Le montage de mouches passionne plus que la pêche en elle-même chez certains pêcheurs. Je suis parfois sidéré par tant d’imagination lorsque je parcours les réseaux sociaux. A croire que de nouveaux insectes apparaissent chaque année à la surface de l'eau. De son côté, André était en plus du pêcheur d'exception que tout le monde connait un très bon monteur. Très appliqué sans toutefois être un maniaque du porte-bobine. Ce n’était pas un monteur qui faisait dans l’imitatif et pourtant, son niveau en entomologie aurait pu le rendre tout à fait crédible (au contraire de moi par exemple) dans ce domaine. Mais André était avant toute chose un pêcheur, un preneur de poissons hors normes. Il capturait les truites et les ombres en grande quantité et avec une régularité qui pouvait déprimer les personnes qui l’accompagnaient régulièrement ou les rendre admiratifs à vie.

En conséquence, André Terrier à la plupart du temps fait le choix de la mouche d’ensemble sans rentrer dans les détails. Ses priorités étaient les silhouettes, les teintes et la densité des matériaux. On retrouve cette philosophie par exemple dans la série ATT (André Terrier truites) que les Mouches Devaux ont longtemps commercialisé. L’alezane, la golden verte, la rose sont d’autant de nymphes identiques avec des coloris différents pour coller à l’éclosion du moment. La rose pour les echdyos, etc…Le choix de la laine pour la confection des corps, matériau qu'André adorait, n'est pas non plus anodin.

Il a continué la même démarche avec ses ATE (André Terrier émergentes). Une forme globale est née avec un corps, un thorax et des ailes en croupion de canard. Il a rajouté une petite boucle en laine (encore et toujours) pour rappeler l’exuvie avec les mêmes couleurs qu’il utilisait pour les ATT. Et ça fonctionnait du tonnerre. Cela fonctionne toujours d’ailleurs ! Tout ça pour dire qu’André ne se prenait pas la tête plus qu'il ne faut dans ses imitations. Par contre, cela ne veut pas dire pour autant qu’il ne cherchait pas en permanence à les améliorer. Bien au contraire. Mais il était plutôt dans la recherche du nouveau matériau, celui qui aurait pu donner un autre aspect à ses nymphes ou mouches déjà existantes mais en donnant plus d’attrait, en lui donnant un pouvoir plus prenant vis-à-vis des truites et des ombres qui hantaient ses nuits. Car finalement, et on le voit dans la série ATO (André Terrier ombre) ou la série « étiage », les nymphes de ses collections ont toutes la même forme. Pas de chichis ou autres rajouts sans aucun intérêt. Des mouches de pêche ! Bien qu’il m’ait avoué avoir glissé dans chaque série quelques modèles pour prendre les pêcheurs plus que les poissons.

Sa recherche permanente de matériaux divers et variés lui faisait faire quelques bêtises parfois. Je me souviens d’un samedi où nous nous étions rendus sur le Doubs « aux Goubots » pour pêcher l’ombre en automne. Une époque aujourd’hui révolue malheureusement. Je n’ai plus aucun souvenir de la pêche ce jour-là. Par contre, une anecdote m’a bel et bien marqué. Sur le chemin du retour, nous avons aperçu une martre crevée sur le bord de la route. André a fait demi-tour pour venir se garer près du cadavre de la malheureuse. Un sac plastique et hop, rangée. Pendant le temps qu’il nous restait avant d’atteindre Crotenay, André m’a fait la liste de toutes les bestioles qu’il allait pouvoir fabriquer avec cette nouvelle fourrure. Il était content de lui. Le truc, c’est qu’après m’avoir posé à la maison et être rentré chez lui, il a tout sorti ses affaires de pêche de la voiture…Sauf la martre. Il n’a pu eu besoin de son véhicule le lendemain. C’est seulement deux jours après qu’il a fait la découverte d’abord par l’odeur, puis par le souvenir de la bête qui fermentait tranquillement dans son sac. J’en rigole encore ! L’Alfa grise a bien eu des maux à se débarrasser de cette odeur de putréfaction par la suite.

