Je suis heureux de recevoir pour cette nouvelle interview un invité pas comme les autres. C'est un jeune homme que je connais très bien et que j'apprécie particulièrement. Souvenez-vous bien de son nom, parce que ce qu'il fait à son âge est tout simplement incroyable et hors du commun. Autant rentrer dans le vif du sujet immédiatement.

Nicolas : Salut Victor, tout d'abord et comme le veut la tradition, une petite présentation, sans oublier ton âge bien sûr!!

Victor : Bonjour, je m'appelle Victor CAILLE. J'habite à CHAMPAGNOLE dans le Jura à quelques mètres du parcours « le plat de l'hôpital », pour ceux qui connaissent !!
J'ai 12 ans et je pêche depuis 5 ans, mais cela fait 3 ans que je pratique la pêche à la mouche, surtout la nymphe à vue.

Au fait, Victor, c'est lui!!
Victor 4

Nicolas : Tu as une histoire assez particulière. Bien que ton papa soit pêcheur, c'est plutôt toi qui t'es découvert seul une passion pour la pêche à la mouche et qui du coup a remotivé ton père. On voit souvent le contraire, comment t'es venue cette passion qui est pratiquement devenue une raison de vivre si je ne me trompe pas ?

Victor : Non Nicolas, tu ne te trompes pas. Effectivement, je pêche énormément seul. Je passe des fois des journées entières, seul, enfin non … avec mes truites !!
Mais je pêche aussi régulièrement avec mon père ou encore avec mes amis comme Titouan qui, et je les remercie, me suivent dans mes aventures au bord de la Haute Rivière d'Ain.

Victor avec sa première truite de 50cm, prise en NAV à 10 ans!!
1ere50cm

Nicolas : Du haut de tes 12 ans, tu as déjà quelques saisons derrière toi. La plupart des jeunes de ton âge vaquent à d'autres occupations que la pêche. Alors pourquoi la pêche à la mouche et qu'est-ce qu'elle t'apporte ?

Victor : Et bien parce que je trouve cela magique la pêche à la mouche. Moi, ce que j'aime, c'est de partir à l'aventure, me glisser dans des coins que je n'avais jamais vu.
C'est aussi être dans la nature, le bruit de la rivière, le chant des oiseaux, mais surtout les truites !

En plein combat!
tof franck1

Nicolas : Je te côtoie assez souvent pour pouvoir évaluer ta progression. Elle est fulgurante. Et toi, te rends-tu compte de tes progrès ? Où vas-tu chercher les éléments qui te permettent de t'améliorer au jour le jour ?

Victor : Et bien non, je pense que je ne me rends pas compte de mes progrès, car j'ai toujours pêché des poissons d'une « faroucheté » incroyable. Et donc, pour moi, c'est normal d'arriver à prendre ces poissons. Je pense que c'est ce qui me fait évoluer, de toujours chercher à faire mieux et surtout je me remets en question à chaque échec.

Victor lors de ses tous débuts!
Débuts

Nicolas : Tu habites tout près d'un des plus beaux parcours de notre rivière, tu y vas à pieds dès que tu as du temps libre. Pour que les gens qui nous lisent ce rende bien compte à quel point tu es passionné, combien passes-tu de temps à la rivière sur une semaine normale de juin par exemple ?

Victor : Je pense que je dois passer environ 20 heures par semaine au bord de la rivière. (samedi, dimanche et mercredi après-midi). Sauf si un repas de famille vient m'en empêcher !!

Les belles truites sont déjà devenues régulières
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Nicolas : Avec une canne à mouche, on peut tout faire. Tu as de loin une préférence pour la pêche en nymphe à vue, dis-nous ce que cela te procure comme émotions lorsque tu vois une belle truite qui vient aspirer ta nymphe après une belle dérive, pourquoi préfères-tu cette pêche là ?

Victor : Je la préfère aux autres pêches car c'est une technique très très fine et que le fait de voir une grosse truite aspirer ma nymphe après une grande dérive me procure une montée d'adrénaline énorme. Mais je respecte tous les autres modes de pêche qui sont à mon avis passionnant à partir du moment où l'on respecte le poisson.

