Prendre une grosse truite peut être une aventure hasardeuse ou bien réfléchie. Je suis tout sauf un spécialiste de ce genre de poissons qui font fantasmer tant de pêcheurs. Les quelques très beaux poissons que j’ai eu la chance de capturer avec ma canne à mouche l’ont été à chaque fois suite à une rencontre non programmée et donc par définition, chanceuse.

Et pourtant, suite à la prise de ma première vraie grosse truite sur le Doubs franco-suisse, je me suis mis en tête de me focaliser sur ce genre de poissons. Effectivement, les sensations aussi uniques qu’extraordinaires que cette truite m’avaient procuré lors du combat m’ont donné par la suite du grain à moudre dans ma réflexion et mon approche de la pêche la saison qui suivie. Mais je me suis vite rendu à l’évidence après quelques week-ends sans résultat. Je n’étais pas fait pour ne pas pêcher au bord d’une rivière. Cette pêche spécifique des gros poissons est très ingrate et je respecte d’autant plus les pêcheurs qui pratiquent ainsi toute une saison. Il faut à n'en point douter un très gros mental pour attendre un poisson qui a plus de chances de ne pas apparaitre que de venir nympher tranquillement devant soi. Non, de mon côté, et ce depuis mes tout début, je n’ai jamais cherché les poissons, jamais. J’ai eu le privilège de toujours pêcher des parcours avec une très bonne densité de truites.  Par le fait, je suis toujours en action de pêche. Attendre le poisson ou pire, regarder des poissons se nourrir sans les pêcher pour ne pas éveiller de soupçons sur l’éventuelle cible qui devrait potentiellement arriver dans la zone…Non, trop pour moi. Je ne suis pas fait pour ça.

A la pêche, ce que j’aime avant tout, c’est pêcher. Ca parait bête comme phrase, mais c’est tellement vrai. Prendre que quelques poissons par an aussi gros soient-ils alors que je peux les prendre en une journée avec des tailles bien plus modestes, c’est plutôt ça mon truc. Mais heureusement que les pêcheurs pratiquent différemment, sinon, tout le monde serait au même endroit et en même temps.

Malgré tout, cette saison, j’ai fait deux fois l’impasse. Sur deux sorties matinales, je suis allé à un endroit pour voir précisément un poisson qui avait attiré mon attention. J’ai pour le coup encore pu tester ma patience. Lors de la première sortie, j’ai du attendre une grosse demi-heure que madame apparaisse devant ce rocher au fond de l’eau où je l’avais vu furtivement la veille. Trente minutes, pas une de plus. Attendre…On ne pêche pas durant ce temps. Du coup, je suis allé plus en aval et j’ai pêché sans penser à elle le reste de la matinée. Le soir, en réfléchissant un peu, je me suis dit que j’étais allé là-bas un poil trop tôt. La fois où j’ai vu cette belle truite, le soleil était plus haut. De coup, le lendemain, je suis allé sur le spot avec une heure de plus dans la journée. J’avais aussi fait le choix de l’attendre rive opposée pour la pêcher à hauteur d’eau car où j’étais la vieille, je pensais être plus visible. On se rassure comme on peut quand on ne voit pas le poisson arriver comme on l’avait prévu.

Du coup, il a fallu descendre la rivière bien plus bas pour la traverser et remonter la berge rive gauche. Je me suis positionné en arrivant dans l’ombre des saules qui longeaient la berge. Le poste avec le rocher dans l’eau se trouvait en plein soleil, moi dans l’ombre, parfait. J’ai sorti de suite la longueur de soie nécessaire en conservant ma nymphe dans la main. La soie dérivait à l’aval dans l’attente du lancer, si toutefois il devait arriver. Par chance ce jour-là, quatre ou cinqs petites truites même pas adultes étaient devant moi. Comme je suis un fan inconditionnel de l’observation de ces poissons, je me suis régalé à les voir nympher sans savoir que j’étais là. C’est fou comme un poisson peu s’approcher de vous du moment que le pêcheur est immobile dans une zone d’ombre.  Les truites arrivent parfois à venir nous buter dedans sans exagérer. A force de regarder autour de moi et d’admirer ces poissons sauvages se nourrir, j’en aurais presque oublié pourquoi j’étais venu. Oui, vous l’avez compris, je ne suis vraiment pas fait pour ça, un rien me déconcentre.

Heureusement pour moi, la truite que je convoitais est arrivée assez vite, tout juste un petit quart d’heure. Comme deux jours avant, elle est arrivée de l’amont pour venir se poster devant ce gros rocher, comme prévu quoi. C’est simple finalement cette pêche quand cela se passe ainsi. C’est assez incroyable les habitudes de ces truites. Des vraies métronomes.

