Nous voilà arrivés en plein cœur de l'automne, c'est donc le bon moment pour recommencer les interviews sur ce blog. Vous connaissez forcément mon invité, soit en tant que journaliste halieutique du célèbre magazine Plaisir de la Pêche en autres, soit en tant que monteur de mouches renommé ou encore comme guide pêche. Matthieu est un garçon complet, passionné à outrance par le monde de la pêche à la mouche. Pour une première en cette arrière saison, je vous ai gâté ! Bonne lecture...


Nicolas : Salut Matthieu, peux tu nous faire une petite présentation pour commencer cette interview, merci.

Matthieu : Salut à toutes et tous. Je suis originaire d’Épinal dans les Vosges et un vieux pêcheur de 37 ans ! ;) Ma formation première est préparateur en pharmacie mais malheureusement la pêche à la mouche m’a fait dévier. J’habite depuis peu de nouveau à Épinal.

Mon invité avec une Carangue ignobilis de 1,03m capturée à pied à la mouche sur l'île de Desroches. Ça remet le backing bien en ordre et tendu sur le moulin .

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Matthieu avec un des rares clients français qui l'ait guidé avec un magnifique mahi-mahi pris à la mouche en bluewater. Atoll de Saint Jospeh, Seychelles.

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Nicolas : Tu as commencé à te passionner pour la pêche alors que tu avais une dizaine d’années. Quel a été le facteur déclencheur ?

Matthieu : Je ne sais pas trop quel a été le facteur déclencheur. Gamin, j’étais attiré par les perches qui se cachaient sous les barques à l’étang de Bouzey (lac artificiel proche d’Épinal) lorsque ma famille y passait les après-midi lors de week-end ou vacances. Je passais des heures assis à côté de barques à scruter les moindre gestes de ces perches et aussi des pêcheurs. Finalement, c’est l’attrait pour les poissons en général, je suppose, qui fût le facteur déclencheur.

Une belle de mai tout juste sortie de l'eau. Rivière Aulne, Bretagne.

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Nicolas : La pêche à la mouche est venue quelques années plus tard…On te définit parfois comme un autodidacte, est ce vrai ?

Matthieu : J’ai eu la chance de pratiquer beaucoup des techniques (mort manié, cuillère, toc, vif, au coup, à l’anglaise, etc.) avant de pêcher à la mouche. Je ne disposais que de 3 cannes à l’époque (1 au coup, 1 lancer télé-réglable, 1 lancer ultra-léger) ce qui doit paraître incroyable maintenant à certaines personnes, mais j’en ai scotché du fish. Je crois toujours que de se tenir au minimum en terme de matériel apporte autant de succès. La technique de pêche, la lecture de l’eau et surtout la présentation sont les clés.

Puis j’ai rencontré un pêcheur à la mouche de Haute-Saône une après-midi sur un parcours de la Moselle en première catégorie (Arches) alors que je pêchais à la cuillère. Nous avons échangé lors de  notre pause déjeuner et il m’a mis une canne à mouche dans les mains en me montrant deux ou trois gestes pour le lancer. Je ne me souviens plus du tout de son nom mais je ne le remercierais jamais assez.

Les semaines suivantes, je suis allé à la bibliothèque municipale et j’ai retiré les ouvrages disponibles sur la pêche à la mouche afin de les lire et les mémoriser. T’es prêt à rire Nicolas ? : L’art de la pêche à la mouche sèche de Jean-Paul Péquegnot et La pêche à la mouche de Lord Grey of Fallodon.

J’ai reçu ma première canne à mouche, une Browning First 9’ #5, en cadeau de Noël. A partir de ce moment, je me suis mis à tenter les truites et ombres en sèche sur les coins que je connaissais. Mon lancer laissait vraiment à désirer en y repensant. Mais bon avec de l’application, j’en prenais avec une grosse part de poisson blanc aussi.

Puis je suis devenu ami avec le fils de mes revendeurs d’articles de pêche sur Épinal. De là, une émulation s’est créée et nous avons évolué un peu comme un binôme. Je dois aussi beaucoup à un ami Luxembourgeois qui m’a appris la double traction et surtout corrigé beaucoup de mes défauts acquis par cet apprentissage autodidacte.

Sur le Lough Muck, les fario n'étaient pas bien grosses mais elles arboraient des robes extraordinaires. De véritables joyaux ! Scan de diapositive. Irlande.

