Retour dans la catégorie interview avec Anne-Cécile. Non, elle n'est pas pêcheuse, mais elle partage une passion en commun avec nous, celle des milieux aquatiques. Anne-Cécile est hydrobiologiste et également photographe subaquatique. Je la suis attentivement sur internet depuis pas mal de temps. Elle possède un talent fou et je trouve qu'elle a une manière bien à elle de nous passionner pour son travail. Je vous laisse découvrir, bonne lecture.

 

Nicolas : Bonjour Anne-Cécile, est-ce-que tu peux nous faire une petite présentation s’il te plait pour débuter cette interview.

Anne-Cécile : Bonjour Nicolas, je m’appelle Anne-Cécile, j’ai 29 ans et je suis originaire de Lorraine. Fervente admiratrice de créatures aquatiques, je les étudie dans le cadre de mon métier d’hydrobiologiste et je tente de les mettre en lumière, notamment à travers l’image subaquatique durant mes plongées en eau douce.

Mon invitée.

portrait_2.jpg

Nicolas : Tu possèdes donc deux passions, l’hydrobiologie et la photographie subaquatique. D’où vient cette passion dévorante pour tout ce qui se passe sous la surface de l’eau ?

Anne-Cécile : Cette passion pour les eaux douces a commencé il y a 7 ans, lors d’un stage universitaire. J’étais alors chargée de réaliser un suivi de la reproduction d’un grand migrateur, l’Alose feinte du Rhône. J’ai rejoint une super équipe de passionnés, dans un bureau d’études près d’Avignon, et réalisé un travail de terrain pendant presque 3 mois au plus près des rivières et de leurs espèces inféodées. Des nuits entières au bord de l’eau à guetter l’activité des poissons, des premières plongées de repérage, des inventaires de frayères et de multiples observations m’ont permis de découvrir ces écosystèmes sous un autre angle, au-dessus et sous la surface. Ma passion de l’image subaquatique était née !

Il se passe quelque chose avec l’élément et avec les poissons. Je pense que tout pêcheur et amoureux des rivières saura de quoi je parle…

J’affectionne particulièrement les rivières courantes pour réaliser mes images.

En pleine plongée. Magnifique photo !

AC.jpg

Nicolas : Commençons par l’hydrobiologie. Des jeunes pêcheurs, que cela soit dans mon club ou sur le net me questionnent régulièrement sur ce métier qui coule de source pour un passionné des rivières et des poissons. Peux-tu s’il te plait les aiguiller sur le cursus scolaire qu’il faut faire pour pouvoir pratiquer ce métier.

Anne-Cécile : Plusieurs formations permettent de devenir hydrobiologiste, chargé d’étude en milieux aquatiques, ou technicien de rivière,…

Pour en citer quelques-unes, il existe des parcours Bac+2 type BTS GEMEAU (Gestion et Maitrise de l’eau) ou GPN (Gestion et protection de la nature) par exemple ou des DUT, et des spécialités à l’université dans le cadre d’une Licence professionnelle en biologie par exemple. Il est possible d’aller plus loin avec un Master professionnel dans la thématique. Certaines écoles d’Ingénieurs existent également pour former aux métiers de l’eau (ENGREF, ENSA…)

Un bac scientifique est préférable, mais ce n’est pas incompatible d’accéder aux études d’hydrobiologie avec une autre formation.

Pour ma part j’ai suivi un parcours assez atypique. Bac littéraire en poche, j’ai ensuite rejoint la Fac de Lettres et sciences humaines de Nancy (54) pour suivre un parcours en géographie et aménagement du territoire, puis j’ai rejoint un Master de sciences en gestion des milieux aquatiques et des ressources en eau à l’université de Metz (57).

Ce sont les choix des stages, les expériences et les parcours au sein de la formation qui spécialisent.

Méandre d'une rivière bretonne.

meandre_d_une_riviere_bretonne.jpg

Nicolas : Y-a-t-il à notre époque de nombreux débouchés en terme d’emplois avec un diplôme d’hydrobiologiste ? Cette question afin de bien informer ces jeunes passionnés en pleine orientation scolaire.

