Maintenant que la pêche de la truite est fermée, il m’est plus facile de prendre du temps pour revenir sur mes années d’adolescent où je pratiquais le plus souvent la pêche en compagnie d’André Terrier. Je vais tenter durant la période de non pêche d’en écrire plusieurs.Si vous avez manqué les premiers récits, je vous invite à revenir en arrière en cherchant sur ce blog.

L’Angillon, petit affluent de la rivière d’Ain, était donc la rivière où André m’a fait prendre ma première truite sauvage avec une canne à mouche. Cette rivière, qui aujourd’hui n’est plus que l’ombre d’elle-même, était fantastique à l’époque pour un jeune pêcheur comme moi. Les truites étaient vraiment très nombreuses et surtout, elles étaient très gobeuses.

D’ailleurs, André accompagnait régulièrement des amis sur cette rivière qu’il préférait pratiquer aux autres durant le printemps à cause de son activité plus précoce. De nombreux pêcheurs venaient aussi pratiquer la mouche au mois d’avril sur cette rivière qui ne connaissait pas ou peu la fonte des neiges à comparer de ses plus proches voisines que sont la Saine ou la Lemme. Je croisais régulièrement l’ami Bruno Dupont que je salue bien fort si jamais il me lit. André a même fait un tournage pour Destination Pêche à l’époque en amont « des îles » au lieu-dit « les pierres plates ». Un endroit où il suffisait de poser sa mouche dans la veine centrale pour la voir disparaître dans la gueule d’un poisson.

Oui, André affectionnait énormément ce petit cours d’eau. A tel point que dès l’ouverture et si le niveau de la rivière le permettait, il allait faire les coups du soir en sèche après sa journée de travail à l’E.R .E.A. Si les niveaux étaient plus hauts, c’est sur le parcours de Crotenay qu’il allait lancer son vairon pour le manier devant le bec des truites. Quand il était à l’Angillon, c’était facile de le savoir en fait. La rivière traverse la route qui relie Crotenay à Champagnole au lieu-dit « l’ancienne piscine ».  On peut encore y voir les vestiges de l’ancienne piscine municipale de Champagnole où les gens se baignaient directement dans la rivière.  

De mon côté, durant cette période, j’étais scolarisé au collège des Louataux à Champagnole. Le soir, après les cours, je n’avais qu’une seule obsession.  Prendre une place dans le bus côté opposé au chauffeur dans le but d’avoir une bonne fenêtre visuelle sur le parking qui était situé juste au bord de la rivière et donc de la route. Tous les soirs de la semaine, je regardais. Et c’est souvent que je voyais l’Alfa Roméo grise d’André garée à cet endroit.

Un soir, alors que j’avais vu la voiture d’André, je suis allé le rejoindre, mais sans ma canne, juste pour le plaisir de le voir pêcher, ce que je faisais souvent. C’est d’ailleurs de cette façon que j’ai le plus appris de lui. Si j’avais passé le temps que j’ai eu à ses côtés uniquement à pêcher, je n’aurais pas pu tout voir, pas pu tout emmagasiner et donc apprendre un maximum de ce pêcheur hors normes.

De plus, André était très communicatif. Il parlait volontiers en pêchant, il lui arrivait même souvent de chanter lorsqu’il était seul, ou se croyait seul…J’ai quelques anecdotes assez marrantes aussi à ce sujet. Pour la parenthèse, une fois, je l’ai observé sans qu’il le sache une bonne heure alors qu’il pêchait à vue les ombres en amont du viaduc de Syam. C’était un très grand moment que de le voir avec son grand chapeau en feutre noir en chantant tout en essayant de capturer les gros ombres qui se cachaient à « l’ombre » des gros blocs rive gauche.

Mais revenons à mon histoire du jour. Je suis donc arrivé à l’ancienne piscine pour remonter la rivière à pied rive gauche dans les grandes pâtures de la ferme des îles. Je me doutais bien où pouvait-être André. Sur l’amont du parcours, il y a un petit plat où les gobages de truites étaient omniprésents. C’était juste incroyable. J’ai vu là-bas gamin des choses extraordinaires que je ne verrais certainement plus.  C’était un passage obligé. En aval d’une passerelle, il y a à la fin du plat toujours rive gauche, une sorte de petit enrochement. Les truites étaient tout le temps en bonne place à cet endroit. Les gobages forcément nombreux.  

Ce soir là, les fameux gobages étaient présents comme à leur habitude. J’ai vu André de loin bien à l’endroit où je l’avais imaginé être. Je me souviens très bien que la pêche était difficile comme souvent les soirs d’avril. Il arrive qu’au tout début du printemps, en particulier le soir, que seul des petits chironomes soient sur l’eau. Du coup, même là-bas, les truites étaient chipoteuses. Mais André s’en sortait très bien comme à son habitude. Il avait une imitation avec un corps en vautour fauve teinté à l’acide picrique et quelques fibres de croupion de canard naturel monté sur du 18 ou 20, cela faisait largement l’affaire surtout avec le savoir faire qu’il possédait.

Toutes les truites ou quasiment du lisse finirent par prendre la mouche d’André. C’était redevenu calme tout à coup après toutes ses prises. L’heure de rentrer à la voiture était venue. André traversa la rivière pour rejoindre et nous commencions à marcher. C’étaient des instants de vie privilégiés pour moi. Je l’écoutais et le regardais comme un gamin fan de foot qui se serait trouvé aux côtés de Léo Messi par exemple.  

Notre marche n’a pas duré bien longtemps ce soir-là. Devant nous, à une centaine de mètres pour être plus précis, se trouvait un gros taureau charolais. La bête, musclée et impressionnante à souhaits nous faisait face en nous barrant le chemin par la même occasion. Elle n’avait pas vraiment l’air de vouloir négocier si vous voyez ce que je veux dire. J’ai toujours été de mon côté assez craintif vis-à-vis de ces bestioles. André n’était pas rassuré non plus. On décida donc de rebrousser chemin grands téméraires que nous étions et que je suis toujours pour traverser la rivière sur la passerelle plus en amont. Sur l’autre rive, point de taureau !

Le truc, c’est qu’il fallait de toute façon retraverser la rivière de nouveau pour atteindre le parking où était garé André. Facile pour lui, il était en waders, moi non. C’est là qu’il me proposa de monter sur son dos. Un grand, un très grand moment dont je me souviens comme si c’était hier. Je faisais déjà un bon poids et André n’avait pas la carrure d’un haltérophile. Je le sens encore vaciller en traversant le radier  qui nous séparait de la rive gauche. Mais André a bien tenu et je suis arrivé de l’autre côté au sec.

On en a ri tous les deux. C’est le genre de souvenir qui reste…Même après plus de vingt ans.