La pêche de la truite fario est fermée depuis trois mois maintenant dans notre département. J’ai pris un peu de temps pour avoir un certain recul afin de faire le point sur cette saison 2016 qui globalement me reste en travers de la gorge. Mon analyse concerne essentiellement la partie aval de la haute rivière d’Ain, celle où j’ai pratiqué 90% du temps lors de cette dernière saison. Ce n’est pas mon habitude, mais l’absence de réponses à mes questions a fait que j’ai insisté sur les mêmes parcours…Cela me permet aussi aujourd’hui d’avoir un vrai retour sur une année. Retour réalisé sur 100 à 150 sorties sur la rivière durant les périodes de pêche ou non. Cela représente quelques heures et donne, je pense, de la crédibilité à ce qui va suivre.

Pourtant, tout avait débuté pour le mieux et dans une banale normalité si j’ose dire. Les observations hivernales des frayères ont été très bonnes. En tous les cas conformes à ce que j’ai l’habitude de voir tous les ans sur ces lieux de reproduction que je connais si bien. J’ai même vu par endroit pas mal d’activité sur quelques journées en février quand le niveau de la rivière d’Ain me le permettait. Les truites étaient même bien présentes sur une de mes berges fétiches. Je les voyais boulotter les portes-bois en les ramassant au fond ce qui faisait briller leur flanc à chaque coup de gueule. Difficile pour le coup de ne pas les voir. Le fond de la rivière était d’ailleurs très propre à cette époque-là de l’année. J’imaginais déjà avec un grand sourire les premières parties de pêche en mars en regardant ces poissons se nourrir. Je me souviens juste d’une truite malade vue en février, une seule. C’était une truite arc-en-ciel qui plus est. J’avoue que sur le coup, cela ne m’avait pas marqué d’autant plus que les zébrées, elles, étaient bien en forme. Cette truite était aveugle pour être plus précis. Je l'ai vu sur l'aval du parcours de notre AAPPMA. Je m’en souviens très bien, c’était lors d’une sortie repérage avec ma petite fille, et c’est plutôt rare qu’elle m’accompagne.

Puis l’ouverture est arrivée début mars avec l’envie qui l’accompagne. Les semaines du début de saison 2016 ont été très chaotiques pour le pêcheur en nymphe à vue que je suis. J’étais frustré. Les niveaux très fluctuants et donc les fenêtres pour se faire plaisir furent plutôt rares. Les premiers indices sur une problématique à venir sont apparus très vite en fait. Lorsque le niveau est trop haut pour la nymphe à vue, et ce même au mois de mars, on peut voir des gobages à défaut de truites sur les bordures. Je prends tous les ans quelques truites en sèche sur mes coins favoris en tout début d’après-midi. Il suffit de ne pas louper l’éclosion du jour. Comme un peu partout en début de saison, l’activité est très brève. Il est conseillé de bien connaître ses coins de pêche pour trouver le poisson.  Et justement, là où j’aurais pu parier bien des choses sur des gobages à coups surs, je n’ai rien vu ou si peu. Et ce n’est pas parce que les mouches étaient absentes, non, les éclosions se faisaient comme d’habitude. Mais il n’y avait rien en dessous. C’était assez terrible de venir à la rivière après le coup du midi une fois et ne rien voir. Deux fois, rien. Trois fois…Toujours rien. Des mouches, pas de rond. J’ai commencé à me poser des questions beaucoup plus sérieusement.

Une des toutes premières truites de la saison 2016.

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Puis les premières matinées à pouvoir traquer les truites en bordure sont arrivées. Entre temps, le fond de la rivière s’est noirci malgré des coups d’eau répétitifs. Une couche d’algues marron est apparue comme maintenant tous les ans fin mars début avril. On peut dire merci à notre système agricole et ses épandages qui réapparaissent sous d’autres formes sur le fond de nos rivières. C’est aussi flagrant que révoltant.