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Paré de ses couleurs automnales, ce saumon m'a livré un combat superbe. Rivière Elorn, Bretagne.

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Nicolas : Le montage de mouche est arrivé naturellement, c’est d’ailleurs par cette façon que tu as commencé à te faire connaître du grand public. Comment  as-tu appris cette discipline et quels sont les monteurs qui t’ont inspiré ?

Matthieu : Étant d’un milieu modeste, mes parents ne pouvaient pas me payer les mouches et tout le reste, alors j’ai toujours pris grand soin de récupérer mes mouches !!! Et à moins d’être idiot, le calcul était vite fait entre acheter des mouches ou les monter question finance. J’ai donc économisé et petit à petit je me suis acheté les basics afin de réaliser les mouches sèches que j’utilisais.

C’est avec Dimitri, le fils de mes détaillants, que j’ai appris le montage de mouche. A l’époque, nous avions comme livre de bord un ouvrage des Éditions Ouest-France dont je ne me souviens plus du nom à par que les images ne correspondaient pas tout le temps avec les légendes des étapes de montage !! Puis c’est la lecture des hors séries Pêche Mouche à l’époque mais surtout les pages de montages dans Plaisirs de la Pêche écrites par Philippe Dolivet et Jean-Claude Lacan. Ces deux là avaient des montages qui sortaient totalement des sentiers battus. Ensuite je me suis acheté des livres américains sur le montage et sur les salons de pêche j’ai été impressionné par 3 monteurs qui sont Michel Flenet, Charles Jardine et Jean-Paul Dessaigne. Ce sont des personnes simples, ouvertes, marrantes, très techniques dans leur montage et surtout leurs mouches pêchent aussi !

Après ce fût de l’entraînement à l’étau et une curiosité sur toutes les utilisations imaginables de chaque matériau. Personnellement, j’ai toujours favorisé la durabilité d’une mouche à sa rapidité de montage. Puis petit à petit j’ai mis au point des trucs afin de gagner du temps. Lorsque tu pêches le brochet, les matériaux sont onéreux et les mouches demandent une bonne quantité de ces derniers. Si tu les montes n’importe comment après 2 ou 3 brochets tout part en sucette et t’es bon pour une nouvelle mouche. J’ai déjà pris 28 brochets avec la même mouche et elle pêchait encore minus quelques brins de flash et de bucktail. Pour les salmonidés c’est la même histoire, qui n’a pas  eu des nymphes dont le casque tourne autour de la hampe, le streamer qui a la queue qui se positionne de travers après quatre truites puis se détricote ?

Aujourd’hui, je suis toujours inspiré par beaucoup de monteur américain ou anglais comme Tim Borski, René Harrop, Charles Jardines, Bob Popovic pour ne citer que quelques-uns. Mais je ne pêche malheureusement plus autant en rivière qu’auparavant et je reste fidèle à quelques modèles éprouvés. Je n’ai plus le temps de m’immerger autant dans le montage pour le fun…quoique j’aimerai me lancer dans le monde des tube flies. Bon là, faut que j’aille au saumon car pour le sailfish c’est trop facile à monter et tu n’as pas besoin de techniques vraiment particulières.

Prendre de la hauteur c'est bien pour attaquer certain poisson, un peu plus casse gueule si c'est pendu ! Basse rivière d'Ain, Jura, France.

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Jump ! Jump ! Jump ! Non ce n'est pas House of Pain mais un baby tarpon (40 lb) de Cuba. Casa Batida, Cayo Largo, Cuba.

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Nicolas : Quelles sont les rivières qui t’ont vu toi et tes mouches pour la première fois. Si tu as une petite anecdote, n’hésites pas à la partager.

Matthieu : La première rivière qui a vu mes mouches est la Moselle en plein cœur d’Épinal. Malheureusement depuis 15 ans, ce parcours a été détruit afin de niveler le fond pour l’école de canoë kayak…les ombres et truites ont disparus. Avec un vélo, j’allais un peu partout en première catégorie jusqu’à Archette sur la Moselle mais bon plus en amont cela restait un rêve inaccessible car trop loin en vélo. Puis avec des amis, je suis allé sur la Vologne où j’ai eu de très belles parties de pêche.

Les Spinaliens m’ont vu en bottes en pleine ville aller à pied sur les parcours de seconde catégorie et même plus tard en waders néoprène afin de traquer les ombres en décembre.