J’avais bien entendu évalué mes chances de réussite. Bon, déjà, ce n’était pas un monstre non plus, juste un très joli poisson. Et puis surtout, le premier obstacle était assez loin. Donc si j’arrivais à la faire croquer, la suite devait bien se passer dans mon esprit en tous les cas.

Le coup était peu profond, 1.50 mètres environ. Le courant léger. La truite bien positionnée au fond. J’ai attendu un peu qu’elle mange, qu’elle s’active, mais je me suis vite dit que j’avais déjà bien assez attendu sans pêcher !

J’avais noué au bout de mon bas de ligne une bestiole pas trop plombée. Il me fallait fouetter sous la canne en gardant mon imitation en main. J’ai donc tout lâcher au moment où je le sentais bien. Dès que la nymphe à crever la surface de l’eau, je me suis dit : « c’est mort ». Pour moi, j’étais trop proche du poisson et l’impact de la nymphe allait la faire fuir. Pas simple de poser avec une grande précision de cette façon. Mon seul espoir était de laisser faire sans rien toucher. La nymphe a dérivé lentement sans que le poisson n’esquisse le moindre geste. Sauvé ! Enfin, en apparence. Parfois, la truite comprend tout de suite les erreurs du pêcheur sans lui faire comprendre et c’est au deuxième passage qu’elle quitte son poste tranquillement. C'est encore pire, dans ce cas là, un petit nom d'oiseau vole facilement !

Une fois ma nymphe très loin derrière la truite, j'ai ramèné ma soie très lentement vers moi afin de récupérer ma nymphe. De ce qu’on lit ici ou là, il aurait fallu que je change de nymphe pour ne pas réduire mes chances de réussite à néant. Mais là, j’étais persuadé d’être très mal passé. Ma nymphe avait dérivé pour moi bien trop haut et je pensais que la truite ne l’avait pas remarqué plus que ça. Cela reste des suppositions de pêcheur, rien de plus. On en a tous, parfois elles se rejoignent, parfois c’est tout le contraire, c’est ainsi. Quoi qu’il en soit et après avoir laissé passer encore quelques minutes, j'ai décidé de tenter ma chance de nouveau et ce, avec la même bestiole.

Cette fois-ci, j’ai réellement lâché ma nymphe au bon moment. Celle-ci est venue pénétrer dans l’eau exactement là où je le souhaitais. Bien sur, dérive inerte. Je ne me voyais animer ma nymphe avec si peu de courant dans une si faible profondeur. Quand j’ai vu la truite commencer à bouger, je me suis dit : « Là, c’est parfait ».

La belle zébrée s’est soulevée d’une dizaine de centimètres pour ouvrir un four béant avec une lenteur incroyable. Il ne fallait surtout pas être un stressé du ferrage car c’était un loupé dans les règles de l’art couru d’avance. J’ai bien attendu que cette gueule immense se referme pour tendre ma soie à l'aide d'un geste appuyé. Elle était au bout ! Rhooo, quelle sensation géniale de la voir se tourner sur elle-même comme si elle était dans un tambour de machine à laver. C’est toujours pareil avec les poissons d’une certaine taille, en tous les cas du peu que je connais de ce genre d’expérience. Très vite, elle s’est remise dans le courant avec une posture plus naturelle pour forcer mon nylon et tenter de le casser. Mais rien n’a eu raison de mon envie de la voir rentrer dans mon épuisette. La belle était là, à moi ! Etant moi-même dans l’eau, j’y suis resté pour qu’elle aussi y reste en permanence. J’étais persuadé pour le coup de faire une photo pourrie mais je m’en fichais. Cette histoire s’est déroulée début août et ma priorité était le bien être du poisson. Vous allez me dire, alors pourquoi l’embêter avec une photo ? Vous avez raison, mais j’avoue que c’est encore difficile pour moi de ne pas conserver un souvenir en image lorsque j’ai la chance de capturer un tel bijou. Cela viendra peut-être un jour. Je pense déjà avoir beaucoup évolué de ce côté là avec les années.

J’ai du coup bien pris le temps de la regarder lorsqu’elle reprenait ses esprits dans mon épuisette. Sincèrement, un poisson magnifique avec une gueule bien méchante.  Elle restera un grand souvenir pour le pêcheur que je suis et l’amoureux des truites sauvages jurassiennes. Et puis finalement, la photo est correcte et plutôt originale même.

Big head !

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