A l’automne 1997, suite au décès du président de la société de pêche de mon village de l’époque, les membres de l’AAPPMA m’ont élu président de l’association. J’avais alors 23 ans. Vingt ans plus tard, étant toujours en fonction à ce jour, j’ai eu envie de revenir sur cette période de ma vie. 

Même si avant ce jour d’élection, la fonction de bénévole ne m’était pas inconnue, j’étais loin de me douter réellement des répercutions que cela pouvait avoir sur ma vie privée à un échelon supérieur. Étant déjà membre du bureau à cette époque, j’aidais régulièrement pour les corvées et je ne manquais pas une seule A.G afin de faire passer quelques messages. Les bons ? Je l’espère oui. En tous les cas ceux dont j’ai toujours pensé sincèrement être positifs pour la rivière et ses habitants.

Durant toutes ces années, j’ai vu les parcours de pêche jurassiens où les poissons sauvages étaient présents se faire de plus en plus rares. Inexorablement, les pêcheurs se sont donc concentrés sur ces parcours et la pression des prélèvements à augmenter. Pendant ce temps- là, la qualité de l’eau de nos rivières n’a fait que se dégrader. J’ai longuement cru que par des actions concrètes on pouvait changer les choses. Avec les membres du bureau de l’AAPPMA, nous avons tenté dans la limite de nos moyens et de nos compétences de dénoncer tous les maux qui ont touché la rivière au fil des années et ce depuis 20 ans. Des centaines d’heures pris sur le temps familial à alerter les médias, les politiques et les services de l’administration. Pour arriver à quoi ? Au néant ! Toute cette énergie dépensée pour un tel résultat. C’est très frustrant et terrifiant à la fois. Et pourtant, avec un peu de recul, l’issue de cette tragédie était facile à deviner. Certaines personnes de mon entourage ont même tenté de m’en convaincre fut un temps, sans résultat. La flamme était encore très vive en moi. Elle s’essouffle aujourd’hui sans s’éteindre malgré tout.

Le constat est terrifiant. Nous nous sommes battus pour faire bouger les choses en terme de qualité d’eau, nous nous sommes investis pour faire évoluer la règlementation en adéquation avec la baisse des populations et pourtant, soyons franc, il y a aujourd’hui encore moins de truites sauvages dans le département et particulièrement sur la rivière d’Ain pour mieux la connaître vis à vis des autres. Il y a aussi évidemment moins d’insectes, je ne vois même plus certaines espèces d’éphémères…L’ombre commun qui était déjà protégé au moment de ma prise de fonction il y a 20 ans est toujours une espèce en danger de disparition aujourd’hui. Plus de 20 ans de protection et aucune amélioration !  

Oui, c’était facile à deviner. Le système actuel qui fait fonctionner la pêche de loisir est basé en autre sur le bénévolat justement. Que l’on soit membre d’un bureau, président d’une AAPPMA ou même président d’une fédération départementale, on est avant tout un pêcheur élu par d’autres pêcheurs. Rien de plus simple. Tellement simple que les personnes prêtes à s’investir sont très rares. Pour parler de ce que je connais, en 20 ans de présidence dans le Jura, les têtes sont toujours les mêmes à peu de choses près. Et pourtant, c’est ces personnes et leur propre volonté qui font la règlementation locale de la pêche. Pour 2018, le Jura a toutes les chances de voir les tailles de captures augmenter, de voir des parcours de protections (No Kill) grandirent voir même se créer. Le problème est que le train n’est pas à l’heure, des mesures bien trop tardives qui n’auront que très peu d’effet tant le mal est profond. On ne va pas pour autant cracher dessus, bien au contraire. Mais c’est des mesures qu’il aurait fallu prendre il y a bien longtemps. Les gens en place à l'époque ne le souhaitaient pas. Au contraire, bien au contraire même. J’ai entendu de mes oreilles un dirigeant d’AAPPMA dire ces mots au moment où l’on mettait en place la protection totale de l’ombre commun sur la rivière d'Ain : « autant que cela soit nous qui bouffions les derniers plutôt que les cormorans ». Voilà ce que l’on pouvait avoir comme genre de mentalité. Mentalité parfois encore présente aujourd’hui. C’est d’ailleurs un de mes plus grands regrets durant tout ce temps. Ne pas avoir su convaincre plus d’amis ou de connaissances d’entrer eux aussi dans les bureaux d’AAPPMA de la rivière d'Ain. Après, ce n’est pas simple non plus de convaincre quelqu’un qui vous dit qu’il manque de temps pour le faire alors que cette même personne va à la pêche 2 ou 3 fois par semaine…C’est du vécu, et pas qu’une fois. On ne se refait pas. Mais je pense que c’est un très gros gâchis. Il y avait de très belles choses à faire. Il manquait les hommes pour ça.

