Les premiers jours de mars sur la haute rivière d'Ain ne sont pas du tout faits pour la nymphe à vue. Notre rivière n'est pas et n'a jamais été précoce. De plus, cette année, la neige a été très abondante et la douceur des derniers jours a précipité sa fonte de façon régulière de telle façon que la température de l'Ain tourne autour des huit degrés. A pareille époque, il y a encore quelques années, j'aurais laissé ma canne à mouche à la maison pour la troquer avec mon lancer et mes vairons. Avec mon père, on les conservait tout l'hiver dans un tambour de machine à laver qui mouillait dans notre vivier. Sacrés vairons, on leur en faisait voir !

Cette époque est révolue et même si c'est beaucoup plus compliqué de prendre une truite à vue dès le mois de mars, je prends uniquement ma canne à mouche maintenant. Avant ce jeudi matin, je n'avais pas pris de belle truite à vue lors de mes sorties matinales. On me dit souvent que j'ai de la chance, certes, la rivière est à quelques secondes, mais du coup, si je veux pêcher avant d'aller au boulot, je dois me lever encore plus tôt pour faire mes mouches afin de satisfaire les commandes potentielles. Une vie bien remplie en somme. 

Ce jeudi, je suis parti avec mon chien. J'insiste en l'emmenant avec moi de temps en temps pour qu'il arrive à se maitriser au bord de l'eau ce qui n'est pas simple pour un labrador. J'adapte donc ma sortie vis à vis du chien en prenant pour option un parcours bien précis. J'ai donc choisi ce jour-là une berge assez encombrée avec un petit chemin étroit dans la végétation. Par le fait, le chien reste facilement dans mes pieds sans trop se disperser...Pas toujours hein ! Mais bon, pour un jeune chien ça reste convenable.

Assez vite, je tente de repérer un premier poisson. La faible lumière du jour me rend la tâche compliquée. Heureusement, j'ai choisi une berge où je suis légèrement en hauteur par rapport à l'eau. Le fait d'avoir un peu plus d'angle me donne la possibilité d'agrandir mon champ de vision. Le chien est juste derrière moi au moment où je stoppe en m'appuyant contre un très gros épicéa. Je cherche sans succès un bout de zébrure sur le fond de la rivière qui est magnifique. Pourtant, d'où je suis, je vois très loin et très bien pour le coup.

Et comme cela m'arrive parfois, je m'aperçois après quelques minutes que je ne regarde pas au bon endroit. Moi qui aime déployer de la soie, j'ai toujours tendance à regarder le plus loin possible, alors qu'une fois de plus, la truite de cette histoire se trouvait à moins d'un mètre du bord. Elle se situe à la limite d'un saule qui vient lécher la surface de l'eau avec ses plus longues branches. Après quelques minutes à la regarder, j'ai pu voir qu'elle s'avançait de temps en temps pour se trouver en dehors de son abri de fortune. J'ai failli ne pas la voir, mais à chaque fois qu'elle se nourrissait, sa caudale sortait de l'eau. Moins d'un mètre du bord, dans très peu d'eau, voilà un coup à priori pas trop compliqué. Le plus dur en fait a été de faire comprendre au chien qu'il fallait rester calme et immobile. Ce qu'il a fini par faire. Un bon toutou ! 

Cuivre sur hameçon de seize nouée à un bon quatorze centièmes, et voilà un des premiers coups d'arbalète de la saison sur un joli poisson. La nymphe perce la surface de l'eau. J'ai essayé de poser assez tendu pour qu'elle ne coule pas trop vite à cause de la faible profondeur de l'eau. Animation légère mais assez voyante pour provoquer la truite. La voilà qui vient intercepter ma nymphe. Je ferre de façon très appuyée. Ma truite n'est pas vraiment ravie du coup. Elle prend l'aval directement en passant par les fameuses branches du saule, je n'ai d'autre choix que de la suivre en mettant ma canne droite pour prendre le même chemin que la soie à travers ces mêmes branches. Je traverse le saule sans encombre et toujours avec ma truite au bout mais qui m'a bien pris une dizaine de mètres de soie sur cette manoeuvre. Je relève ma canne et je bride plus fort. La truite a réellement du jus et donne tout ce qu'elle a dans le ventre. Une belle puissance. Mais je ne suis pas tout seul ! Le chien n'a pas pu se retenir. Il m'a tout simplement suivi dans l'eau et nage autour de moi alors que madame zébrée se fatigue gentiment. Ce bordel ! C'est là qu'on se dit qu'il vaut mieux ne pas décrocher le poisson, parce qu'avec le cirque que m'a mis le chien, je ne suis pas prêt d'en revoir une autre. La truite finie par glisser dans la filoche. Je fais remonter le chien sur la berge mais il est surexcité ! Il reste du boulot...

Ce poisson est carrément obèse. Ca déborde de partout, incroyable pour la saison. J'ai plutôt l'habitude de capturer des truites maigrichonnes au mois de mars. Mais cela colle avec le fait d'avoir vu les truites frayer dès la mi-novembre. Presque un mois et demi plus tôt que les autres années. Je pense qu'elles ont recommencé à se nourrir avec intensité depuis pas mal de temps. Tant mieux, ça fait plaisir de voir des truites en pleine forme.  

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