Après la joie et l'euphorie du titre de champion du monde de pêche à la mouche par équipe, Grégoire Juglaret a accepté de revenir sur ce titre et la performance de cette belle équipe de France. Je vous laisse en sa compagnie, bonne lecture.

Nicolas : La première question que j’ai envie de te poser, c’est, alors, cela fait quoi de devenir champion du monde par équipe ? Comment te sens-tu après cet exploit collectif ?

Grégoire : Salut Nico ! Tout d’abord, un grand Merci pour les publications que tu as fait sur ton compte Facebook et sur ton blog durant ce championnat ! C’est vraiment très sympa !

C’est énorme ! Ça fait quelques années où l’on tournait autour, sans réussir à passer cette satanée seconde marche. Tour à tour, les tchèques et les espagnols nous ont devancés, et c’est un immense plaisir que de se retrouver cette année devant ces deux monstrueuses nations de la pêche à la mouche !

Le titre mondial par équipe est la récompense suprême qu’un pêcheur  à la mouche peut espérer, et l’obtenir avec une équipe telle qu’on avait, un vrai groupe d’amis, c’est simplement un rêve qui devient réalité !

L'équipe de France lors de la présentation des équipes.

Nicolas : Pour les personnes qui n’ont pas suivi la compétition, rappelles-nous brièvement comment cela s’est passé. Entrainement, lieu, nombre de manches, etc…

Grégoire : Suite aux sélections réalisées l’an dernier en Ardèche, fédération départementale partenaire de notre fédération sportive, la FFPS (Fédération Française de Pêches Sportives) a présenté pour ce mondial une équipe composée de :

•Sébastien Delcor (capitaine)

•Robert Escaffre (Manager)

•Olivier Jarreton (directeur technique lac)

•Julien Daguilanes

•Jean Guillaume Mathieu

•Sébastien Vidal

•Et de moi-même.

La compétition avait lieu en Slovaquie, du 5 au 11 septembre dernier. http://wffc2017.com/

Nous somme arrivés quelques jours plus tôt pour préparer cette compétition au mieux, sachant que nous allions pratiquer des types de pêches très différents les un des autres….

•Secteur 1, pêche en bateau, Dedinky lake : lac de barrage de 80 ha, petite population de fario, stocké en arc en ciel

•Secteur 2, La Poprad : rivière complètement canalisée, débit très faible, population d’ombre, truite farios, truites arc en ciel.

•Secteur 3, La Bella : rivière entre 10 et 15m de largeur, plus typée torrent de montagne,

•Secteur 4, L’Orava : rivière de 60 à 80m de largeur, pente assez faible, population d’ombres, fario, et deux espèces de chevesnes.

•Secteur 5, La Vah : rivière entre 15 et 20m de largeur, très linéaire avec peu de pente,

Une compétition sous le signe de la polyvalence !

Greg lors d'un entraînement.

Nicolas : Sans nous dévoiler des secrets d’équipe, qu’elles ont été les techniques les plus utilisées lors de ces championnats ? D’ailleurs, tu as utilisé quoi comme matériel là-bas et pour quelles raisons s'il te plait ?

Grégoire : On a utilisé 3 ensembles principaux, un pour la sèche, un pour la nymphe, un pour la pêche en barque dérivante.

•Un ensemble pour pêcher en nymphe : La pêche en nymphe au fil, que ce soit à une nymphe ou à deux nymphes, était très rentable en début de compétition, et ce, suite à de fortes précipitations les jours précédent la compétition qui avaient calé l’activité des poissons en surface. C’était nécessaire d’utiliser un ensemble rapide, car les ombres faisaient des touches très courtes, mais avec une progressivité importante pour ne pas décrocher ces poissons qui vibraient beaucoup.

