui hébergeait avant la pollution une population ayant une structure typique de ce type de parcours : à biomasse égale, moins de poissons mais plus d'individus de grande taille.
  •  D'autre part,ce secteur n'a pas connu de mortalité totale (il restait 15% des effectifs après la pollution) du fait de son relatif éloignement de la source de la pollution, et est surtout le plus proche de zones  où certains jolis poissons ont pu se réfugier au moment de la pollution : proximité de la confluence avec le Brevon de Saxel, un des principaux affluents de la Ménoge, et possibilité de dévalaison sur les secteurs plus en aval où la mortalité constatée était de l'ordre de 40%. C'est cette recolonisation depuis des zones refuges qui explique principalement le constat de la présence de jolis poissons sur la station aval en 2012 : ces poissons étant  nés avant la pollution au vu de leur taille, ils sont donc forcément soit des « survivants » in situ, soit issus de migration depuis des affluents ou des zones moins impactées par la pollution.
  •  Enfin, une étude scalimétrique avait mis en évidence une croissance moyenne plus importante sur ce secteur que sur les stations situées plus en amont (sur la station aval, les 2+ font entre 21 et 34 cm contre 19 à  25 cm sur les stations amonts)

 

Nicolas : D’après vos observations, quand la Ménoge va-t-elle retrouver des populations de truites conforme à ce qu’elle a connu avant cette pollution ?

Philippe : Il est plus qu'hasardeux de faire des projections fiables en terme de dynamique de populations naturelles, surtout sur des cours d'eau perturbés, donc je m'en garderai bien. D'autant plus que comme je te l'ai dit plus haut, au delà même de l'impact considérable qu'a eu la pollution , la Menoge amont présentait déjà avant cette catastrophe un équilibre précaire du fait de problèmes de fonds affectant nombre de cours d'eau aujourd'hui. Pour le moment, le peuplement piscicole du secteur impacté est revenu grosso modo au niveau où il était juste après la crue cinquentennale, et on constate sur la station témoin qu'il a fallu encore 3 ans pour revenir à l'optimum. Le cours d'eau nous surprend agréablement, espérons que la tendance constatée depuis 2 ans se confirmera dans les années à venir. Après, le travail ne sera pas fini pour autant : notre rôle est de pérenniser les peuplements du cours d'eau, et pour ce faire, il faut tout d'abord tout faire pour éviter qu'un tel événement se reproduise, mais il faudra également s’atteler à régler les problèmes de fonds pour que la Menoge retrouve un équilibre stable à long terme.

 

Nicolas : Merci de nous donner des liens ou des sites à suivre pour avoir les futures informations et suivis sur ce sujet.

Philippe : Le diagnostic de bassin (2008-2011) sera finalisé d'ici la fin de l'année, et un premier bilan intermédiaire du suivi (2010-2014) sortira début 2013,. Les résultats feront l'objet d'une présentation publique. L'ensemble des informations concernant la Menoge sera mis en ligne sur le site de la Fédération de pêche 74 ( Fédération de pêche de Haute Savoie ), dans la rubrique actualités. En tout cas, merci à toi de te faire le relais de ces informations.