En ce 03 avril et cette date anniversaire de la disparition d'André Terrier, je vous présente en intégralité une des nouvelles de mon livre, La truite en Héritage. J'espère que de là où il est, André peut lui aussi profiter de ces quelques lignes. J'ai de très nombreux retours depuis la sortie du livre, c'est très encouragent et j'avoue être très ému. Je me considère de loin comme un pêcheur, et non pas comme un écrivain. J'ai essayé simplement de retranscrire mes aventures comme je les ai vécu. Merci sincèrement à toutes et à tous. Pour se procurer le livre, c'est ici => La truite en héritage. Pour les gens de part chez moi, vous le trouverez au magasin La Détente de Champagnole.


Il est certainement plus facile pour un pêcheur qui pratique la nymphe à vue de se souvenir de la plupart de ses captures qu’un pêcheur d’eaux rapides qui ne les voit qu’une fois sorties de l’eau ou au mieux au moment où il les combat. Ainsi certaines truites conserveront à jamais une place privilégiée dans notre mémoire. Les échecs aussi marquent l’esprit, comme une casse de gros poisson à quelques centimètres de l’épuisette.

En ce qui me concerne, c’est souvent sa difficulté alliée à l’intelligence exceptionnelle d’un poisson qui rend un coup de ligne plus inoubliable que les autres. Dans ces cas là, les mensurations du poisson sont secondaires. Une truite qui prend bêtement ma mouche ou ma nymphe et ce, même en acceptant des erreurs techniques de ma part me gâche mon plaisir. Il faut un tout pour que les émotions soient hors normes. Si un poisson se résume à un chiffre sans plusieurs évènements  qui s’y rattachent, ça reste un poisson sans saveur. La truite de cette nouvelle histoire n'était pas très grosse bien que magnifique, mais ce n'est pas pour cette raison que je m'en souviendrai.

Je fais de mon mieux pour partager équitablement le temps des vacances d’été entre ma famille et la rivière d’Ain. À la première les escapades joyeuses qui font le bonheur des petits et des grands, à la seconde l’exclusivité de ma passion. Je pêche avec la plus que célèbre Loomis GLX Classique en neuf pieds soie de cinq. Une canne de deux brins dont la réputation n’est plus à faire. Le moulinet qui ne la quitte jamais est un Danielsson FW4 seven. Un  couple qui fonctionne à merveille et qui me donne entière satisfaction depuis plusieurs années. L’ensemble est complété par la non moins célèbre triangle taper Lee Wulf n°4 (une taille en dessous, comme vous l’aurez remarqué) de couleur ivoire. Un ensemble adapté à mon genre de pêche, la nymphe à vue entre cinq et quinze mètres dans la grande majorité des cas. 

J’étais donc à peine rentré, la veille, d’un séjour en famille sur l’île de beauté que je suis parti retrouver la rivière d’Ain. L’Ain c’est ma rivière. Où que j’aille, quoi que je fasse, il y a toujours un moment où elle me manque, où le besoin de la retrouver s’immisce petit à petit en moi et me suggère de plus en plus fermement de rentrer. Comme un saumon.