Sur ces premières sorties souvent matinales, j’ai vu très peu de poisson. Je voyais en fait toujours les mêmes truites…Jusqu’à ce que je les prenne. La grosse différence avec l’année d’avant et qu’il fallait beaucoup plus chercher, beaucoup plus marcher et donc faire un grand linéaire pour trouver des poissons. A rajouter à cela, jamais la surprise d’un nouveau poisson, non, que des vieilles connaissances. Sur une des berges que je fais souvent, sur mes deux premières sorties, j’ai vu 4 truites de plus de 40 là où j’en voyais 25 l'année précédente. Une fois ces 4 poissons capturés, je n’ai plus rien revu. Je suis revenu pas loin d’une dizaine de fois pourtant…Je ne revoyais même plus les poissons pris.

Truite prise début avril en nymphe à vue.

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Une autre berge, une autre terrible expérience. Celle où j’ai pris ma truite de 71cm l’an passé (que je n’ai jamais revu d’ailleurs). C’est une berge qui m’offre tous les ans entre 5 et 10 poissons de plus de 50cm selon ma réussite. Cette saison, je n’ai même pas eu l’occasion d’en tenté un seul…Sur plus de 15 visites et prospections. Terrible. Je ne comprenais pas et cela me rendait fou. Les niveaux qui ne cessaient de monter et descendre m’empêchaient de faire des observations plus précises. Je pouvais juste constater que je ne voyais pas le même nombre de truites comme les années passées et également, pas de gobage. Mais encore plus grave, les gammares qui provoquent la frénésie des gros poissons au cœur du printemps et les rapprochent de la bordure étaient eux aussi totalement absents. Je n’ai pas vu de la saison 2016 une truite en bordure sur ces célèbres crustacés d’eau douce. Rien, une fois de plus. On me parle de cycle, j’attends de voir. J’espère revoir très vite ces petites bestioles. Ce qui est paradoxale, c’est que j’ai pris quasiment tous mes poissons avec des JFD cette année, alors qu’il n’y avait pas de gammare…La pêche est toujours pleine de surprises.

Une belle truite capturée par mon fils. Une des rares prise au printemps en pleine forme.

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Il y a eu une période fin avril début mai où la pêche à vue était praticable sur quelques jours, plus que le reste du printemps où la rivière ne cessait de bouger. J’ai pris un certain nombre de truites ces jours-là. Mais là aussi, il y avait un constat. La majorité des poissons étaient maigres ou légèrement en de ça d’un poids normal. De plus, et même sur des parcours encore différents, la densité n’était pas du tout au rendez-vous. J’ai fait une seule matinée à 3 poissons, sinon, c’était 1 poisson ou 0. Sans prétention aucune, pour faire 0, c’est très souvent des matinées où je n’ai pas eu un seul poisson à tenter, chose qui n’arrivait jamais encore l’an passé. Sans parler des années précédentes…Et des matinées comme ça, à ne rien voir, à ne rien tenter, j’en ai vécu pas loin d’une dizaine ce printemps. C’est tout simplement une première pour moi sur la rivière d’Ain depuis trois décennies que je la pratique. J’étais sans solution et complètement désemparé. Une période très triste que le bonheur des truites capturées ne comblait pas.

A la fin du printemps, j’avais déjà pris malgré tout pas mal de truites, mais par rapport au nombre d’heures passées à la rivière, ce n’était pas grand-chose au final. J’ai réellement passé beaucoup de temps à la rivière, plus qu’à la normale. Et malgré ça, je n’avais pas de réponses à mes questions qui ne cessaient de se rajouter les unes aux autres.

Les prémices de réponse ont fait leur apparition morbide à la mi-juin. Je m’arrête plusieurs fois par semaine sur le pont de pont-du-Navoy en allant au boulot le matin. Je fais juste un aller d’un côté du pont et un retour de l’autre. Ce matin là, deux truites mortes gisaient au fond de la rivière. Une sur chaque rive en amont du pont côté réserve. Deux poissons de plus de 50 centimètres. Je m’en souviens très bien car la fermeture sur la Bienne venait d’être actée pour les raisons que l’on connaît. J’ai même un peu paniqué d’ailleurs en demandant à la garderie fédérale et des amis pêcheurs s’ils avaient vu des poissons morts eux aussi. Les réponses furent négatives. Je me suis dit que je n’avais pas de chance, mais quand même, avec le printemps que je venais de vivre, ça sentait de plus en plus mauvais.

