Pour celle nouvelle interview, chose rare, je reçois un invité que je ne connais pas personnellement. Nous avons uniquement des contacts via internet. Serge m'a contacté car il souhaitait revenir en partie sur le retour d'expérience qu'Alexis nous avait fait suite à son trip en Nouvelle-Zélande. Je lui ai donc proposé à son tour une interview sur ce blog et je le remercie encore d'avoir accepté. Je vous souhaite à tous une bonne lecture.

Nicolas : Bonjour Serge. Je suis très heureux de te recevoir sur mon blog pour de multiples raisons. Peux-tu s’il te plait te présenter ?

Serge : Bonjour à tous d’Aotearoa. J’ai 57 ans, marié à une personne adorable, j’ai la double nationalité, Française et Néo-Zélandaise. Je suis arrivé en NZ il y a 25 ans, vivant d’abord sur Auckland, puis sur la cote Ouest de l’île du Sud et actuellement Hanmer Springs, un petit village alpin du North Canterbury, 135 kms de Christchurch au pied du Lewis Pass et ses rivières. Mes passions sont la pêche à la mouche, la pêche en mer, la chasse, le VTT, le ski, la plongée sous-marine, la photographie, mes chiens et leurs aventures de chasseurs. J’ai aussi un grand intérêt pour la bonne bouffe et les vins. Je suis guide de pêche, membre de la NZPFGA, la seule association professionnelle de guides de pêche en eau fraiche en NZ. J’en suis le trésorier et de ce fait, membre du comité exécutif.

C'est qui l'patron ? ;-)

IMG_0869.jpg

Nicolas : Peux-tu nous décrire en quelques lignes ton parcours qui t’as conduit aujourd’hui à être guide de pêche en Nouvelle-Zélande ?  

Serge : Arrivé en NZ et vivant à Auckland, mes destinations de pêche de l’époque étaient dans la région de Taupo et Turangi où j’ai rencontré des gens devenus de grands amis depuis. Alors grandement impliqués dans la pêche, ils m’ont donné cette envie de faire de ma passion mon métier tout en me prévenant que si le style de vie était génial, tu ne deviens jamais riche en tant que guide de pêche. Ils avaient raison. Ma richesse à moi c’est les pêcheurs de tous horizons rencontrés aux fils des saisons passées et les aventures partagées.

Serge est guide de pêche à la mouche.

133767_421614517902164_867470572_o.jpg

Nicolas : Pourquoi avoir choisi d’exercer ton métier en Nouvelle-Zélande et pas en France qui est ton pays de naissance ?  

Serge : La pêche en France a l’époque était une passion mais un passe-temps, un moyen de m’évader et les opportunités ne se sont jamais vraiment présentées. La routine en France prend le dessus et on a tendance à oublier les choses importantes de la vie. Le matérialisme tue l’envie.

Serge a une autre passion, ses chiens.

11693894_920330751363869_2089538062023232320_n.jpg

Nicolas : Tu as un vécu de 25 ans sur le sol néozélandais. Suite à l’interview d’Alexis sur ce même blog, tu souhaitais revenir sur certains sujets évoqués. Nous avions parlé de la qualité de l’eau sur l’ensemble des cours d’eau du pays que l’on compare vite au paradis à travers les nombreuses vidéos du web. Quel est ton avis sur ce point ?

Serge : Il est important que les choses soient mises au point. La qualité de l’eau en NZ a été grandement affectée pas l’intensification de l’industrie laitière, le laxisme des éleveurs en matière de clôtures et accès des bovins sur les cours d’eau. Si la plupart des rivières de montagnes ou du moins les sections de rivières où il n’y a pas de fermes restent pures, limpides et ne présentent aucun signe de pollution, il n’en est pas de même pour les sections en plaine, là même où le développement  intensif s’effectue. Les vidéos montrent les sections dont je fais référence en premier lieu, pour le reste, c ‘est du n’importe quoi, des mesures sont à prendre. Les sanctions sont inexistantes et l’appât du gain fait que trop de fermiers n’en n’ont rien à faire. La rentabilité pèse lourd et sans une réaction rapide on va à la catastrophe.

Nicolas : Tu as dû être le témoin d’une évolution parfois négative tout au long des 25 dernières années.  Comment cela se matérialise sur les rivières touchées ?