C’était un lundi. Une journée pleine de soleil où malheureusement la rivière aussi était en vacances. Aucun insecte sur l’eau ou encore moins dans les airs. Une journée à flâner en profitant de cette nature merveilleuse qui m’entourait. Tous les pêcheurs ayant un peu de bouteille ont toujours en réserve un ou deux coins où on se dit : « s’il n’y a rien ici, je peux rentrer ». J’en ai plusieurs de ce type sur le secteur de Champagnole dont une petite gravière sur le parcours de Bourg-de-Sirod. C’est un parcours qui se situe en amont de la confluence avec la Saine, le principal affluent de l’Ain amont avec la Serpentine qui coule en bas du village de Nozeroy. L’Ain à cet endroit n’est pas très large et les caches à truites sont pour l’essentiel le fait des racines de saules qui longent la rivière. C’est le parcours à touristes par excellence car il est bordé par la route. Il est donc très facile d’accès et possède un profil assez varié. J’aime le pratiquer au mois d’août car j’y trouve des truites d’une redoutable intelligence et j’avoue que cela me plaît énormément. Des poissons bien éduqués à force de voir dériver au-dessus de leur tête des centaines de nymphes et mouches différentes. On apprend encore plus rapidement avec de tels poissons. On a l’obligation d’aller au-delà de ses propres limites techniques pour chercher, comprendre, et faire la bonne dérive qui trompera la truite. C’est une pêche totalement différente de celle que l’on peut pratiquer au printemps. De mon point de vue, elle présente un intérêt bien supérieur. De plus, on commence à retrouver des poissons qui viennent se nourrir en surface. Et la pêche en sèche avec un étiage estival n’a rien à voir avec une pêche en sèche lors d’une éclosion de march brown en avril où l’on emploie de grosses mouches et du gros fil. Si l’on souhaite, et c’est mon cas, continuer à apprendre et progresser, il faut s’étalonner auprès de ces poissons éduqués. C’est finalement eux et les progrès qu’ils nous font faire qui font que les truites du printemps un peu plus naïves finissent plus facilement dans nos épuisettes.          

J’avais donc dans l’idée d’aller voir sur ma gravière avant de rentrer à la maison. La dernière chance de voir une truite en activité. Le coup en question se pêche en fin d’après-midi en été. Il y a une zone d’ombre rive droite de deux ou trois mètres qui permet de rentrer très légèrement dans l’eau pour avoir le bon angle de vision afin d’éliminer certains reflets. Le but étant de voir le long des saules rive gauche. Le fait de rentrer dans l’eau n’est pas gênant dans ce cas. De plus, je marche en chaussures légères l’été, l’impact sur le fond n’ayant rien à voir avec celui des bottes ou des waders conventionnels. Ainsi la zone d’ombre me rend totalement invisible des truites. 

À peine installé je constatai que j’avais fait le bon choix : il y avait bien un poisson en activité. La truite était en train de se nourrir, tantôt en surface, tantôt sous l'eau. Elle m’apparut comme une merveilleuse exception au milieu de ce désert liquide. Et oui, il y en avait une, la survivante, la rescapée, ou l’insomniaque si l’on considérait qu’elle était bien la seule à ne pas faire la sieste. C’était un spectacle magique tant le reste de la rivière était vide.

La truite était postée à un petit mètre d'une branche de saule qui venait percer la surface de l'eau en face de moi sur la berge opposée. Entré dans l'eau jusqu'au dessus des chevilles pour me donner de l'espace afin de dérouler la longueur de soie nécessaire, j'étais idéalement placé pour l'attaquer et toujours bien caché dans l'ombre de la végétation. Une tentative en sèche ainsi que deux autres avec des nymphes différentes n’eurent pour effet que de la voir s’enfuir  sous sa branche en allant même plus profondément sous le saule à mon grand désarroi. J'avais eu l'impression d'avoir fait les choses correctement et je n'avais pas réellement d'explications pour cet échec. Ce que je ne savais pas, c'est qu'on allait se revoir assez vite...

Le lendemain, je suis allé pêcher sur un autre parcours où j’ai trouvé quelques poissons. Je me suis bien amusé. Par habitude, bonne ou mauvaise, je suis revenu sur ma gravière à peu près à la même heure pour profiter de l’ombre rive droite. Franchement, je ne pensais plus du tout à la truite de la veille. Je viens souvent finir mes journées de pêche l’été en ce lieu car ce coin me parle, j'ai de nombreux souvenirs ici et je m'y sens bien tout simplement. De plus, les truites y sont retorses et comme je l’ai déjà dit, j’adore ça ! Il y avait un ou deux poissons de plus que la veille. J’ai pris une truite assez vite en arrivant. Elle nymphait comme une folle à une cadence peu commune. Un poisson de taille modeste mais d’une telle bonne volonté que c’en était trop tentant. C'est alors que je progressais très lentement à la recherche de nouveaux poissons que je me suis retrouvé au même endroit que vingt-quatre heures auparavant. Et la truite de la veille était à la même place.