Anne-Cécile : Il existe beaucoup d’établissements de formation qui délivrent des diplômes en hydrobiologie. Les débouchés sont multiples, aussi bien en syndicat de rivières, collectivités, bureaux d’études, fédérations de pêche, ONEMA, associations de migrateurs,… Mais comme partout les places sont limitées. Ce qui est important c’est de se créer un bon réseau très tôt dans le cadre des stages par exemple, car une fois diplômé, il faut se construire une expérience professionnelle rapidement.

Nicolas : De ton côté, quelles sont les prestations que tu proposes ? En quoi consiste ton emploi du temps d’hydrobiologiste ?

Anne-Cécile : J’ai été salariée durant 5 ans au sein de différents bureaux d’études, en Languedoc Roussillon, puis en Bretagne et plus récemment en Lorraine. J’ai eu la chance d’être intégrée dès le départ à des équipes de passionnés qui m’ont un peu transmis à leur manière cette passion. C’est un job très riche car le travail s’effectue en collaboration avec une multitude d’acteurs de l’eau. J’ai également eu la chance de débuter avec un job polyvalent, qui a nécessité une certaine autonomie et un travail d’équipe, allant de la rédaction de réponses à des appels d’offre jusqu’au rendu de l’étude. C’est passionnant de pouvoir suivre un projet de A à Z. C’est sans doute l’une des particularités qui me plaît le plus dans ce métier.

Depuis 2 ans, j’interviens en tant qu’hydrobiologiste consultante. Je réalise soit des prestations pour les bureaux d’études (renfort d’équipe, appuis techniques), ou bien des diagnostics et conseils avant aménagement pour des particuliers ou collectivités. Cela consiste notamment à réaliser des inventaires et des suivis d’espèces (poissons, crustacés, amphibiens) par le biais d’observations de terrain ou de prélèvements.

L’emploi du temps est très fluctuant, les périodes les plus propices à l’activité sont situées entre avril et octobre, surtout durant l’été, notamment lorsque les débits sont au plus bas.

Actuellement, coté images, je réalise un film promotionnel relatif à une étude interdépartementale concernant la fonctionnalité des frayères à brochets sur la rivière Moselle dans les départements des Vosges, de Meurthe-et-Moselle et de Moselle. Ce film doit permettre de mettre en lumière le travail réalisé par les Fédérations de pêche et de protection du milieu aquatique auprès des pêcheurs et de l’ensemble des partenaires techniques et institutionnels. Cette nouvelle expérience est pour moi l’occasion de côtoyer des personnes passionnantes.

Les prestations d'Anne-Cécile.

presentation_site.jpg

Nicolas : Avec ton recul et tes précédents travaux, comment analyses-tu aujourd’hui de façon globale l’état des milieux aquatiques dans notre pays et de quoi est fait leur avenir proche ? Est-ce-que tu penses que l’espoir est permis pour voir certaines améliorations ?

Anne-Cécile : C’est une question très intéressante sur un vaste sujet, et sur lequel il est très délicat de répondre par écrit en un extrait court car les perturbations sont très diverses et trouvent pour origine des causes complexes.

Cela étant dit, globalement, depuis quelques décennies, la qualité des rivières, autrefois dégradée, s’améliore. Notamment au niveau de la qualité de l’eau, grâce au développement des réseaux d’assainissement des rejets domestiques et industriels. Les règlementations (DCE Directive Cadre Européenne sur l’Eau appliquée en France par la Loi sur l’Eau, plans de gestion, …) impulsent les actions en faveur de la restauration des milieux aquatiques pour qu’ils atteignent un bon état écologique.

Malheureusement il y a toujours des catastrophes de pollutions diffuses, ponctuelles, souvent accidentelles ou par négligence, qui affectent localement des milieux. On entend beaucoup parler à cette période de l’année des cas de pollutions liées à l’agriculture, suite aux épandages notamment. On peut aussi citer les rejets industriels, les macro-déchets, les régimes hydrologiques artificialisés par la gestion des barrages, la présence elle-même des obstacles à l’écoulement,… la liste est longue.

Au-delà de la qualité de l’eau, la qualité physique (hydromorphologie) tend à s’améliorer. Beaucoup d’argent public et de moyens sont consacrés pour corriger l’impact des pratiques et des aménagements débutés à la fin du XIXe siècle, comme le recalibrage des cours d’eau, l’exploitation de gisements de granulats au sein même du lit mineur ou dans le lit majeur qui ont malheureusement eu des répercussions négatives sur les équilibres en place : incision du lit, érosion régressive eux-mêmes à l’origine notamment des déconnexions ou assèchement des zones humides ou encore des annexes hydrauliques.

