Aujourd'hui je vous publie un texte qui m'a été envoyé par un lecteur de ce blog. Il m'a beaucoup touché. Bonne lecture.
Je m'appelle Philippe et j'ai 67 ans. Il y a plus de cinquante ans, mon ami
Norbert m'a initié à une expérience qui allait marquer ma vie à jamais. J'avais
seize ans lorsque nous avons pris la route en direction du Jura français,
impatients et curieux. Notre destination : la rivière Bienne, au lieu-dit "La
Rixouse". C'était une première pour moi, et je ne savais pas encore que cette
journée scellerait un lien indéfectible entre moi et cette rivière.
Nous étions là pour pêcher à la mouche sèche, une technique élégante et
délicate, presque un art, technique que je pratiquais déjà depuis 2 ans, mais que
je ne maitrisais pas encore. Dès les premiers instants, le spectacle qui s'offrait à
nous me coupa le souffle. L'eau cristalline miroitait sous le soleil, serpentant
entre des berges verdoyantes, et partout, les poissons bondissaient hors de l'eau
pour saisir les mouches en surface. Jamais auparavant je n'avais vu une telle
abondance de vie aquatique. Nous avons pêché toute la journée, enchaînant les
prises, émerveillés par cette nature généreuse. Chaque lancer, chaque ferrage
était une émotion nouvelle, une découverte exaltante.
Cette première expérience n'était que le début d'une longue histoire d'amour
avec la Bienne. Année après année, saison après saison, Norbert et moi sommes
retournés sur ces berges, partageant des moments de complicité et de passion.
Peu importait le temps, qu'il fasse grand soleil ou que la brume matinale flotte
sur l'eau, nous retrouvions toujours cette rivière avec le même enthousiasme. La
Bienne était un sanctuaire, un refuge où le temps semblait suspendu. Elle nous
offrait des instants de plénitude que seule la nature sait offrir. Avec les années,
j'appris à en comprendre chaque méandre, à repérer les zones propices à la
pêche, et à adapter mes lancers en fonction des courants et des vents. Norbert et
moi partagions ces connaissances, perpétuant une tradition que nous avions
instaurée depuis notre première sortie.
Hélas, les années ont passé et la rivière a changé. La pollution, insidieuse et
implacable, a peu à peu fait son œuvre. Les eaux jadis si pures se sont troublées,
la faune s'est raréfiée. Là où autrefois les gobages étaient incessants, seuls
quelques rares remous trahissent encore la présence de poissons. Mon cœur se
serre à chaque visite, en constatant l'ampleur des dégâts. La Bienne, ma rivière
de cœur, n'est plus que l'ombre d'elle-même. Les causes de ce désastre sont
multiples : rejets industriels, pesticides, assèchement des sources. Pourtant, rien
ne semble être fait pour enrayer cette catastrophe écologique. Les anciens
pêcheurs du coin, ceux qui partageaient avec moi cette passion, se font de plus
en plus rares, désabusés par l'état de leur rivière bien-aimée.
Et pourtant, malgré cette désolation, je ne peux me résoudre à l'abandonner.
Deux ou trois fois par an, je reviens sur ses rives, comme on rend visite à un
vieil ami malade. Je n'y prends plus de poissons, mais ce n'est plus l'essentiel. Ce
lieu fait partie de moi, il est ancré dans mon histoire, dans mes souvenirs les plus
précieux. Assis sur un rocher, canne en main, je ferme les yeux et j'entends
encore le clapotis de l'eau, le bruissement des feuilles, le rire de Norbert quand
un poisson trop vif nous échappait. La rivière m'a tant donné qu'il est
impensable pour moi de l'oublier.
Ainsi, malgré les blessures qu'elle porte, la Bienne reste ma rivière de cœur. Et tant que je le pourrai, je reviendrai lui rendre hommage, la contempler, et me rappeler ce qu'elle fut, ce qu'elle m'a offert, et ce qu'elle signifie encore aujourd'hui. Peut-être qu’un jour, avec un sursaut de conscience et d’efforts collectifs, elle pourra renaître, retrouver un peu de sa splendeur d’antan. En attendant, je continuerai d’y aller, ne serait-ce que pour écouter le chant du vent dans les feuillages et sentir, ne serait-ce qu’un instant, le lien profond et indéfectible qui me lie à elle.
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