 « Mais on se connaît tous les deux ! »

Elle se comportait de la même façon. Gobant de temps en temps et nymphant le plus  souvent. Elle se tenait pile au bout de sa branche de saule, à croire qu'elle ne voulait pas s'en éloigner à plus d'un mètre. Sauf pour nympher puis revenir très vite à sa place. 

« Toi, tu ne vas pas me blouser deux jours de suite. »

Je me souviens avoir vérifié ma longueur de pointe. J’ai choisi de la retenter une première fois en sèche avec une imitation classique sur un petit hameçon. Mais elle n’est même pas venue voir la mouche ! Je me suis alors dit qu’elle aurait pu au moins avoir la politesse de se déplacer et cette réflexion n’a fait qu’augmenter ma détermination. Il fallait voir à quelle cadence elle mangeait, le genre de scénario où on se dit que c’est impossible de ne pas la faire mordre. Et bien il faut croire qu'elle était bien plus maline que moi car au premier passage d'une de mes nymphes elle est repartie sous la branche ! J'étais sans réaction et limite vexé pour vous dire la vérité. Le plus dur, c’est que je n’avais aucune réponse à mes questions. 

Tout cela a le don de m'agacer et de m'amuser à la fois. C'est en grande partie pour cela que je suis amoureux de cette pêche. C’est assez incroyable, que les mêmes truites, assez sympathiques en début de saison puissent devenir aussi tordues avec une pression de pêche régulière. Comme si elles acquéraient une forme d’intelligence. Il ne faut pas non plus que cette fameuse pression de pêche devienne excessive. Car les truites deviennent folles. On a alors affaire à des poissons aux comportements très étranges et complètement anormaux. Des truites qui ne se nourrissent plus de peur de sentir le fer à chaque fois qu’elles ouvriraient la gueule ou encore des poissons qui simulent un combat alors que le ferrage a été manqué. 

Le lendemain, j'avais rendez-vous avec mon copain Simon et un de ses amis d’enfance. Je les ai retrouvés sur le grand plat du barrage de la Roche en amont de Champagnole. C’est un parcours très connu de tous les amoureux de la nymphe à vue. L’activité n’y était pour une fois pas géniale, et après une petite pause casse-croûte, j’ai proposé à mes deux compères du jour d’aller voir sur les gravières de Bourg-de-Sirod si on voyait plus de poissons. On a décollé vers quinze heures en direction du petit chalet qui borde la route du parcours, où l’on peut garer les voitures facilement. Pour la petite histoire, André Terrier a tenté en vain de convaincre son épouse d’acheter cette bicoque à l’époque. Je crois que Mireille a senti le coup venir. Une maison à vingt mètres de la rivière d’Ain, ce n’était pas raisonnable s’il l’on voulait partager un minimum de temps avec son mari. 

Bien entendu, j’avais mon idée derrière la tête. Sans en parler à Simon et son copain, je suis allé directement en direction du poste où devait se trouver la truite qui m’avait mis en échec ces deux derniers jours. Le poisson était là, toujours au bout de sa branche de saule, toujours en train de gober et de nympher. Je le regardais bouche bée, oubliant même de me mettre en position. En réalité je voulais l’observer encore et encore pour tenter de comprendre ce qui m’avait échappé jusque là. 

Après dix bonnes minutes, j’ai fini par me décider à me mettre en place. De toute façon, il n’y avait pas trop le choix sur ce coup. J’étais à la perpendiculaire du poisson, toujours dans la zone d’ombre. J’ai bien vu qu’elle prenait des petites mouches claires, comme souvent en fin d’été d’ailleurs. J’avais dans l’idée de faire un seul passage par bestiole si toutefois cela ne fonctionnait pas. Je ne voulais surtout pas éveiller ses soupçons pour la voir une nouvelle fois disparaître sous la bordure de saules. 

