Voilà une histoire de pêche vraiment peu commune. Le genre d'histoire que nous nous souviendrons, Thibaut et moi, jusqu'à la fin de nos jours.

Revenons à la saison de pêche 2014. Un jeune homme venant des Pyrénées me contacte pour une commande de mouches. Il vient à la maison et j'accroche assez vite avec lui. Il est là pour un long séjour axé nymphe à vue. Je n'ai plus de souvenirs bien précis, mais il se trouve que nous nous sommes croisés au bord de l'eau un ou deux jours après. Il en a profité pour me regarder pêcher un peu. J'étais ce jour-là sur une vaironnée. Quelques belles truites picoraient les vairons sur leur lieu de reproduction. J'avais bien du mal à les faire mordre d'ailleurs. A tel point que je me suis décidé à nouer un streamer au bout de ma pointe et de faire une première dérive inerte un peu comme en nymphe. Une truite a mis un coup de gueule sur le côté, j'ai ferré, elle était à moi. Cette truite que j'ai estimé à l'époque à 45cm avait comme particularité d'avoir des tâches et non des points sur les flancs. Elle était aussi très jaune et avait un léger bécard ce qui pouvait laissé penser que c'était un mâle. Nous étions avec mon compagnon du jour en admiration devant ce poisson. Il était reparti dans son élément sans aucun problème.

Lors de la saison 2015, et ce vers la fin du printemps, j'étais à la pêche avec Akira, mon ami japonais et mon fils. Le niveau était idéal pour une partie de nymphe à vue. Je me souviens que Thibaut avait réalisé un très joli coup de ligne devant les yeux admiratifs d'Akira. De mon côté, et après avoir pris en photo Thibaut en pleine action, je suis monté dans le radier en amont. Alors que j'étais encore sur la berge, j'ai repéré une très belle truite qui remontait le courant tout en piochant sur le fond. J'ai à peine mis un pied dans l'eau pour me décaler afin d'avoir une bonne fenêtre. Je pouvais tenter le poisson. A la première dérive de ma cuivre, elle s'est soulevée. Elle était à moi. Ce que je ne savais pas, c'est que ce poisson était le même que j'avais pris l'année d'avant au streamer. Elle était encore plus belle, plus longue. Et ces tâches irrégulières sur les flancs jaune, une merveille de la nature. Une fois de plus, elle est repartie au mieux.

Prendre le même poisson deux ans de suite, c'est déjà assez cocasse. Cette truite avait du prendre 5 centimètres environ. Je ne l'ai pas revu en 2016, ni en 2017. Je ne vous cache pas que j'étais certain qu'il lui était arrivé malheur. Nous avons eu beaucoup de mortalité sur la population de gros poissons ces deux années là, j'étais donc persuadé qu'elle faisait parti du lot.

Ce samedi, Thibaut s'est levé tôt. Il n'arrivait pas à dormir. Bref, il s'est vite branché à sa console pour faire une ou deux parties. J'étais à l'étau. Je lui ai dit une fois : si tu veux, je t'emmène où tu as envie à la rivière, il faut super beau. Pas de réaction, une autre partie de console. Sa mère, quelques minutes après moi, lui dit qu'il devrait profiter du beau temps. 9h30, Thibaut me dit, papa, je mets le waders et tu m'emmènes stp. Ben voilà !

Thibaut n'avait pas pris la canne depuis le tournage de Seasons. Je l'ai donc laissé à la rivière sur un parcours de son choix pour 2 petites heures. Je devais le récupérer à 12h car il avait un match de foot à l'extérieur. Je n'ai d'ailleurs pas pu aller le chercher car j'avais des clients à la maison. C'est donc sa maman qui y est allée. A peine la voiture devant la maison à leur retour que je suis sorti à leur rencontre. Sa maman me dit : il fallait y aller ce matin ! Et Thibaut d'enchaîner, j'ai fait une truite de 61cm papa !

Ho super ! Montres moi vite les photos que je vois ce poisson. Et là, de suite à la première vision, je regarde Thibaut et je lui dis : Thibaut, c'est ma truite bordel ! On s'est donc précipité tous les deux à mon atelier où j'ai un agrandissement encadré de ce poisson pris la deuxième fois en 2015. Thibaut a mis son téléphone à côté et nous avons comparé les points. Le doute n'était plus permis, ma truite était en fait toujours vivante, plus belle que jamais et c'est mon fils qui l'avait prise. Quelle histoire extraordinaire. Il y avait beaucoup de joie, car un tel poisson, ce n'est pas tous les jours, mais en plus avec un tel passif, c'est vraiment hors normes. Le bécard est encore plus prononcé, ce mâle a du transmettre ses gênes durant tous ces hivers. Et quels gênes. Il est passé entre les mortalités. Quel poisson, quel combattant.

Après l'émotion partagée, Thibaut m'a raconté sa prise. Il venait de casser une truite au ferrage de sa faute avec un mouvement beaucoup trop sec ! Sa pointe était donc neuve. Il avait une cuivre au bout. Il venait de voir dépasser dans le radier amont un museau. Il s'est donc déplacé pour être en face du poisson. Elle était là, au fond. Il a fait deux dérives avec la cuivre sans aucune réaction du poisson. Rien.

Il a donc décidé de nouer un gammare JFD-14. Il a fait poser sa nymphe trois bons mètres en amont du poisson, légère animation et là, la truite s'est bien soulevée pour prendre son imitation. Un joli combat s'en est suivi pour se terminer dans son épuisette. Thibaut n'est pas comme son père, il a son mètre lui. 61 centimètres, soit environ 11 de plus qu'en 2015. La truite est repartie comme une furie et nous espérons tous les deux la revoir avec une immense joie en 2019.

Aux personnes qui pensent que de relâcher un poisson est inutile, dites vous que si cette truite avait été prélevé en 2014, elle aurait frayée 4 hivers de moins...Et cela représente quelques truites au final, pas une seule !

2014, le papa - Estimée à 45cm.

2015, le papa - Estimée à 50cm.

2018, le fils - Mesurée à 61cm.