Pour ça j’ai utilisé ma Pure équipe en 10’6#3 / Yoto 30 / soie de 55 centièmes

•Un ensemble pour pêcher en sèche : Plus la compétition a avancé, plus les conditions se sont stabilisées et on a pu pêcher à nouveau en sèche. On avait besoin d’une canne assez douce pour ne pas décrocher les ombres mais suffisamment rapide pour ferrer ceux qui gobaient très vite, avec des bas de lignes moyen à long en fonction des rivières (4.5m à 5.5m)

Pour ça j’ai utilisé un proto de Pure équipe en 9’6#3 / Yoto 30 / soie Visiolight #3

•Un ensemble pour la pêche en dérive : Avec les infos qu’on avait de la part des organisateurs, il s’est dessiné une stratégie mise en place par Olivier (responsable technique lac) et Sébastien, consistant à couvrir du terrain pour trouver le peu de petits poissons fraichement lâchés sur les 80 ha de ce lac de barrage. On a donc passé quelques heures au bord d’un petit lac, à tester différents ensemble.

Encore une fois, c’est un proto de pure équipe que le groupe à validé, en 10’#7 qui permettait de pêcher très vite à assez longue distance, pour couvrir du linéaire sans pour autant risquer de perdre des poissons avec une canne trop dure. En combinant cette canne avec des soies de différentes densités (intermédiaire lente, S2, S3, S5) et avec une élasticité adaptée à ces poissons, Seb a pu valider cette stratégie et cet ensemble à la première manche, et ça nous a suivi jusqu’à la dernière.

C’est la polyvalence qui a fait notre réussite sur ce championnat ! Ça fait un peu extrême et publicitaire, à lire comme ça, mais j’ai effectivement pêché uniquement avec des pures équipe, non pas par prosélytisme, mais juste parce que, de toutes les cannes que nous avons apporté avec nous, c’était ce qu’il me convenait le mieux par rapport aux types de pêche pratiquées et aux poissons ciblés.

Le matériel de Grégoire.

Nicolas : Durant la compétition, tu fais une manche très tactique sur le lac. Tu peux nous raconter comment cela s’est passé ?

Grégoire : C’est la manche que j’appréhendais le plus pour cette compétition.

En arrivant au lac avec Oliv, on a pu apercevoir des gobages car le lac était très calme. Pas une effervescence, mais quand même, on distinguait quelques zones plus propices. Je partageais le bateau avec un super gars de l’équipe de Hongrie, et malgré le tirage au sort obligatoire qui désigne le capitaine du bateau en première moitié de session, je lui ai proposé de prendre toutes les décisions ensemble et de faire une pêche « d’équipe » qui permettrait de se placer tous les deux au mieux dans cette manche. Il a été surpris de la proposition, mais super motivé. Et c’était parti !

Pour éviter la cohue et les zones trop brassées par le passage des bateaux, en accord avec l’équipe et Olivier, nous avons laissé partir les autres concurrents et nous avons pris la direction d’une zone qu’on avait préalablement définie.

Mais avant d’arriver sur cette zone, j’ai vu des poissons bouger à un endroit précis, dans le sillage des bateaux qui venait de passer à grands coups de rame dessus. On a demandé à notre batman (comme dirait notre ami Robert !) de s’arrêter, et en très peu de temps, j’ai pu prendre les premiers poissons.

La manche de la veille s’était gagnée à 9, et c’était le nombre de poissons que j’avais à la fin de la première heure ! J’étais moins stressé pour le coup ! La suite a été plus compliqué, tous les bateaux sont arrivés sur la zone, ça a calé les poissons. Mon coéquipier du jour n’avait toujours pas de poissons, et il fallait absolument qu’il en prenne pour qu’il s’intercale entre moi et les nations qui nous talonnaient. Je lui ai passé la bonne soie et les mouches qui fonctionnaient, il a rapidement pris des touches mais avec un peu de manque de réussite il n’a pu mettre que deux poissons dans l’épuisette.

Je finis à 13, ce qui me place deuxième de la manche derrière l’Anglais qui fini à 16 en allant pêcher une zone qui n’avait pas été prolifique pendant les premières sessions. Une vraie prouesse !

L'inimitable manager de l'équipe, Robert !

Nicolas : La cerise sur le gâteau, c’est qu’en individuel, tu termines second. Vice-champion du monde quoi ! C’est fantastique ! Déçu malgré tout de rater la première marche ou pas du tout ? Qu’est-ce qu’il a manqué ?

