Nous avons tous vécu un printemps totalement inédit. Nous l'avons vécu tous de manière différente d’ailleurs. Cette différence étant surtout liée à la localisation de chacun durant ce confinement qui aura duré près de deux mois.

Être isolé en habitant à la campagne avec accès direct dans les champs et les bois était pour le coup un immense soulagement. Si la vie a fait que vous ayez un peu de terrain, c’était quasiment parfait. J’avoue avoir passé du bon temps à la maison. Et puis pour une fois, les rôles étaient inversés avec madame puisque de son côté, étant aide-soignante, elle n’a pas cessé son activité.

Malgré tout, sur la durée, et ce même dans le confort d’une maison en pleine cambrousse, l’envie d'une plus grande liberté se faisait sentir. Bien entendu, presque tous les jours j’utilisais mon attestation lors de ma sortie d’une heure. La rivière étant largement dans le kilomètre règlementaire, il m’était facile de m’y rendre à pied depuis la maison. Mais en une heure, c’est compliqué de profiter pleinement. Alors oui, j’ai parfois, lors de mes balades journalières, légèrement triché sur mes horaires, voir un peu sur la distance. Quand on est parti sourire aux lèvres à marcher le long d’une rivière vide de présence humaine, le temps et la notion des kilomètres se dissipent très facilement. On est hypnotisé par ce spectacle naturel et on oublie tout. Même le règlement.

J’ai fauté. Seul, à quelques kilomètres de toutes habitations, à rester assis au même endroit pour contempler dame nature, pour apprécier les sons et les odeurs de cette rivière que j’aime tant, je suis devenu un hors-la-loi. C’est terrible ce sentiment que l’on ressent en soi à ce moment-là. Ne pas être dans les clous et le faire sciemment. Je ne souhaite pas passer pour un saint, mais cela reste un sentiment étranger pour moi quand même. Le chemin du retour était à chaque fois une farce tant j’avais la crainte de ma faire prendre. C’était de plus tout à fait possible puisqu’au village, des gendarmes ont été vu en VTT dans les chemins de champs à la recherche des dangereux villageois promeneurs isolés. Je préfèrerais les voir venir faire des rondes l'été quand la rivière est pêchée à la main ou au fusil harpon, mais non, plus personne ! Il faut croire que malgré mon profil peu avantageux, je suis passé entre les mailles du filet ! Ouf ! Mon casier reste vierge !

Cette introduction quelque peu ironique pour vous dire à quel point j’ai vécu un mois d’Avril assez incroyable. À cela s’ajoute le début du mois de Mai qui était tout simplement exceptionnel. Depuis, l’été est passé par-là. Il a tué de nombreux poissons que j’ai pu observer durant ce confinement. C’est dramatique car il y avait encore un petit potentiel. Maintenant beaucoup moins…

Je suis un grand habitué et même un fan des observations automnales sur les truites de la rivière d’Ain. J’ai toujours ce même plaisir à les retrouver paisibles dans un comportement naturel. Par contre, je n’ai jamais pu les observer lors de conditions similaires de tranquillité comme ce printemps 2020. J’ai vu des scènes que je ne reverrais sans doute jamais. Durant un printemps « normal », les truites peuvent avoir de grosses périodes d’activités. Nous sommes d’ailleurs là pour en profiter. Imaginez donc un peu lorsque les conditions sont bonnes avec des eaux basses et claires, des fonds propres et des températures extérieures très douces. C’est en tout point les conditions que l’on a eu au mois d’avril. Maintenant que vous avez bien en tête ces scènes de frénésie alimentaire de nos truites zébrées préférées, recommencez à vous l’imaginer sans aucun acte de pêche depuis des semaines, avec un comportement non perturbé par la pression de pêche…Je vous le dis de suite, vous ne pouvez pas vous l’imaginer. Il faut l’avoir vu pour le croire.

Je me suis forcé de ne faire aucune image. Je savais que je ne résisterais pas à les mettre en ligne un jour ou l’autre et sincèrement, il y a des images que le commun des pêcheurs ne devrait pas voir ! Alors oui, j’ai agi en hors-la-loi, mais le butin en valait vraiment le coup !

La scène qui m’a le plus marqué reste la vision durant plusieurs jours d’affilé d’une vaironnée gigantesque. La vaironnée est cette zone où les vairons viennent se reproduire. Leur masse attire les prédateurs chaque année. C’est un rendez-vous incontournable pour les truites du coin qui viennent ici pour festoyer en se remplissant le ventre comme ce n’est pas permis. Avec la présence des pêcheurs qui peuvent « squatter » l’endroit du matin au soir, les truites restent là malgré tout. Ce repas facile plein de protéines est beaucoup trop tentant pour fuir à la moindre occasion. Une fois plus, imaginez la scène sans présence humaine, sans ce pêcheur qui revient tous les jours pour tenter de prendre une à une toutes les truites de la place. Non, personne, juste les truites et les vairons. Rien que d’y repenser…On les embête vraiment parce pour le coup, elles ont encore un comportement tellement différent lorsqu’elles peuvent engloutir leurs proies comme bon leur semble et sans aucune crainte de sentir le fer. C’était magique ! Une vraie orgie. Je ne sais pas combien de vairons une truite est capable de manger sur la journée, mais c’était impressionnant.

Tout n’était pas rose quand même. C’est aussi pour cela que j’y suis allé régulièrement. Les harles et les cormorans n’ont pas mis longtemps à comprendre que la rivière était vide de pêcheur. Ils ont pu à loisir se nourrir tous les jours. Une petite catastrophe quand même. Alors bien évidemment, je n’ai fait que les pousser chez le voisin, mais bon, ce n’était déjà pas rien pour notre petit parcours.

Je n’ai aucune idée des conséquences de cette période de non pêche sur les populations. Chez nous, sur un parcours 100% no kill, je suis partagé entre le fait que les poissons ont pu se nourrir dans de très bonnes conditions. Ils étaient donc à mon avis mieux armés pour affronter l’été. D’un autre côté, il y a eu cette prédation d’oiseaux piscicoles que l’on ne connaissait pas les autres années au printemps. Au final, difficile de faire un bilan positif. Sur les parcours à prélèvement, ce fut positif je pense. L’effet deuxième ouverture que je craignais pour ma part n’a pas eu lieu. On sait que l’essentiel des prélèvements se fait durant les deux premières semaines de mars. Je pense donc que pas mal de poissons n’ont pas fini dans les gamelles.

Même si cette période n’a pas été simple, je suis très heureux d’avoir pu vivre ce confinement près de ma rivière de cœur. Ces semaines d’observations resteront gravées dans ma mémoire. Toutes ces scènes de chasse et de prédation, ces poissons installés en surface qui profitaient des éclosions, ces truites qui nymphaient en restant entre deux eaux ou encore ces belles zébrées collées à la bordure sans aucune envie de fuite. Le confinement a laissé place à une nature apaisée avec des animaux sauvages qui ont retrouvé l’espace de quelques semaines une vie vraiment tranquille. C’était le paradis.