Mon rêve de voir et pêcher la Loue se réalisa lorsque j’avais 18 ans grâce à un ami, aujourd’hui perdu de vue, qui m’amena chez Sanso depuis la gare de Besançon. Cela changea pour toujours ma vision de la pêche des truites et ombres.

Par chance, le parcours mouche d’Épinal fut créé et il est juste sous les fenêtres de mes parents…ça aide à évoluer tout autant que cela distrait !

La Moselle en aval d'Epinal et ses paysages en livrée automnale. Magique de pêcher les ombres dans un tel environnement en dépit du froid en Novembre. Scan de diapositive. Vosges, France.

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José, un ami parti bien trop tôt, combattant un bar leurré à vue. La Sage Xi2 #9 ça peut plier si on sait s'en servir ! Finistère, Bretagne.

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Nicolas : Lors de tes débuts, tu vas vite te rendre compte que l’on peut prendre autre chose qu’une truite ou un ombre avec une canne à mouche, comme des carnassiers. C’est essentiel pour toi de tenter des choses différentes ?

Matthieu : Mes premiers poissons à la mouches furent les chevesnes, les vandoises puis les ombres et les truites dans l’ordre chronologique. Je me suis donc dit que tout ce qui nage devait être prenable à la mouche. Puis en pêchant en roulette, j’ai capturé mes premières perches. Encore une fois ce fût grâce au magazine Plaisir de la Pêche avec les articles de Jacky Roehrig sur le brochet qui m’ont convaincu de me lancer sur les carnassiers à la mouche. J’avais 19 ans et je me suis payé en liquidation une Sage RPL 9’ #9 en 2 brins qui va en voir de toute les couleurs durant pas mal d’années à la traque du brochet tant en rivière qu’en étang ou lac.

Comme j’habitais en face du parcours mouche d’Épinal, je voyais tanches, perches, hotus, barbeaux, carpes, brèmes, truites, brochets tous les jours. Je me suis dit qu’il fallait essayer un truc afin de les “coincer“. Je me suis mis à pêcher les premiers en nymphe à vue et le dernier au streamer très assidûment. Il est excitant de réussir à faire prendre des mouches à des poissons que peu ou pas de personnes ne pêchaient à l’époque en France. C’était tout autant une démarche de curiosité intellectuelle que de perfectionnement afin de comprendre ces poissons et d’affiner ma propre technique.

Être polyvalent dans la pêche à la mouche permet de pouvoir s’adapter à différentes situations que ce soit en eau douce ou salée. Le pêcheur qui se cantonne au même style ou technique se prive de belles émotions tout autant qu’il loupera des occasions de sortir de son carcans, c’est comme posséder une vision monochrome.

Un bar avec une robe bronze superbe. Finistère, Bretagne.

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Nicolas : Aujourd’hui, la pêche est ses différentes activités comme le guidage est devenu un métier pour toi. Cela a toujours été une évidence ou c’est venu par hasard ?

Matthieu : Avec le recul, je n’avais jamais osé imaginer que je pourrais travailler dans la pêche. J’ai eu la chance de rencontrer des personnes comme Philippe Dolivet, Olivier Lauzanne, Stéphane Warnier, Philippe Boisson ou Philippe Le Maux qui m’ont fait confiance. J’exerçais ma profession de préparateur en pharmacie tout en réalisant des piges pour Plaisirs de la Pêche et un jour Philippe Dolivet m’a proposé de travailler pour le magazine.

Je n’ai jamais poussé les choses, mais des personnes sont venues me contacter.

C’est la même chose pour le guidage aux Seychelles. J’étais dans une période de transition entre la fin de mon contrat à Pêches Sportives et mon futur travail au magasin Au Fil de l’Eau lorsque j’ai reçu un SMS de Stéphane me demandant ce que je faisais sur une certaine période. Ma réponse fût : “Rien, je suis au chômage.“ et la sienne : “J’ai besoin d’un guide pour les Seychelles.“……depuis je suis entré dans le guidage international. C’est très aléatoire en dépit de compétences très pointues et d’une éthique de travail qui rebuterai plus d’un.

La brume avec la fumée du feu de camp s'allient au coucher de soleil pour nous gratifier de cette belles vision. Calérie, Russie.

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Ça sautait de tous les côtés et nous avons fait zéro ! Le saumon atlantique est pour le moins fantasque. Rivière Slaney, Irlande.