Grégoire : C’est génial ! Généralement un championnat avec 24/25 nations se gagne avec 13 ou 14 points-place en individuel. Cette année avec 30 équipes, ca aurait du se gagner à 16 ou 17. Avec Seb, on finit respectivement à 12, 14 points, ce qui depuis que les championnats du monde existent, pouvait nous faire gagner tous les 2 ! Au final, Antonin Pesek termine à 8 points, imbattable, aucun regret à avoir.

Lui-même est venu nous voir et nous a expliqué (avec beaucoup de modestie, comme toujours avec les tchèques), que s’il avait eu à choisir ses parcours, connaissant par cœur ces rivières, il aurait pris ceux que le tirage au sort lui a attribué ! C’est un immense pêcheur, doublé d’une personne vraiment très cool, et son titre est mille fois justifié !

Le podium individuel Avec Grégoire et Sébastien ainsi que le Tchéque au centre.

Nicolas : Vous êtes 3 français dans les 4 premiers ce qui est assez incroyable sur plus de 150 compétiteurs. Cette équipe possède 5 pêcheurs de très haut niveau et un staff très compétent. Avez-vous atteint votre niveau le plus haut sur cette compétition ?

Grégoire : On s’est régalé, et je suis certain qu’avec un tirage un peu plus favorable, nous serions tous rentrés dans les 10, mais c’est complètement utopique d’imaginer ça. Ce qui est certain, c’est qu’à la suite de cette compétition, chacun d’entre nous s’est trouvé des points faibles et on a déjà tous commencé à nous entrainer pour essayer de les éliminer.

Donc oui, notre équipe n’a jamais été aussi forte, mais il nous reste encore beaucoup de choses à découvrir et de techniques à travailler ! C’est ça qui est génial dans notre activité, c’est qu’on en apprend à chaque nouvelle sortie !

L'équipe en or !

Nicolas : Quelles sont les nations aujourd’hui qui vous « embêtent » le plus lors de ces compétitions  internationales ?

Grégoire : Le niveau d’équipement aujourd’hui est le même pour l’équipe championne du monde que pour les équipes de fin de tableau, tout le monde a les mêmes mouches, les mêmes techniques. Tout pêcheur tombant sur un bon poste peu gagner une manche aujourd’hui et du coup perturber le classement mondial… Ce qui est un bien pour notre sport !

Durant de nombreuses années les tchèques ont joué la gagne à chaque championnat, puis les espagnols, ces deux équipent complétant encore le podium cette année. Mais si on regarde les résultats de plus près, les slovaques, les polonais, les australiens, les finlandais, les américains…Tous aujourd’hui deviennent des concurrents extrêmement sérieux avec qui il faudra compter dans les prochaines années pour le titre mondial.

Grégoire en compagnie de son contrôleur sur la Poprad.

Nicolas : Je reviens sur ton propre exploit. A quel moment penses-tu avoir fait la différence pour glaner ce titre exceptionnel de vice-champion du monde en individuel ?

Grégoire : A chaque manche, j’ai eu un petit coup de pouce du destin. Avant chaque début de manche, j’ai un petit rituel. Deux coups de fils, le premier à mon père, l’autre à Fred Desfaits.

Première manche, le poste était très sympa sur les 40 premiers mètres amont, et Fred me dit de confirmer ça dans les deux premières minutes. Minute 2, premier ombre. Je finis à 44 poissons et je gagne la manche.

Sur la Poprad, pensant tomber sur un excellent poste, j’apprends que les deux premiers pêcheurs marquent respectivement 10 et 8 poissons, ce qui les place à chaque fois dans la seconde moitié du classement, petit coup de fil à Fred, « j’ai un secteur de M… », Réponse « c’est tout bon, y’a 18 poissons à prendre, tu vas finir à 18 ! »… et je finis à… 18 ! 3ème de la manche.

Sur le lac, que j’appréhendais de peur de ne pas trouver les poissons rapidement, j’ai la chance de voir quelques poissons bouger que je capture dans les premières minutes. Après la pression retombe et on pêche plus sereinement !