Mais finalement, la règlementation n’est qu’un détail quand le milieu fonctionne, beaucoup moins quand ce même milieu est au bord du gouffre. Le principal problème est la qualité de l’eau. Oui, on me le répète sans arrêt. Heureusement d’ailleurs qu’on me le dit, parce que tout seul, jamais je ne l’aurais deviné ;-) . Pas besoin d’avoir fait d’études pour comprendre qu’aujourd’hui, avec des mesures de protections du cheptel bien plus drastiques, les populations sont plus faibles qu’à l’époque alors qu’on pouvait ramener jusqu’à huit truites par jour à la maison. Il n’y a rien de plus parlant vis-à-vis de la qualité de l’eau. De ce côté là, il y a peu d’actions menées quand on connait tous les fléaux qui touchent nos rivières. Dans la majorité des cas, c’est le cadet des soucis des AAPPMA. Peu ont engagé des actions concrètes pour lutter contre ce mal récurrent. Et quand bien même elles le font (souvent les mêmes), car oui certaines ne lâchent pas l’affaire, le système actuel ne permet pas d’améliorer la situation. Les AAPPMA sont souvent livrées à elles-mêmes avec de faibles compétences dans les domaines judiciaires et autres face à des mastodontes comme Véolia qu’on retrouve souvent en face. On peut aussi citer les communes, les communautés de communes, les industriels, les agriculteurs. Nous, bénévoles, on peut souvent que dénoncer les abus, mais une fois arrivés au tribunal, nous sommes les tous petits. Nos pouvoirs sont bien limités fassent à des structures qui eux peuvent employer plusieurs avocats.

Même si j’en suis convaincu depuis longtemps au fond de moi, il m’a fallu vivre de nombreuses expériences pour l’admettre. La qualité de l’eau de nos rivières est avant tout une volonté politique. Vous pouvez empiler les bénévoles les plus volontaires que vous connaissez, les meilleurs techniciens dans les  fédérations, si en haut du pouvoir d’abord départemental puis ensuite national il n’y a pas cette volonté nécessaire d’améliorer les choses, c’est mort dans l’œuf. Ici, dans le Jura, et pour avoir été président d’AAPPMA sous différentes directions politiques départementale, je n’ai jamais senti cette volonté. Le dernier exemple en date est le contrat de rivière sur la haute rivière d’Ain qui a été enfouit par les autorités départementale. Il avait pourtant bien démarré, mais depuis un an et demi environ, c’est silence radio. Forcément, il pourrait mettre à jour certains dysfonctionnements gênants pour le pouvoir en place ce qui engendrerait des actions coûteuses. Les meilleures volontés sont vite éteintes lorsque tout en haut on vous fait comprendre de façon autoritaire qu’il faut prendre un autre chemin. Je n’ai même pas envie de blâmer tel ou tel politique de notre département en citant leur nom parce qu’encore une fois, la faute en revient avant tout au système. Quel est le but d’un politique si ce n’est de se faire réélire ? C’est son job, son gagne pain. Il a besoin du poste. Il fera et dira ce que la plus grande masse du peuple veut entendre ou veut voir. Et l’eau dans tout ça ? Qui s’en souci si ce n’est quelques farfelus pêcheurs ? Qui ? Rien que dans mon village de 500 âmes, j’ai de nombreux exemples qui démontrent que la majorité des gens n’en n’ont que faire. Sous l’arrêté préfectoral sécheresse cet été, j’ai vu des particuliers nettoyer leur voiture, un agriculteur laver son tracteur, j’ai vu des gens passer leur façade de maison au karcher, d’autres asperger d’eau le trottoir devant la maison…A devenir fou. Je ne suis pas passé du côté de la délation, mais sans être pessimiste, cela me rend terriblement réaliste. Ces arrêtés ne servent à rien, ils ne sont jamais contrôlés et les gens s’en moquent éperdument. Tant que l’eau coule finalement, pourquoi se priver ? Un autre exemple pour démontrer que le sujet « eau » ne fait que très peu d’émules. Toujours chez nous. Depuis 5 ou 6 ans que la lagune à roseaux est raccordée à tout le village, elle ne fonctionne pas. Il suffit d’aller voir le ruisseau de rejet pour s’en rendre compte. A part l’AAPPMA qui le dénonce, qui s’en soucis ? Pour que l’Onéma lance une action auprès de la DDT, il a fallu qu’on relance plusieurs fois. La commune dans tout ça ? Elle transfère les photos que nous lui envoyons à la Com-Com car c’est elle qui à la compétence. Rien de plus. Les villageois ? On paie notre taxe d’assainissement tous les ans sans broncher pour un service inexistant. La vie est belle, nous sommes bien dressés. Quand je vois une telle absence de préoccupation sur l’eau avec les étés que l’on vit depuis deux ans dans notre monde rural, je n’ose imaginer ce que cela peut-être dans les grandes villes. L’eau, sa qualité, sa quantité, peu s’en inquiète !