Serge : Il est vrai que l’évolution est allée dans les deux sens. Le seul côté positif est une réaction qui est grandissante de la part des Kiwis qui ont vu leurs rivières changer pour le pire et qui en ont assez. Le côté négatif est inquiétant. Baisse des niveaux d’eau en plein été, entrainant le réchauffement des rivières. Le résultat le plus immédiat sur les poissons est la diminution des nombres, une condition qui se détériore au fils des semaines, état léthargique, peu ou pas de nourriture…On voit de plus en plus le lit des rivières recouvertes d’algues, de matières glissantes et de plus en plus aussi l’atrophie des sources de nourritures. Une fois encore nous parlons des rivières en plaines.

flyfishnewzealand73.jpg

Nicolas : Les nombreux élevages d’ovins et vaches laitières qui ne cessent de grossir en Nouvelle-Zélande ont forcément un impact sur les rivières ? Quel est ton retour sur le sujet ?

Serge : Il faut être clair. Les élevages d’ovins ont énormément diminués et se sont transformés en élevages de bovins. Du même coup, de par le manque de clôtures et accès trop facile aux rivières, on a assisté à l’éboulement des berges, plus de boue ou de terre dans l’eau, destruction de l’habitat. Du fait de l’intensification, on a vu le développement des systèmes d’irrigation recouvrir le pays, avec toutes les conséquences imaginables en matière de l’utilisation des ressources naturelles comme l’eau. Il faut ajouter bien sur l’utilisation (bien que régulée) des produits chimiques pour aider à la pousse de l’herbe. L’infiltration de ces derniers mélangés au méthane rejeté par les vaches finit très souvent leur course dans les cours d’eau.

Nicolas : Les arrosages intensifs des prairies pour faire paître ce bétail doit avoir lui aussi une incidence sur les débits voir le réchauffement de certaines rivières non ?

Serge : Cela n’a aucun doute, les débits ainsi que le réchauffement de l’eau est évident. On assiste a l’assèchement de rivières de très grande renommée pour la pêche, la baisse des nappes phréatiques, mais aussi l’emprisonnement des poissons qui ne peuvent plus s’échapper et meurent faute d’eau.

965799_561452473918367_307951159_o.jpg

Nicolas : Alexis nous a parlé également des campagnes d’empoisonnement contre l’opossum. Quelles incidences sur la qualité de l’eau d’après toi ?

Serge : La NZ est parmi les seuls pays qui utilisent encore le 1080. En référence http://laterredabord.fr/?p=17777 pour ceux qui sont intéresses. Ce poison fabriqué aux USA est importé en NZ pour une valeur de plus de NZ$120 millions. Le raisonnement derrière l’utilisation de ce poison est que rien de plus efficace n’a été trouvé. S’il était si efficace depuis 1957, l’éradication de l’opossum aurait du se faire. A ce jour pas vraiment. Depuis maintenant quelques années (seulement 3 ou 4), les gens qui utilisent le 1080 on reconnu le risque sur les poissons et on lancé des avertissements de ne pas consommer les prises dans les régions ou l’empoisonnement a eu lieu. Sachant qu’il n’y a pas d’antidote, même s’il est dit qu’il faut 27 granulés pour tuer un homme, vu l’effet du 1080 sur de gros animaux comme les cerfs et les sangliers, qui va prendre le risque de boire de telles eaux, ou même nager et risquer d’avaler un produit si dangereux.

Nicolas : Les habitants ont-ils conscience de ces dégradations ? Y’a-t-il un élan citoyen ou politique pour contrer cela ?

Serge : Sans aucun doute, il y a une prise de conscience des problèmes. Cela se manifeste à travers de petits groupes qui se sont créés au fil des ans, certains sont très actifs. Au niveau politique, malheureusement, les réactions sont très  modérées ou inexistantes de la part des grand partis, qui ne veulent pas avouer leurs échecs. Et puis il y a le problème économique qui fait oublier les nécessités de protéger l’environnement, l’eau, les rivières. L’oubli que l’eau est source de vie est dur a accepter. Nous avons besoin de rééduquer la classe politique dans son ensemble.

Nicolas : Après le côté obscur, rassures- nous, la Nouvelle –Zélande reste le paradis du pêcheur à la mouche globalement ?

Serge : Absolument et certainement. La pêche reste fantastique et il faut le reconnaître dans certains cas s’est améliorée de façon très évidente. La NZ est le pays de la qualité de pêche et non la quantité.

Serge avec un de ses chiens.