Aujourd’hui, les politiques publiques en matière de gestion des milieux aquatiques permettent le rétablissement des diversités d’écoulement sur des portions de cours d’eau, la restauration des annexes hydrauliques (habitats et lieu de reproduction pour de nombreuses espèces), l’équipement des barrages en passes-à-poissons. Soulignons également le travail des structures associatives de la pêche de loisirs qui œuvrent de plus en plus sur le volet PMA « Protection des Milieux Aquatiques ».

Mais au-delà du simple aménagement en faveur de la restauration, sa cohérence avec le milieu et une veille rigoureuse sont nécessaires.

Autre sujet que je ne ferai que citer, l’introduction et le développement d’espèces non originaires d’un milieu (bassin versant, plans d’eau) ou exotiques dont certaines sont devenues envahissantes (faune et flore), représentent une menace forte et d’actualité pour les milieux aquatiques.

Passe à poissons à la confluence Cèze Rhône.

passe_poisson_confluence_Ceze_Rhone.jpg

Nicolas : En tant qu’hydrobiologiste, plutôt poissons ou invertébrés ? 

Anne-Cécile : Plutôt écailles !

Ombre photographié par Anne-Cécile.

ombre.jpg

Nicolas : Quel est pour toi et vis à vis de ton métier, l’être vivant le plus passionnant de nos eaux douces et pourquoi ?

Anne-Cécile : Le plus passionnant de nos rivières ? Sans hésitation, l’Anguille européenne.

Les poissons migrateurs me fascinent, ils sont guidés par un instinct de survie qui les pousse à parcourir des milliers de kms, franchir des dizaines d’obstacles tout en s’adaptant à des milieux très différents.

Ce grand migrateur parcours plus de 6000 km pour traverser l’atlantique jusqu’à son aire de reproduction dans le golfe du Mexique. Sa phase de reproduction en milieu naturel est inconnue, et ce mystère renforce son attrait. En revanche on sait que les petites larves (leptocéphales) se laissent porter jusqu’en Europe en suivant le courant du Gulf Stream pour rejoindre nos côtes au stade civelle, et remonter vers l’amont des rivières. L’anguille grandit jusqu’à 10-15 ans en rivière, avant d’entamer son grand voyage et ne jamais revenir. Quand j’en croise en plongée et c’est assez rare, c’est avec grand respect que je les observe, tant la route qui les a amenées jusqu’ici est longue et périlleuse.

Un poisson que j'adore pour ma part, le chabot !

Sans_titre_1.jpg

Nicolas : Lors de tes interventions vers les plus jeunes, sens-tu un intérêt sur ces milieux aquatiques ?

Anne-Cécile : J’effectue des animations dans les écoles par le biais de l’association Reflets d’Eau Douce. Le but des interventions en milieu scolaire est justement de faire prendre conscience aux jeunes de la richesse des milieux aquatiques, en leur montrant la biodiversité qu’ils abritent. J’aime les voir impressionnés en observant des photos ou des petites bêtes au bord de l’eau, et c’est très souvent le cas ! Je pense que s’ils prennent conscience de la vie qui foisonne dans ces milieux, c’est déjà un début vers le respect et l’envie de préserver.

Anne-Cécile avec de jeunes enfants.

cours_enfants.jpg

Nicolas : Une dernière question avant de passer à la photo. Nous, pêcheurs, on s’interroge régulièrement sur les effets néfastes ou non des pêches électriques sur les poissons. Que peux-tu nous dire sur le sujet ?

Anne-Cécile : La pêche électrique est un moyen efficace d’échantillonner et d’étudier un milieu aquatique. C’est le moyen d’inventaire le moins néfaste pour les poissons, si la pêche est rigoureusement pratiquée. Il y a toujours quelques poissons fragiles (le plus souvent des alevins ou les percidés), mais la quasi-totalité est remise à l’eau et repart aussitôt.

Pour les curieux, je vous invite à consulter un de mes articles qui présente cette technique sur le blog reflets d'eau douce

En pleine Pêche électrique !

peche_elec.jpg

Nicolas : Venons-en à la photographie maintenant. Mais avant cela, j’ai cru comprendre que tu possèdes une âme d’artiste depuis bien plus longtemps que ça non ?  