En haut, le rejet du lagunage. Et vous n'avez pas l'odeur. En bas, l'arrivée dans la rivière. La berge est toute noire sur 50 mètres en aval. Et pourtant, lors de notre prochaine convocation au tribunal ce jeudi 16 novembre, je suis certain que les avocats de Véolia vont nous prouver par A + B que tout est conforme...A suivre.

Les politiques l’ont bien compris. Ils ne vont pas perdre leur temps avec un sujet qui rapporterait au final trop peu d’électeurs. Ce n’est pas plus compliqué. Qu’ils s’appellent Pierre, Paul ou Jacques, c’est pour tout le monde pareil. Le sujet n’est pas porteur, on le zappe volontairement.   

Du coup, rien n’est fait. Ou alors des actions en trompe l’œil pour faire joli dans le décor et calmer les vilains pêcheurs qui sèment le bazar. Les rivières du Jura s’éteignent les unes après les autres à une vitesse qui augmentent d’années en années et dans l’indifférence générale. C’est la réalité, point barre. Au sein de l’AAPPMA, nous continuons malgré tout à dénoncer et faire notre « job » de bénévoles puisque nous sommes actuellement en procédure contre Véolia et la communauté de communes Portes du Haut Jura au sujet de la lagune du village qui se jette dans l’Ain et qui est en total dysfonctionnement depuis des années. On continuera quoi qu’il arrive, mais sans illusions sur les conclusions, c’est la différence avec le passé. D’un point de vue personnel, je n’y crois plus beaucoup. Je pense avoir tout essayé avec les compétences qui étaient les miennes, certes très limitées, mais avec beaucoup d’envie.

C’est ainsi que j’ai soumis l’idée aux membres de la société de pêche de mettre l’ensemble du linéaire de l’AAPPMA en No Kill pour 2018, car c’est la dernière chose qui était en notre pouvoir pour aider au maintien de la population des truites sauvages. Ou tout du moins aider à ralentir son déclin. Car forcément, la qualité de l’eau va continuer à se dégrader, les températures moyennes vont augmenter à cause du réchauffement et les truites disparaitront à moyen terme. Le no kill ne fera que retarder l’échéance, mais comme nous sommes totalement impuissants pour améliorer la qualité de l’eau, il me semble logique et moralement responsable de faire stopper les prélèvements sur une espèce en voie de disparation. Car c’est ainsi que je qualifierais la population de truites sauvages dans la rivière d’Ain et plus particulièrement sur les secteurs avals. Je pense y passer assez de temps pour l’affirmer.