Vers la fin des années 80, André a découvert Le matériau ! Pour pêcher à vue, à cette époque, il utilisait des cuivres ou encore des nymphes faites en herl de plume de paonne. Mais la nouvelle plume qu’André découvrit lui offrit de nouvelles possibilités. La célèbre plume de vautour fauve venait de tomber entre de très bonnes mains. André trouva de suite que les herls de ces plumes étaient tout bonnement extraordinaires. Il eu très vite l’idée de les teinter à l’acide picrique pour leur donner une teinte olivâtre comme il aimait la nommer lors de ses démonstration de montage. Il utilisait déjà l’acide picrique pour d’autres plumes et poils. La vautour était née ! Et ce à la fin des années 80. Un bail quoi. Mais toujours sans révolution. La nymphe avait la même apparence que les ATO classiques. Des cerques, le corps conique en herl teinté, et une tête en fil de montage vernis ou non. Rien d’autre. Cette imitation avait un succès assez indescriptible en été sur la rivière d’Ain. Plus tard, André a fait des variantes avec en point d’orgue celle avec la tête dorée. Une sucrerie à zébrées. Aujourd’hui, j’en monte toujours pour moi et mon fils, je suis juste passé sur des hameçons caddis (TMC2488) et souvent en plus petites tailles que ce que faisait André à l’époque.

Ce qui était terrible, c’est que ces plumes étaient extrêmement rares. André en avait quelques unes, mais moi non. Rien ! Que les yeux pour pleurer !

C’était aussi une période où je débutais la compétition en rivière et en réservoir. Le tout début. J’étais inscrit pour une promotion nationale au réservoir des trois lacs à Trept. C’est le GPS de Jacques Boyko qui organisait cette épreuve. André n'avait pas pu m’accompagner ce jour-là. Il en était d’ailleurs désolé si bien que pour se faire pardonner et motiver son disciple, il me proposa un deal. « Si tu gagnes cette compétition, tu auras le droit à un bouquet de plumes de vautour à ton retour ». Je peux vous dire que j’étais chaud ! Par pour la gagne, mais uniquement pour les plumes, c’était une occasion unique d’acquérir le graal du monteur à ce moment-là.

Je ne me souviens plus du déroulement exact de la journée. Ce que je sais, c’est que lors de la dernière manche, il me fallait un poisson pour gagner. Eviter le capot obligatoirement. Le truc, c’est que les soies tombaient sur l’eau depuis le matin et que tous les poissons étaient au milieu du plan d’eau. J’ai utilisé le règlement dans mon intérêt au grand dam de Jacques qui était remonté contre moi, je m’en souviens très bien. On avait le droit à deux mouches, quelque soit la densité. J’avais alors mis un truc bien coloré en potence et très flottant qui me servait d’indicateur. En pointe, une nymphe mégot, autre trouvaille géniale d’André. C'était donc tout à fait dans les cordes du règlement et les réactions hostiles m'amusaient plus qu'autre chose du coup. J’avais le vent dans le dos. Après avoir lancé au plus loin de mes possibilités, j’ai laissé le vent et les vagues sur le lac porter mon indicateur et ainsi amener ma nymphe au milieu du lac. Ce qui devait arriver arriva, et j’ai du ferrer un poisson à près de 50 mètres après que l'indicateur eu disparu. Cette truite arc-en-ciel me donna la victoire. J’avais appelé mon père pour lui dire dans la foulée. Il était très pudique en termes d’émotions et de sentiments, mais je savais qu’au fond de lui, il était très fier de son fils. Ce que je ne savais pas, c’est qu’André était chez nous, et que par conséquent, il savait aussi. Mon père et André était très bon copain. Ils s'entendaient à merveille.

En rentrant à la maison, j’avais sur la table de la cuisine un bouquet de plumes de vautour fauve avec un mot signé de la main d’André. Ma plus belle récompense. J’ai appris très récemment que ces plumes lui venaient d’un ami espagnol nommé Luis avec qui je suis en contact aujourd’hui. Dire qu’aujourd’hui pour rendre un gamin heureux, il lui faut le dernier cri en matière de téléphone, moi, quelques plumes ont suffit…J’étais réellement le plus heureux des mômes !

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