Pour ma première tentative en sèche j’ai choisi une petite peute. Mouche indémodable oubliée à tort par bon nombre de jeunes moucheurs. La mouche était vraiment bien passée mais sans aucune réaction du poisson. Elle n’était même pas venue la voir, rien, inexplicable ! Je patientai de nouveau pour qu’elle se remette à manger à bonne fréquence. Elle re-goba une fois, puis prit deux nymphes. Et elle continua ainsi cinq bonnes minutes pendant lesquelles je la regardai faire sans la pêcher.

Et soudain, sans crier gare voilà qu'elle a quitté son poste. Chose que je ne l'avais pas vu faire les deux premiers jours. Elle est remontée de trois mètres en se centrant au beau milieu de la rivière. Il faut dire que l’Ain à cet endroit n’est pas bien large, mais une fois de plus, j’étais incapable de m’expliquer pourquoi elle avait changé de poste. Pourquoi elle s’était éloignée des saules qui lui donnaient une protection en cas de danger. Arrivée là où elle voulait être, elle s’est remise à nympher, seulement à nympher. Certes j’étais toujours en panne d’explications, mais j’ai vite compris que c’était ma chance. Son nouveau territoire était nettement plus dégagé et il me paraissait évident que j’allais pouvoir effectuer une dérive beaucoup plus grande. L’inconvénient de ce nouveau positionnement était qu’elle était cent pour cent amont par rapport à moi. Situation pas des plus faciles car les chances que la truite voie le fil avant la nymphe y sont multipliées. J’ai pris tout mon temps pour refaire ma pointe sans être avare sur le dix centièmes. En période d’étiage et avec ce genre de poisson retors, j’ai des pointes qui avoisinent les quatre mètres. Elle ne gobait plus du tout donc mon choix pour l’imitation s’est porté sur une petite nymphe de ma fabrication. Une bestiole montée sur un tiemco 2488 en taille vingt deux. Cet hameçon reste ma référence surtout pour son œillet dans la continuité de la hampe qui lui confère une ouverture maximale. C’est une nymphe peinte avec une couleur olive pour le corps et une tête en blanc nacré, un must pour l’étiage. La nymphe a percé l'eau dans l'axe du poisson bien trois mètres au-dessus de celui-ci. J’ai laissé dériver naturellement sans créer la moindre animation. Après une longue dérive, la truite a décollé lentement du fond mais sans faire d’écart sur le côté. Comme j’étais situé plein aval, je ne pouvais absolument pas voir les mouvements éventuels de sa gueule. Je n’avais que son dos en visuel. De plus, la distance à laquelle se tenait ce poisson n’était pas ma meilleure carte.

Pourtant lors de sa montée vers la surface, j’ai eu l’impression de déceler un très léger arrêt, le genre de truc dont on se demande encore longtemps après si on n’a pas rêvé ! J’ai soulevé ma soie sans trop savoir si j’avais raison ou pas. La soie s’est alors tendue et ma truite s’est mise à se tordre dans tous les sens. Wouah, je l’avais.

Très surprise et furieuse, elle a tenté de rejoindre les saules. Elle a même failli y parvenir car durant une dizaine de secondes, j’ai eu tous les maux du monde à l’empêcher de rompre le fil qui nous liait.

Finalement, ce poisson après lequel je courrais depuis trois jours s’est rendu non sans un dernier soubresaut avant l’épuisette. J’étais vraiment heureux et là, ce n’est ni la taille, ni le poids, ni la robe mais bien la malice que cette truite avait manifesté pour déjouer presque toutes mes tentatives. C’est d’ailleurs au moment où je n’y croyais plus que la chance m’avait souri.

Simon et son copain se sont précipités pour admirer le poisson. Je leur ai avoué alors que c’était une copine et que je cherchais désespérément à faire connaissance avec elle depuis trois jours.

Je reste encore persuadé aujourd’hui que s’il n'avait pas changé de place, jamais je n’aurais pris ce poisson. Car je suis toujours convaincu de n’avoir pas commis de fautes sur mes précédentes tentatives.

La maline

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