On touche là pour être franc et pour revenir au sujet de cet article, le seul et unique point positif de la fonction de bénévole dans une AAPPMA. Pourvoir mettre en place ses idées. Et encore, ce n’est pas gagné d’avance car cela reste un système démocratique. Il faut donc une majorité que j’ai la chance d’avoir au sein de ma société de pêche. Mais selon l’intensité de son engagement, il y a aussi tous les côtés obscurs, ceux dont je ne soupçonnais pas l’existence avant de les prendre en pleine face. Pour les résumer, on ne se fait pas que des amis, loin s’en faut ! J’ai des souvenirs douloureux durant toutes ces années…Coup de fil, messages, courriers, discutions houleuses au bord de l'eau...Pourtant, j’ai il me semble toujours fait mon devoir d’élu bénévole dans le domaine de la protection des milieux aquatiques, rien de plus. Encore aujourd’hui, je subis les foudres des pêcheurs qui veulent continuer à prélever sur notre linéaire alors que l’on a imposé le No Kill pour la future saison. C’est une décision démocratique avec 16 votants lors de l’AG ce qui est énorme pour une AAPPMA de moins de 100 sociétaires. 15 voix pour, cela ne laisse pas de place à la contestation. Et pourtant…Je me suis encore fait des copains. Parce que même si nous sommes 15 à voter pour, c’est le président qui est pointé du doigt. Certaines situations ne sont pas faciles à vivre surtout dans un petit village comme le notre.

Au final, j’aurais presque envie de prouver par les faits ce que j’avance pour faire taire toutes ces personnes une fois pour toutes. Je propose un deal à ces gens-là qui croient que ce que l’on met en place est inutile sur notre rivière avec des populations aussi faibles. Alors que moi, je pense que c’est la seule décision qui doit être prise. On va réfléchir de façon inverse si vous le voulez bien. Déterminons ensemble un secteur de la rivière d’Ain. Avec quelques amis que j’ai dans mon entourage (Pêcheur à la mouche, au lancer ou encore au toc), nous nous focaliserons sur ce linéaire durant l’année 2018. Nous prélèverons les trois truites par jour autorisées par la loi lors de nos sorties au lieu de toutes les remettre à l’eau comme nous le faisons déjà depuis de nombreuses années. C’est ce que vous voulez conserver comme droit malgré la chute des populations non ? Que les choses soient claires, vous souhaitez conserver les dernières !  Avec les amis auxquels je pense, et sans prétention aucune, je sais ce que l’on est capable de prendre sur une année, surtout eux d’ailleurs. Mais cela ne se voit pas, puisque nous remettons tous ces poissons à l’eau. Si nous faisions l’inverse pour une fois ? Si ces quelques personnes qui ont fait le choix depuis longtemps de remettre leur poisson à l’eau gardaient tout ? Sincèrement, j’ai une petite idée de ce à quoi ressemblerait le linéaire choisi après une saison complète de pêche. Je suis même certain que nous aurions bien du mal à prendre des truites avant la fin de saison tant elles seraient rares, voir totalement absentes.

Je suis bien conscient que de façon générale imposer le No Kill n’est pas une solution, que cela doit être avant tout une philosophie personnelle ou alors une façon d’assumer une gestion halieutique. Mais sur la rivière d’Ain, chez nous, sur ces parcours que je parcours depuis des décennies et que je pense connaitre un peu, c’est juste une évidence. Une sorte de dernière chance. Un sursis avant la mise à mort. A partir de l’aval de Champagnole, les truites sauvages sont des survivantes. Les plus gros rassemblements sur frayères que j’observe ces dernières années sont composés de 10 voir au grand maximum 15 géniteurs. Le plus souvent, c’est seulement deux ou trois  couples.  Ce n’est rien…Presque rien. Il faut juste comprendre que l’on arrive à la fin d’une époque. Si on continu de prélever, on finira plus tôt. Très tôt. C’est un choix que je n’ai pas fait. J’ai envie d’observer des truites sauvages encore quelques temps, le plus longtemps possible. 

Alors merci encore une fois aux membres de l’AAPPMA qui ont voté pour que ces quelques truites soient protégées. Merci à l’administration de valider notre souhait.

La vie d’un bénévole dans ce monde de pêcheurs où tous croient détenir la vérité (et je me mets dedans) n’est pas des plus simples. Mais dans tous les cas, et comme je le répète souvent à qui veut l’entendre, après ces vingt années, je peux au moins regarder la rivière en face en ayant conscience d’avoir fait ce qui était possible de faire à mon niveau. Et pour moi, c’est tout ce qui compte.