Avec une belle zébrée!
Victor 1

Nicolas : J'aimerais que tu me parles de notre rivière. Je voudrais connaître la vision d'un jeune homme de 12 ans sur ce cours d'eau. De plus comment imagines-tu l'avenir de cette rivière ?

Victor : Je pense que la Haute Rivière d'Ain pourra encore « vivre » normalement et j'ai espoir car il y a des gens comme toi qui prennent beaucoup de temps et qui s'investissent pour aider la rivière. Aussi je te remercie pour tout ce que tu fais pour cette magnifique rivière.

J'espère que tu lui rendras ce qu'elle te donne ;-)
nous 3

Nicolas : Tu es venu avec nous à la manifestation d'Ornans suite à la pollution de la Loue, alors que tu ne l'a jamais pêché. Est-ce que tu penses t'investir plus tard pour défendre ces rivières qui en ont tant besoin ?

Victor : Oui je pense que lorsque je serai plus grand, j'aiderai à mon tour nos rivières Francomtoises .

Et là, y'a rien???
Victor 2

Nicolas : Tu es un monteur de mouches également. C'est d'ailleurs toi qui fournit ton papa. De ce que je peux voir, c'est aussi un réel plaisir pour toi de monter non ?

Victor : Oui, j'adore monter des mouches, surtout des nymphes car je pêche quasiment pas en sèche. Mais surtout, j'adore avoir une boîte bien remplie, je déteste quand je n'ai qu'une seule nymphe de la même sorte, j'adore les grandes séries.

La table de montage de Victor
table montage

Nicolas : Ne changeons pas de sujet, quelles sont tes trois nymphes préférées et pourquoi ?

Victor : Ma première nymphe est sans aucun doute un gammare que j'ai inventé l'été dernier et qui est un véritable aimant à truite !
Ma deuxième est une Phaisant Tail montée sur hameçon de 18 et 20 et la troisième une nymphe de trichoptère monté sur hameçon 14 et 16 tige droite.

Victor photographié par Fred.
Victor 5

Nicolas : Pour nous faire plaisir, raconte un de tes plus jolis coups de ligne de la saison, s'il te plaît.

Victor : Il y en a eu plusieurs mais je crois que le plus beau a eu lieu un mercredi matin du mois de mai.
Nous étions parti à 8h avec mon copain Titouan sur le « plat de l'hôpital ».
Il y avait déjà pas mal d'activité. Dès notre arrivée, nous avions vu quelques poissons qui tournaient entre 30 et 40 cm mais pas plus gros.
Quand j'ai repéré cette superbe truite à une dizaine de mètres du bord. J'avais une petite Phaisant Tail, mais j'avais vu déjà quelques mouches de mai sortir de l'eau. Donc j'ai échangé ma Phaisant Tail contre une grosse nymphe de mai sur hameçon de 10, tige longue, mais non plombée. Cette truite était encore trop loin pour lui faire une présentation parfaite car elle était posée sur le fond en « dormant ».
Et là, par chance, cette belle truite se fait chasser par une autre qui passait par là. Elle s'est alors rapprochée de moi à une distance correcte. Je me suis donc mis à genoux, j'avais déjà déroulé une bonne quantité de soie à mes pieds et je n'avais plus qu'à lancer ma nymphe au bon endroit. Au premier passage, il me semblait être pas mal, j'ai donc animé et là, la truite qui était posée sur le fond à fait plus d'un mètre cinquante pour venir prendre ma nymphe de mai. Au blocage, j'ai ferré et j'ai aussitôt sauté à l'eau. La truite est partie à l'endroit où la rivière était la plus profonde, en face de moi. Je l'ai déséquilibré et au bout de 5 minutes de bagarre, elle a fini par se rendre. « Requillou » comme dirait mon père !!
Cette zébrée mesurait 46 cm donc ce n'est pas mon record, mais de loin un de mes plus beaux coup de ligne. En plus avec mon meilleur copain qui a filmé la fin du combat !! ( http://www.youtube.com/watch?v=bTDt... )
Ce poisson est reparti sans aucun mal dans sa rivière.