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Nicolas : Les voyages forment la jeunesse comme on dit. Je crois que cela a été ton cas, tu as voyagé un peu partout très jeune. Je suppose que ces différentes expériences t’ont permis de grandir très vite en tant que pêcheur.

Matthieu : Je me suis déjà frotté aux poissons de ma grande région Est et cela grâce au Club Vosges Mouches dont Bertrand Jacquemin était le président à l’époque et quelques amis. Nous allions en réservoir mais aussi en rivière. Puis sont venus les voyages hors Hexagone. A chaque fois, tu dois te remettre en question, trouver les poissons, comprendre ce qui marche ou pas et analyser pourquoi. Cela est valable tant au niveau des mouches que des postes où se trouvent les poissons.

Je me souviendrais toujours de la première fois où j’ai pêché des arc. Nous étions en Autriche à l’hôtel Sonne sur la Petite Drau. Je prospectais minutieusement les trois premiers mètre de chaque bordure en sèche quand le fils du parton de l’hôtel me dit de pêcher les courants… Là je l’ai regardé surpris de ça demande ! Au quatrième passage sur une veine sans cache ou poste, j’ai ferré une arc moyenne. Et oui, les arc se tiennent en plein courant même lorsqu’il s’agit de poissons sauvages. Lorsque j’ai remis la truite à l’eau, j’ai pensé : “Mais quel con, tu as marché sur pas mal de poisson !“.

Pour le montage de mouche, ce fût pareil. Je fabriquais une belle quantité de mouches spécifiques pour chaque place que nous visitions et emportais un kit de montage. Je devais donc maîtriser pas mal de technique spécifique de montage. Cela était bien avant l’avènement d’Internet et ses blogs de montage ou vidéos. Je lisais avec avidité des revues anglo-saxonnes et surtout américaines tout en passant un nombre incalculable d’heure devant mon étau à essayer des trucs de montage ou les améliorer.

Je dois beaucoup à ces voyages et aux traditions de montage de pêcheurs ou guides que nous y avons rencontrés mais les échanges ont été dans les deux sens également.

Une belle truite fario de la rivière Beaverhead prise en nymphe. Montana, Etats-Unis.

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En allant pêcher un rapide en Carélie Finlandaise. Scan de diapositive. Carélie, Finlande.

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Nicolas : On pourrait facilement te coller une image de Globe-trotter. Tu as dû faire un grand nombre de rencontres. L’exercice va être difficile, mais cite nous celles qui t’ont le plus marqué et pourquoi ?

Matthieu : Globe-trotteur : N’exagérons rien ! Il me manque beaucoup de pays dont la Nouvelle-Zélande, la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie Française plus 2 ou 3  atolls vraiment perdus au milieu de nulle part ! Bon oui j’ai voyagé dans pas mal de pays lorsque je travaillais à Plaisirs de la Pêche. Malheureusement lorsque tu es en reportage, tu as un itinéraire à suivre et tu n’as pas le temps de te disperser. Nous partions au plus une semaine avec beaucoup de rivières à pêcher, nous étions à fond. J’ai eu la chance de rencontrer quelques personnes fantastiques, mais tu n’as pas vraiment le temps d’échanger. Ce n’est pas comme lorsque tu vas en vacances ou travailler longtemps sur une destination. Là tu pars plus relax et aussi tu as le temps d’aller à la rencontre de l’autre.

Il y a bien entendu quelques clients exceptionnels à tout point de vue mais il s’agit toujours d’une relation un peu professionnelle à part pour quelques uns.

Mais mes plus “belles“ rencontres sont aux Seychelles. Serge Samson, guide sur la concession d’Alphonse depuis maintenant 14 ans, que je considère comme mon frère jumeau. Oui ça paraît plutôt incroyable mais c’est vrai. Nous avons la même éducation, vision des choses, les même principes et depuis notre rencontre nous avons toujours pu compter l’un sur l’autre. Nous sommes nés la même année également. Lorsque nous pêchons ensemble, il y a quelque chose de spécial qui se crée. Nous n’avons pas besoin de réellement communiquer afin de connaître ce que va faire l’autre ou ce qu’il recherche.

Ensuite, il y a Pierre-André Adam qui est coordinateur des projets scientifiques à Island Conservation Society Seychelles. Il ne pêche pas à la mouche ni même aux techniques traditionnelles. Ce qui nous rapproche c’est notre passion pour l’environnement et sa connaissance ainsi que sa protection aux Seychelles. Je suis plutôt ébahi ou plutôt impressionné par sa vision et sa culture sur ce sujet tout autant que sa droiture.