13516602_1124563230940619_4790951080984234400_n.jpg

Nicolas : Tu es bien placé en tant que guide de pêche pour nous parler du tourisme lié à cette activité. A chaque hiver en France, rien que dans mon entourage, je connais plusieurs personnes qui vont en NZ pour pêcher. D’ici, j’ai l’impression que c’est une folle déferlante de touristes pêcheurs. Est-ce la réalité ?

Serge : La réalité est que la NZ a tellement de rivières, de lacs où la pêche se pratique que rares sont les jours que je passe à pêcher ou guider une rivière où je rencontre un autre pêcheur. C’est généralement le commentaire qui ressort de la part de mes clients qui sont très surpris de cette situation car comme toi, ils s’attendent à la foule. Il n’en est rien.

Nicolas : Je suppose que l’on trouve des dizaines de nationalités différentes.  Les français sont dans le haut du classement ?

Serge : Non, pas du tout. Les Américains sont les premiers et de loin avec de près les Australiens, les Canadiens, les gens de la Grande Bretagne (tous mélangés)…Les Français doivent être après tous ces gens-là.

Serge dans son élément.

181524_143157749081177_4786239_n.jpg

Nicolas : Dans leur majorité, comment réagissent les pêcheurs locaux à ce phénomène ?

Serge : Pour les gens qui comme moi sont dans le tourisme, les avis sont très favorables bien sûr. C’est seulement l’ignorance qui fait mal réagir les gens et certains préjuges qui font que les a priori ne s’en vont pas.

Nicolas : Et le reste de la population, comment réagit-elle ? Je lis ici ou là que cela devient de plus en plus compliqué de faire du camping sauvage par exemple sous peine d’amende. Les pêcheurs qui venaient il y a longtemps ont l’impression d’avoir bien moins de libertés. Est-ce que c’est vrai ?

Serge : Comme tout phénomène, il arrive un point où des limites doivent être imposées. La Nouvelle Zélande a besoin de qualité et non pas de quantité. Avec l’accroissement du tourisme a petit budget, nous avons aussi assisté à une dégradation de l’environnement. Les « campeurs libres » ne respectent pas ou plus ce qu’ils trouvent, dégradent les lieux, laissent des poubelles sur les lieux, quand ce n’est pas le papier toilette et la commission. C’est pour cela que ce qui peut être ressenti comme une limitation à la liberté n’est que la règlementation mise en place contre le gens sales, irrespectueux de la nature et ce qu’elle offre, et aussi contre les idiots qui font que les bons payent pour les mauvais.

Nicolas : Revenons à ton activité. Tu guides sur tout le pays ? Les deux îles ? Uniquement à la mouche et en rivière ?

Serge : Je vis dans l’île du Sud et mon activité reste sur mon île uniquement. Toute l’île si besoin. Pêche à la mouche uniquement, sur rivières et lacs en cas de catastrophe météorologique. Je ne pratique que la pêche en « no kill ». Je me refuse de guider un pêcheur qui veut garder une truite.

Le pays des rêves.

serge.jpg

Nicolas : Est-ce que ton activité te laisse le temps de pêcher pour toi ?     

Serge : Bien sûr. La pêche à la mouche est une passion de 50 ans, et oui ça passe et je ne manque pas une occasion de partir et pêcher pour moi ou avec un ami pêcheur.

Nicolas : Selon les vidéos que l’on peut voir, il semble y avoir deux types de pêches. Parfois très facile où l’on voit des truites sauter sur tout ce qui bouge. J’ai aussi des retours de poissons assez éduqués. Qu’en est-il réellement ?

Serge : Il faut être très clair. La pêche en NZ n’est pas facile. Ce que montrent les vidéos est comme toute émission animalière à la TV. Des heures de tournages, de déception, de poissons effarouches, pour 60 minutes sur un DVD. Une truite qui saute sur tout ce qui bouge bien sur existe, mais ça c‘est du 20% sur une journée. Poissons éduqués, pas sûr. Juste très avertis et connaissant très bien leur environnement en matière de formes au bord des rivières, le type de nymphes, insectes ou autre proies que la rivière peut leur apporter.

Nicolas : Les truites de Nouvelle-Zélande font parler surtout par leurs mensurations hors normes. Pourquoi autant de gros poissons ? Gestion, habitat…

Serge : Parlons de gestion en premier lieu. A mon avis ce n’est pas le top. Il n’y a que trop peu de rivières  en « catch and release », prendre et relâcher ou « no kill ». Les mentalités doivent changer très vite et tous ceux qui pensent que les ressources sont infinies se trompent.