Un naveur fou....A 12 ans!!
Victor 3

Nicolas : Comme moi et Thibaut, tu pêches très souvent avec ton papa. Je sais ce que peux ressentir un papa dans ces moments là, mais le petit garçon, qu'est-ce qu'il ressent de particulier ?

Victor : Moi, quand je pêche avec mon papa, tous les poissons que je prends ou même toutes les belles choses de la rivière ne paraissent pas les mêmes que lorsque je suis tout seul ou avec mes amis. Car les partager avec son père ce n'est pas pareil.

Une autre tof de Fred
Victor portrait

Nicolas : Si tu devais motiver des jeunes gens de ton âge qui trouvent que la pêche est une activité dépassée, que leurs dirais-tu ?

Victor : Et bien je leurs dirais que de nos jours, la pêche ce n'est plus du tout pour manger, mais pour le plaisir des coups de lignes et que maintenant, la pêche est sportive, que l'on peut remettre le poisson à l'eau et trouver des équipements toujours mieux que ceux que l'on possède.
Et, à mon avis, la pêche est mieux aimée des jeunes car j'ai fait un exposé au collège et quasiment toute la classe m'en a dit du bien et certain m'ont même demandé que je les emmène à la pêche.

Le choix de la nymphe.
Victor boite

Nicolas : Je suppose que tu as plein de rêve dans la tête. Pour que ton papa puisse prévoir la budget à l'avance, quelles sont les destinations en France où ailleurs qui te font rêver ?

Victor : La destination qui me fait le plus rêver, c'est la Nouvelle Zélande pour ses très grosses truites. Il y a aussi les Pyrénées avec ces truites panthères et ces belles rivières.

Merci Victor d'avoir répondu à toutes mes questions, pas facile pour un jeune homme, mais tu t'en es très bien sorti. Maintenant, et c'est je pense un joli cadeau, prend le temps de lire bien tranquillement ce qui va suivre. Ce n'est pas tous les jours qu'un père parle de son fils de la sorte.Vous l'aurez compris, je vais laisser la parole à Manu, le papa de Victor qui est aussi mon ami.