D’une manière générale, je me sens tellement privilégié de pouvoir guider pour différentes organisations implantées aux Seychelles que j’ai envie de partager mes connaissances avec ce peuple et le gouvernement qui m’autorise à venir travailler au sein de leur pays dans des endroits exceptionnels. Je crois que c’est cela aussi qui me rapproche de ses deux amis et des autres.

 

Mon premier milkfish, il restera comme mon meilleur souvenir de pêche en mer. Merci à toi Serge !!! Combat incroyable de 12 minutes en 30 lb sur soie de 12.

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Souvent mal aimés et sous estimés, les requins sont pourtant d'âpres combattants. Atoll de Saint Joseph, Seychelles.

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Nicolas : Même genre de question mais un peu à l’envers. A travers tes lectures par exemple, tu as certainement des pêcheurs avec qui tu aurais aimé partager du temps au bord de l’eau . Quelques soient les époques où ils ont vécu, quels sont ces pêcheurs ?

Matthieu : Le premier est malheureusement parti trop tôt : Norbert Morillas. J’imagine que tous les pêcheurs français ont lu de ses articles ou tout du moins entendu parler de lui. Je l’ai vu deux fois lors de salon de pêche à Paris. Il n’y était pas dans son élément comme moi. Nous nous sommes regardés, dit bonjour et rien d’autre. J’aurais tant voulu le voir pêcher car on apprend tellement plus à regarder pratiquer de très bons pêcheurs plutôt que de pêcher leur côté. Puis bien entendu, partager des parties de pêche avec lui et Philippe Boisson. C’était une personne brillante à tout point de vue.

Je rêve aussi de rencontrer Yvon Chouinard, fondateur et boss de la compagnie Patagonia, car il doit être une personnalité exceptionnelle avec un vécu incroyable. Je le respecte énormément par rapport à la manière dont il dirige sa société et sa vision du monde. D’après deux clients qui le connaissent c’est justifié.

Les deux suivant sont un père et son fils. Bien entendu, ils sont pêcheurs mais leur métier est guide en Floride. Ce sont Steve et Dustin Huff. Ces guides sont bookés d’année en année. Steve, le père, ne prend plus de client à moins qu’un décède !  Quand à Dustin, il a fait prendre à 13 ans son premier tarpon à un client en polant un flat boat. A eux deux, ils possèdent un savoir exceptionnel sur les Keys. J’aimerais pouvoir comparer certaines de mes expériences et connaissances des Seychelles avec les leurs et faire des recoupements de comportements des bonefish ou permit.

 

Remise l'eau d'un joli requin citron (1,86 m). Atoll de Saint Joseph, Seychelles.

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Nicolas : Avant de parler eau salée, restons encore un peu à l’eau douce. Quel est ton top trois des rivières françaises que tu as pratiquées et pourquoi ?

Matthieu : La première est sans conteste la Loue. Tragiquement, elle n’est que l’ombre d’elle-même. J’ai des souvenirs incroyables tant de pêche que de partage avec des amis et copains. Sa beauté intrinsèque et celle de la vallée l’entourant sont toujours là à part les poissons. Comme dans beaucoup de cas c’est un tout qui fait que nous aimons ou apprécions une personne ou un lieu. Cette rivière m’a vu “grandir“ techniquement et m’émerveiller à ce que la nature peut offrir. Mais aujourd’hui la magie est brisée. Je me souviens d’y avoir été pêcher la dernière fois en mai 2009 et d’avoir pleuré en voyant les fonds sur Cléron et Chenecey-Buillon. Capturer des poissons dans ces conditions, je me sentais un peu comme un sniper tirant sur un blessé dans une ambulance. Je me sentais coupable. Je m’y suis juste arrêté en juin 2011, je l’ai observée restant abasourdi. Je ne comprends pas la bêtise, les mensonges et les manquements des administrations tout autant que la technique de l’autruche que les habitants de cette région appliquent.