Souvent, les truites trouvées mortes n'avaient aucun signe extérieur de maladie ou autre.

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Et puis les semaines ont passé. La rivière était cette fois-ci d’un bon niveau pour la pêche en nymphe à vue et donc pour l’observation. Comme m’a dit un jour mon copain Simon, on pouvait bien voir qu’il n’y avait rien ! Alors rien, c’est exagéré bien entendu. Mais sincèrement, je ne voyais pas le tiers de ce que je voyais d’habitude (et je parle de la saison 2015, pas d’il y a 20 ans.). Mais surtout, il y avait un terrible déficit dans les gros poissons. Au fil des sorties, j’ai commencé à trouver régulièrement des truites mortes, agonisantes ou encore aveugles. Que des gros poissons. Des amis, des internautes qui suivent mon blog ont commencé à m’envoyer des mails accompagnés de photos (encore merci). Ce qui était terrible, c'est qu’eux aussi trouvaient des poissons dans le même état mais sur des parcours différents que ceux que je pratiquais (plus en aval encore ou bien le bas de Champagnole). Alors attention, quand je parle de poissons morts, c’était un ou zéro trouvé par sortie, rien de plus. Il y a une matinée début juillet où avec le copain Seb nous avons trouvé trois truites mortes sur un faible linéaire (Pont du Navoy). Sinon, c’était un poisson maximum, je le répète. Mais lorsque comme moi vous êtes sur la rivière 4 à 5 fois par semaine, le nombre de poisson trouvés morts augmente assez vite avec les semaines qui passent. Il devient conséquent sur trois mois, un peu moins de 40 truites trouvées de mon côté de mi-juin à début octobre pour la dernière vue. Et puis toujours cette impression de plus en plus réelle de voir tellement moins. Il y a eu des épisodes où l’espoir renaissait de façon éphémère lors des vaironnées par exemple qui ont pour effet de rassembler les poissons au même endroit. Encore que j’en ai vu sans une seule truite dessus. Et puis la réalité revenait très vite au galop avec des berges qui sonnaient le creux. Des berges que je connais au centimètres près pour commencer à bien comprendre qu’il y avait un sérieux problème.

Début août, le niveau de la rivière était déjà très bas, la température de l’eau montait, mais malgré tout, rien à voir avec l’an passé (où quasiment aucune mortalité n’a été observé pour des conditions plus difficiles). J’ai pris mon dernier beau poisson à cette époque sur l’aval de la rivière.

J'espère qu'elle est encore en vie. Je ne l'ai pas revu cet automne en tous les cas.

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Pour moi, et connaissant bien le secteur, je pense ne pas avoir besoin que l’on me dise par le biais d’un arrêté préfectoral si je dois ou non continuer à pêcher. A partir du 10 août, c’est devenu extrêmement compliqué pour les poissons sur l’aval de la rivière d’Ain, je l’ai bien compris (Sur l’amont, c’était largement acceptable encore). L’eutrophisation était grandissante. Les truites étaient en souffrance totale. Il devenait impératif de mon point de vue de faire quelque chose. En tant que président de mon AAPPMA, j’ai donc demandé auprès de la fédération de pêche du Jura la fermeture anticipée de la pêche et proposé de la faire appliquer sur les parcours de la rivière d’Ain plus en aval des nôtres. Les AAPPMA de la truite de l’Ain et la Gaule lédonienne ont accepté dans la foulée. Ce qui est malheureux, c’est qu’il faille en arriver là pour que les pêcheurs stoppent leur activité et laissent les truites tenter de survivre dans de telles conditions. Fin août, début septembre, le fond était tellement colmaté que les quelques poissons encore présents dans la rivière étaient sortis en permanence pour trouver de quoi se nourrir. Ils étaient obligés de faire de très grands circuits pour trouver très peu de nourriture au final. Et il faut bien le dire, c’est les pêcheurs à vue qui ont abusé le plus longtemps profitant de cette situation volontairement ou non (le plus souvent sans s’en rendre compte). J’ai même des amis pêcheurs qui pratiquent d’autres techniques et qui conservent encore leur poisson qui m’ont fait la réflexion suivante : Tu vois, moi, je les garde mes truites, mais ça fait deux mois que je les emmerde plus. Les mecs sous prétexte qu’ils remettent le poisson à l’eau, ils vont les pêcher jusque dans rien d’eau avec toute cette mousse au fond, ça me dégoute ! Je vous avoue que j’avais bien du mal à prendre la défense de ces pêcheurs à la mouche qui pour certains ont compris malgré tout après avoir discuté avec eux.