Le papa de Victor, Manu.
Manu

Je te remercie Nicolas de me donner la parole pour réagir sur Victor et la pêche à la mouche, mais l'exercice est complexe. Ce n'est pas toujours évident de parler des personnes qui nous sont aussi proche mais je relève le défit.
Être père est un « métier » que l'on apprend au quotidien, sans avoir le mode d'emploi. On apprend par expérience (j'ai aussi 2 filles), j'ose dire « au fil de l'eau ».
Je suis un grand amoureux de la nature et j'ai découvert la pêche grâce à un copain de classe, Étienne que tu connais aussi, qui venait souvent pêcher la Haute Rivière d'Ain avec son père. Très vite nous sommes devenu des « fous » de pêche et tous les instants de liberté, nous les passions au bord de l'eau. La pêche à la mouche est arrivée très vite et j'ai fait mes premières armes sous les conseils éloquents d'André TERRIER, dont nous buvions les paroles lors de nos soirées club, à la salle des fêtes de Crotenay. C'est à ce moment là que je t'ai rencontré Nicolas, au milieu des années 80. Les années ont passé et il est vrai que pendant presque 10 ans, je ne pêchais plus beaucoup. J'ai tous les ans pris ma carte, mais j'étais moins motivé. La vie est ainsi faite.
Puis Victor grandissant, il a commencé a m'accompagner. Et là, ce fut pour moi comme un nouveau déclic. Tout est revenu comme au 1er jour. La flamme s'est allumée de nouveau.
Victor me suivait de plus en plus jusqu'à l'instant où c'est moi qui l'ai accompagné. Et oui il faut savoir consacrer du temps à son enfant qui débute. Je suis sorti souvent sans canne, c'est Victor qui pêchait, je démêlais les nœuds, je décrochais les mouches dans les arbres et j'expliquais … ce que je sais. La rivière, les poissons, la beauté des lieux. Tout ce qui est beau mais que la plupart ne voit plus mais qui pour moi est primordial. C'est ce qui me procure ce bien être à la pêche. Et je crois que Victor l'a très vite ressentit.
Nous nous sommes alors inscrit au club mouche de la Haute Rivière d'Ain pour échanger avec des passionnés et Victor ne peut plus s'en passer. Très vite, il a acquit le geste. Il s'entrainait même en hiver, sur la neige, dans le jardin, devant la maison. J'ai tout de suite vu que cette passion allait le dévorer.
Il a pris sa 1ère truite « au Veurriou » un soir de juin, il n'avait que 7 ans.
Je lui ai ensuite montré comment monter une mouche (j'ai horreur de ça !) et la ce fut le deuxième déclic. J'ai rapidement du acheter des centaines d'hameçons qui passaient successivement à l'étau du petit garçon. Mais là aussi, très vite, les « bestioles » ont pris de l'allure, elles sont très vite devenues « pêchantes ».
Si bien qu'aujourd'hui, comme tu le précises plus haut Nicolas, je ne monte quasiment plus. Un peu les sèches quand même.
Ce qui caractérise Victor, c'est cette volonté de toujours vouloir approcher la perfection, que ce soit dans le montage mais aussi dans la pratique de la pêche à la mouche.
Il ne supporte pas l'a peu près. Si la nymphe est trop ceci ou pas assez cela … poubelle. Il est très vite devenu autonome : monter la canne, faire les nœuds enfin se débrouiller quoi !
Nous habitons très près de la rivière et c'est vrai que c'est devenu rapidement son terrain de jeu. J'ai remarqué qu'il était très « sérieux » dans la manière de se déplacer au bord de l'eau, aussi il s'est rendu seul à la pêche assez vite.
A partir de là, il a progresser de façon impressionnante.
Ses adversaires, les belles zébrées de la Haute rivières d'Ain, ne sont pas bonnes filles. Il a fallut très vite qu'il adapte sa technique et ses nymphes à ces redoutables poissons. Mais c'est pour cela qu'aujourd'hui, il est impressionnant au bord de l'eau. Il a grandit dans la difficulté mais avec l'envie obsessionnelle d'y arriver. Et il y arrive fort bien !!!
Lui mettre « une tôle » devient de plus en plus difficile. Certain jour, il faut même que je me méfie de ne pas être celui qui lui demande de loin « avec quoi tu la prise celle là ? » Mais que tout cela est bon.
Il a cette faculté, qui différencie le bon pêcheur, du moyen, à se remettre en cause à chaque instant. Il n'a aucun a priori. Il choisi sa nymphe parce qu'il a vu que cette truite se déplaçait comme ça, parce qu'elle « grattait » le fond, où décollait entre deux eaux !!!
Je n'ai pas toujours ce raisonnement.
Il sait écouter les autres (il t'apprécie énormément Nicolas), il prend du recul, il réfléchit.
A 12 ans, ce n'est pas évident de trouver une telle maturité.
Il sait aussi que les études sont encore plus importantes que la pêche à la mouche et qu'elles seront toujours la priorité.
Voilà vous l'aurez compris, je suis un papa comblé, très fier de son petit bonhomme, car j'ai non seulement su lui transmettre une belle passion mais surtout maintenir cet état d'esprit de plaisir et de respect quotidien de la nature.
Nous avons fait quelques parties de pêche en ce début avril mais je rêve déjà à ces journées de fin mai début juin où nous irons ensemble à la rivière, pour défier une fois de plus les plus belles zébrées de notre Haute Rivière d 'Ain et vivre ces moments de purs bonheur qui constituent … LA VIE.

Un grand, un très grand merci à tous les deux.
Je vais faire durer un peu car je voulais aussi te dire ces quelques mots Victor. Je connais pas mal de pêcheurs, voir même beaucoup. Peu me font cet effet extraordinaire lorsque je te regarde évoluer. Ta vie est axée sur la pêche et en particulier la nymphe à vue. Tu as un niveau technique et une connaissance de ta rivière bien au delà de la moyenne. Mais ce qui me touche le plus, c'est cette lueur dans tes yeux lorsque tu me racontes tes coups de ligne...Cette envie, cette passion qui ne cesse de croitre en toi, j'ai réellement l'impression de retourner 25 ans en arrière et ça me fait un bien fou! Reste comme tu es bonhomme, humble et passionné, ne change surtout pas.