Je mettrai les Sorgues du Vaucluse en seconde position. Celle de Fontaine-de-Vaucluse est ma préférée. L’eau y est incroyable. Je me souviens me mettre à genoux et observer des porte-bois évoluer dans 4 mètres de fond. Un truc incroyable tout autant que les truites sortant des algues et se positionnant dans une de ces micro-veines sous plusieurs mètres d’eau. Tu réalises une dérive de 3 à 5 mètres et à l’animation tu vois la truite qui monte d’un très gros mètre pour inspecter ou prendre ta nymphe alors que tu t’imaginais pile dans la profondeur. Cette rivière donne une autre perspective à la pêche à vue tant en nymphe qu’en sèche. Je n’y suis pas retourné depuis huit ans par faute de temps (aussi d’argent pour y descendre depuis la Bretagne ou les Vosges) mais je pense bien y jeter un œil tantôt.

La dernière sera, bien entendu, la Moselle. Je lui dois tout ou presque. Depuis que je suis bébé, j’ai eu la chance d’habiter au bord d’elle à Epinal en dépit de plusieurs déménagements. C’est peu être aussi pour cela que je suis attiré par l’eau qui bouge. Le parcours mouche d’Epinal possède toujours une attraction exceptionnelle pour le pêcheur qui ne s’enferme pas dans une technique ou une seule espèce. Je connais peu d’endroit d’une même rivière sur une distance si courte où il est possible de capturer autant d’espèces de poissons dont la truite fario et l’ombre.

Des poissons extraordinaires ces milkfish. Ils sautent et font des rushs incroyables pendant très très longtemps. Pour celui-là le combat dura 48 minutes.

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Nicolas : La pêche à la mouche en mer, un autre monde je suppose ?

Matthieu : En dehors de la puissance des poissons rencontrés, le plus difficile à gérer sont les marées. Puis tu as les biotopes qui varient bien plus qu’en rivière mais tout autant d’un flat à un autre sur le même atoll. En venant de la rivière, tu as une tonne de nouveaux paramètres à digérer et rentrer dans l’équation afin de trouver les poissons. En plus ils ne t’attendent pas car ils sont en mouvement constant à la recherche de leur nourriture. Comme je dis aux clients : “Ici, les poissons et les marées sont comme les trains ou les avions, ils ne vous attendent pas. Vous êtes en retard sur un spot et bien c’est vide !“.

En bluewater, il pourrait sembler que les marées n’ont que peu de d’incidence sur le résultat de la pêche par rapport aux flats. Il en est rien et en plus tu as l’impression de pêcher dans une piscine interminable !

Ce qui est exceptionnel en mer, c’est la vie incroyable que tu rencontres et avec les marées c’est comme si tu sentais la Terre respirer et expirer lentement.

Des fois, je pense que je suis blazé à croiser des tortues tous les jours, voir des dauphins, des raies manta mais c’est en quittant ce milieu que je réalise que tout cela me manque. Je suis devenu addict ou plutôt la mer est devenu l’endroit où je me sens en phase avec moi-même et les autres.

Mon plus beau permit à ce jour qui m'a gratifié d'un combat d'anthologie à cause de deux requins. Atoll de Saint Joseph, Seychelles.

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Aux Seychelles, les cannes souffrent....une #14 cassée au ferrage d'un espadon voilier. Le sailfish a tourné au même temps qu'un ferrage plutôt appuyé. Ile Assumption, Seychelles.

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Nicolas : Si tu devais retenir un seul poisson dans ce monde d’eau salée que tu as eu la chance ou que tu rêves de prendre, lequel et pourquoi ?

 

Matthieu : Je te dirai bien le miklfish mais ce dernier ne va pas prendre ta mouche car il veut la manger donc oui je vote pour le permit.

Tu peux être le meilleur lanceur, technicien, monteur, tacticien, il te fera un joli doigt. Je me suis retrouvé avec des top clients et les guider sur plus de 71 permit sur Poivre en une journée sans rien à part un ou deux suivis ! Je te promets, tu te poses des questions sur ton guidage, tes mouches, le bas de ligne, le bout de corail qui a craqué sous tes chaussures de flats… Tu deviens dingo ! Nous avons la chance aux Seychelles d’attaquer ces poissons uniquement à pied et des fois dans le surf.

Un ami, guide exceptionnel, me disait : “Je vois un permit et de l’autre côté il y a 3 bonefish, je vais avec le client prendre les bonefish sans lui montrer le permit. J’aime les poissons qui prennent la mouche ! Bon s’il y en a deux là ok, j’y vais.“. Tu ne sais pas pourquoi des jours ils vont vouloir prendre les mouches et d’autres ils les ignorent au plus haut point.