Donc il n’y a pas eu un moment clé, mais un cumul de petites choses qui ont fait ma régularité sur les manches.

Avec un des nombreux ombres des rivières slovaques.

Nicolas : Pour les passionnés de l’étau, est-ce-que tu peux nous révéler les imitations qui t-ont le plus rapporter de poissons en Slovaquie durant ce championnat ?

Grégoire : Malheureusement, rien d’exceptionnel ! Oreilles de lièvre et pheasant tail ont fait le boulot tout au long de la quinzaine pour les nymphes, et des petites imitations de BWO en CDC pour ce qui est de la pêche en sèche.

Du classique, encore une fois ! Depuis leurs créations, ces mouches ont toujours pris du poisson aux 4 coins du monde et elles en prendront pendant de longues années !

Nicolas : Après un titre de champion d’Europe par équipe, on peut dire que cette saison est exceptionnelle pour toi et pour l’équipe de France !

Grégoire : Quelle année !

Au championnat d’Europe, on gagne par équipe, 1/2/5/7/13 en individuel. Au championnat du Monde, on gagne par équipe, 2/3/4/9/33 en individuel. Les juniors gagnent par équipe, les vétérans, finissent deuxième, l’équipe des 5 nations remportent le tournois. Quelle année pour la France !

Perso, je ramène à la maison deux médailles d’or par équipe, une 7ème place à l’Europe et une 2ème place aux mondiaux…De loin ma meilleure saison internationale !

Avec les deux Seb ! Ils ne perdaient pas de temps entre deux entraînements !

Nicolas : En tant que professionnel de la pêche, cette carte de visite qui ne cesse de se remplir va encore plus t’apporter au jour le jour. Tu as déjà demandé une augmentation ;-)

Grégoire : Jusqu’à là, le manque de communication autour de la compétition faisait que plus de 80% de mes clients ne savait pas que j’étais compétiteur. Aujourd’hui, entre le travail de Robert, et la nouvelle équipe du Magazine Pêche Mouche et ses liens avec le milieu de la compétition, font que nos résultats seront un peu plus médiatisés.

L’image de JMC n’est historiquement pas liée à celle de la compétition, bien qu’aujourd’hui, plus de 70% du matériel de l’équipe sort de ce catalogue, sans même parler des produits mis aux points par certains membres de l’équipe. Ce qui est le plus impressionnant, c’est le nombre de pêcheurs étrangers, pêchant avec nos produits ou souhaitant s’équiper en JMC à force de voir le matériel que nous utilisons lors des compétitions internationales !

Les 4 autres membres de l'équipe.

Nicolas : Pour terminer et d’un point de vue plus général. La pêche à la mouche en Slovaquie tient quelle place ? La gestion de la pêche de loisir est-elle différente de chez nous ?

Grégoire : La pêche en Slovaquie fait partie de la culture populaire ! Tout le monde pêche, soit à la mouche, soit le sandre, le silure et la carpe.

Les magasins ont une proposition riche et les produits, bien que souvent très différents, n’ont rien à envier aux nôtres.

Pour ce qui est de la gestion des parcours de « première catégorie », ils ont un système beaucoup plus halieutique que le notre. Ils ont deux types de stockage sur de grandes zones no-kill : Un empoissonnement en ombrets de moins de 15cm pour soutenir les populations naturelles, un empoissonnement en surdensitaires  sur les parties avales des rivières avec généralement des farios et des arcs relativement grosses. Une journée de pêche en première catégorie en Slovaquie coûte 20 euros aux pêcheurs, et tout le bénéfice est réinjecté en poissons dans la rivière.

Les conditions de milieux et de pêche dans ce pays, sont bien différentes des nôtres et on ne peut décemment pas comparer et juger notre système de plus en plus patrimonial à leur système halieutique.

Nicolas : Encore toutes mes félicitations super Grégoire et merci d’avoir bien voulu répondre à mes questions. Que du bonheur pour la suite.

Grégoire : Merci pour ton accueil Nico, c’est toujours un très grand plaisir ! J’espère qu’on arrivera à se croiser une fois ou deux cet hiver ! A très bientôt !