Truite rencontrée durant l'été sur la hte rivière d'Ain.

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J’ai donc fait ma première demande de fermeture à la mi-août pour qu’elle soit effective une semaine avant la vraie fermeture en septembre. Merci à notre administration. De plus, elle s’est faite sur tout le département au final ce qui a compliqué encore les choses au niveau administratif.

En résumé, ce fut une saison bien morose d’un point de vue personnel. Les truites prises, les bons moments avec les amis ou mon fils ont été effacé en partie par toutes ces questions que je me pose encore aujourd’hui. Car oui, à ce jour, je suis certain de ce que j’avance mais je ne sais l’expliquer. Après les observations d’automne par eaux basses (en octobre) et le début des rassemblements pour le frai (ces dernières semaines), les truites sont moins nombreuses. Les classes d’âge chez les gros poissons ont été décimées. Par contre, et c’est le motif d’espoir, j’ai pu observer ces derniers mois une bonne quantité de truites allant de 20cm à 40cm. Pas partout certes, mais sur certains secteurs bien précis, les truites sont encore là et cela m’a redonné du baume au cœur. J’avoue que j’en avais grand besoin. Il ne faudrait pas par contre enchaîner sur un troisième été sec et chaud, cela serait terrible. Ca ne tient pas à grand-chose en fait, un ou deux orages de plus en été un peu espacé. Rien que ça. Est-ce un changement ou un mauvais cycle, mais les orages estivaux ignorent notre région ces dernières années. Cela engendre un étiage sur une durée beaucoup trop importante pour la survie des truites.

A Pont-du-Navoy depuis le pont à la fin de l'été. Le fond était totalement colmaté. Forcément, les truites doivent chercher plus pour trouver moins.

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J’ai terminé ma saison de pêche sur l'Ain sur des notes plus positives en montant sur la rivière pour retrouver des parcours plus en état du moins en apparence et où les truites sont encore nombreuses. J’ai passé de très bons moments et je vous avoue que je risque de passer plus de temps « là-haut » en 2017 car j’ai envie de retrouver la joie de pêcher et non pas d'errer à chercher des truites qui n’y sont plus.

Il faut garder le moral en espérant que nos chères truites parviennent à vaincre tous ses maux.

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En conclusion (tout à fait personnelle), et n'ayant rien vu de suspect avant le mois de mars, je pense que ce printemps a été mortel pour bien des poissons sur les parcours avals de la haute rivière d'Ain. Les niveaux d'eau trop hauts ne m'ont pas permis de voir et donc d'estimer les pertes. J'ai juste pu les constater une fois la rivière plus basse à partir de mi-juin avec encore de temps en temps des truites qui crevaient ici ou là. Mais cela n'était que la fin de l'épisode de mon point de vue. Les parcours avals ne sont pas morts, mais ils sont bien malades. En trente ans, c'est la première fois que je vois autant de changement d'une année sur l'autre en ce qui concerne le cheptel. C'est hallucinant sur les truites de plus de cinquante centimètres. De nombreux amis font les mêmes observations que moi sur ces mêmes parcours.

Heureusement, la rivière d'Ain possède encore de très beaux parcours un peu plus en amont. Et comme déjà écrit plus haut dans cet article, même sur l'aval, certains secteurs m'ont surpris ces dernères semaines avec des poissons de tailles modestes bien présents. Tout n'est pas mort. A suivre en 2017...Je serais présent sur les berges de ma rivière de coeur. .