Certaines personnes te disent qu’ils n’ont pas vu la mouche alors que toi tu l’as bien vu devant leur nez ! D’ailleurs il est incroyable de voir monter sur un flat blanc immaculé deux ou trois permit qui ensuite se séparent. Le client en attaque un, les autres sont au moins à 200 mètres sur le flat. Le permit prend peur car il n’aime pas la mouche ou parce que le client pose mal et il s’enfuit. Et bien soit sûr dans plus de 85 % des cas, les autres se barrent du flat. Ils ont donc vu ou senti leur compagnon partir. Donc ta jolie mouche, ils l’ont vue ou sentie et ils s’en tapent le coquillard !

Ce que j’aime c’est la technicité de cette pêche car tu dois poser juste, ajuster rapidement tes lancers et posés par rapport aux déplacements du poisson (c’est encore pire dans le surf), striper ta mouche en lisant les réactions du permit. Et au final c’est lui qui décide même si tout est à 100 % nickel. Je trouve cela plus juste au lieu des poissons qui prennent à tous les coups si tout est top.

 

Matthieu : Serge Samson avec sa très belle GT (1,17 m) capturée dans le lagon de Saint-François. Les jours de repos ont du bon ! A mon avis ma plus belle image, rien n'a été photoshopé. L'expession de Serge est incroyable et révèle sa personnalité ainsi que sa communion avec le milieu. Seychelles.

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Matthieu : Espadon voilier capturé à la mouche par un client Anglais guidé par mes amis Seychellois et moi. Le skipper fait beaucoup lors des combats, il est venu s'assoir en premier plan. Fantastic team! Atoll de Poivre, Seychelles.

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Nicolas : Avec le recul et en ayant pratiqué un peu partout en eau douce et salée. Où va ta préférence, la mer ou la rivière ?

Matthieu : C’est un choix difficile. Je dirai que je n’ai pas de préférence dès que les milieux où je vais pratiquer sont sains et avec des poissons sauvages. Je me rends compte qu’à force de rester dans des endroits qui sont restés quasiment exempts de main mise humaine, je suis devenu très difficile. Malheureusement, je me sens écoeuré par les agressions multiples que connaissent les milieux marins et les rivières, ce qui ne me motive pas pour aller à la pêche par peur de mettre plus de stress à ces poissons déjà en souffrance.

Belle GT capturée par un client Anglais en fin de montante côté océan sur Grande Terre. Atoll de Cosmoledo, Seychelles.

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Les permit indo-pacifique ont la robe dorée au contraire de leurs cousins atlantiques. Atoll de Saint Joseph, Seychelles.

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Nicolas : Merci Matthieu d’avoir pris le temps de répondre à mes questions et j’espère te revoir un de ces jours un peu plus longtemps que la dernière fois.

 

Matthieu : Merci surtout à toi de m’avoir proposé cette interview et à tes lecteurs qui auront eu le courage de me lire jusqu’au bout. Je tiens à te féliciter pour tes combats en faveur des rivières et j’espère que tu reçois le support de personnes bien autres que juste les pêcheurs car ce sont elles qui pèseront dans la balance des administrations. Oui moi aussi, j’espère avoir le temps de partager une ou plusieurs parties de pêche avec toi et tes enfants ce sera plus sympa qu’un salon ! ;)

Matthieu est un garçon extraordinaire et pour parler de lui, il fallait quelqu'un tout aussi exceptionnel. Philippe Boisson a bien voulu écrire quelques lignes au sujet de Matthieu qui je le pense, appréciera...

Philippe Boisson: Pour moi qui suit un monteur de mouches “classiques”, Matthieu a toujours été un modèle, sinon un mystère, car je suis bien incapable de rivaliser avec lui. Pour autant, qu’on ne s’y trompe pas, ses mouches sont faites pour pêcher et non pour finir dans un cadre au- dessus de la cheminée. Cela vient, je pense, du fait que Matthieu a toujours côtoyé de grands pêcheurs à la mouche qui ne pratiquent jamais avec des imitations hyper réalistes. Son expérience de guide aux Seychelles s’ajoute aujourd’hui à celle de pêcheur de truites et d’ombres, de bars et de saumons. Bon d’accord, Matthieu est tellement passionné par la pêche à la mouche que parfois, il lui arrive de perdre le fil de ce qu’il était en train de vous d’expliquer… C’est assez insupportable, mais tellement beau de voir que cette passion ne prend pas une ride !