Avec le sourire !

flyfishnewzealand751.jpg

Nicolas : On trouve quand même des rivières avec des truites de 20-25 centimètres dans ton pays d’adoption ? Parce qu’on pourrait presque en douter.  

Serge : Bien sûr. Pas de doute. Pour obtenir des truites de la taille que tu connais, il y a le passage obligé à 20-25cm. Ici, d’ailleurs, la longueur importe peu. On pèse…Sur certaines rivières, si tu pratiques la pêche en aveugle, tu prends ce genre de poisson. Si tu connais une bonne rivière, tu peux prendre 30 à 40 poissons en quelques heures.

Nicolas : Racontes-nous s’il te plait une de tes plus belles captures. Un vrai gros poisson de là-bas !

Serge : Il y a deux ans, j’avais rendez-vous avec un client sur Reefton. Le temps était maussade sur Hanmer Springs et plutôt que de partir tôt le matin je décidais alors de prendre la route en fin d’après-midi. A environ 45 minutes de route, la pluie était forte et le vent s’était levé. Pas pressé, je décide de m’arrêter à un de mes « pools » préféré pour voir. Je monte une canne, avec une grosse sèche et une nymphe en dessous. Je descends au « pool », traverse pour avoir la bonne lumière. Pas grand-chose à voir. Le parfait miroir. Je pêche donc en aveugle. L’eau est claire et à mon premier lancer j’aperçois un flash. Pas de prise ou d’attaque. Je relance. Cette fois-ci au même endroit, la sèche part sous l’eau, le poisson a pris la nymphe. Ferrage, la canne pli. Le poisson démarre et traverse vers l’autre berge. Contrôle parfait. Le poisson est maintenant contre la berge de mon côté. Il est temps de saisir l’épuisette. Redémarrage du poisson qui me prend jusqu’au « backing » et un peu plus. Décidé de prendre les rapides, il me fait courir sur les rochers alors mouillés et glissants. Il s’arrête dans le pool du dessous. Tout a tenu, maintenant ça devrait aller. Effectivement, après deux autres rushs, il vient et je réalise alors qu’il ne rentre pas complètement dans le filet. Apres un dernier effort, il est enfin sécurisé. Très gros me dis-je. Je pèse. 12.5lbs. Un géant. Je n’ai que mon I phone prends deux photos et lui rend sa liberté au plus vite. Je suis heureux.

Je vous laisse juger de la taille du moulinet à côté de cette tête énorme !

Sans_titre_1.jpg

Nicolas : Merci infiniment Serge d’avoir répondu à mes questions. J’espère te croiser un jour qui sait…

Serge : Merci a toi Nicolas. A un de ces jours sur les rivières de NZ. Et « all the best » pour ta bataille contre la pollution et ses résultats.

Nicolas : Je ne vais pas te laisser comme ça Serge. Pour te remercier, j'ai demandé à un ami que nous avons en commun d'écrire quelques lignes à ton sujet. Merci Abdoul pour avoir pris du temps pour nous.

Abdoul : J'ai rencontré Serge par hasard, ou plutôt par chance. J'étais parti en vadrouille quelque part dans le bush néo-zélandais avec Romain (rassurez-vous c'était pour pêcher), et quelques jours plus tard, de retour à la bagnole, mauvaise surprise...

Dévalisé, plus rien, plus de papiers, plus de carte de crédit, plus de tune, plus de bouffe, nada ! Juste un fond d'essence pour rejoindre le village le plus proche. C'est là qu'on est tombé sur Serge. Même pas le temps de raconter nos mésaventures, que ce type nous emmène à un guichet de banque, nous dépanne et nous invite au resto dans la foulée !

Voilà Serge, il fait partie des gens bons par nature et pour qui c'est normal d'aider son prochain et qui te transforme une galère en bon souvenir ! C'est sûr, je pourrais toujours lui reprocher de m'avoir aidé, à cause de lui j'ai pu repartir de ce pays magnifique, mais ça reste quand même un chic type :-)

Depuis, j'ai un grand plaisir à partager quelques journées de pêche avec lui chaque fois que je retourne en terre promise, c'est toujours des supers moments, et il t’apprend plein de trucs sur la pêche, bien sûr, mais aussi sur la nature et la préservation de ce pays. Serge, c'est la classe !

Alors si un jour vous partez là-bas, et que vous avez besoin d'un guide, cherchez pas, c'est lui qu'il vous faut ! Le site internet de Serge => Fly Fish New Zealand.

Au bon souvenir d'Abdoul.

IMG_9626.JPG