Anne-Cécile : J’ai toujours aimé le dessin, c’est un moyen d’expression. J’ai débuté la peinture à l’huile en CM1 et suivi quelques années de cours. C’est dans ce cadre-là que j’ai obtenu un Bac littéraire option « arts plastiques », avant de me tourner vers l’étude et la protection de l’environnement. J’ai toujours aimé prendre des photos de paysages, que je peignais par la suite. Mais c’est vraiment sous l’eau, il y a quelques années, que j’ai commencé à utiliser un reflex et toute la panoplie d’accessoires nécessaires qui petit à petit remplacent les plombs que je porte à la ceinture…  

Nicolas : La photo est donc venue naturellement ou c’est un déclic suite à quelque chose de particulier ?   

Anne-Cécile : Immortaliser un moment, garder un souvenir, ça commence souvent comme ça. Sous l’eau c’est davantage de création artistique, en mêlant les reflets, les ombres, les nuances, les ambiances. C’est aussi une grande volonté de montrer ce que j’observe, pour que les gens prennent conscience des beautés de ce monde inconnu, souvent tout près de chez eux.

Un monde merveilleux.

dans_l_eau.jpg

Nicolas : Quels sont les sentiments qui t’envahissent lorsque tu plonges ?

Anne-Cécile : Je suis quelqu’un de très actif, la plongée m’apaise, me recentre. C’est un sentiment de sérénité couplé à une quête de la rencontre et de la création artistique.

La randonnée aquatique est un moyen très efficace pour lâcher prise. Il y a tellement à observer qu’on ne pense plus, on contemple, à condition de ne pas oublier d’appuyer sur le déclencheur !

Et très souvent s’offrent à vous de belles rencontres, de magnifiques lumières, des ambiances singulières, de l’émerveillement tout simplement.

Mon invitée dans son élément, l'eau !

dans_l_eau_2.jpg

Nicolas : Et la photographe, quel est son thème préféré, poissons, invertébrés… ?  

Anne-Cécile : Mes sujets favoris sous l’eau ? Les poissons et les amphibiens.

J’ai un petit faible pour les photos en mi-air mi-eau. Très souvent les gens se trouvent un peu perdus en observant ce type d’image. Puis bien que certains se questionnent si ce n’est pas un montage (auquel cas je réponds en souriant que c’est le résultat de 10h de dur labeur sur photoshop), d’autres sont très intrigués et surpris. En dehors du capteur de l’appareil photo, l’œil humain ne peut pas observer un paysage de cette façon, et c’est ce qui me plait !

Une rivière somptueuse, la Sorgue !

sorgue.jpg

Nicolas : Quel est le plus bel endroit où tu as pu plonger ? Une anecdote sur ce lieu ?

Anne-Cécile : Sans hésiter, la Sorgue en PACA. Une rivière ou règne une sorte d’enchantement. Une plongée fabuleuse en 2015, ornée de bleu turquoise et de vert printemps, une eau cristalline, un petit courant qui vous transporte, quelques Ombres communs et belles Truites fario timides au-dessus des herbiers, une belle lumière qui perce la surface… et pour les grands rêveurs, de l’eau à 14°C ! :-)

En Autriche sur cette photo !

banc_autriche.jpg

Nicolas : Où rêves-tu de plonger ? Que rêves-tu de photographier ?

Anne-Cécile : La Croatie et la Corse sont des destinations que j’aimerai découvrir, mais heureusement, plein d’autres belles plongées prévues prochainement.

Ce qui me ferait le plus vibrer c’est partager une immersion avec un banc de saumons en migration dans les rivières d’Alaska.

Nicolas : Je crois savoir que tu exposes de temps en temps et qu’il est possible d’obtenir des tirages de tes photos. Peux-tu nous en dire plus, merci.

Anne-Cécile : J’expose mes images dans le cadre de festivals photos ou lors d’évènements. Il est tout à fait possible d’obtenir des tirages, dans ce cas il suffit de me contacter via mon blog.

Je pars à Paris dans 4 jours pour monter une expo en collaboration avec Eau de Paris, en entrée libre au Pavillon de l’Eau du 25 avril au 30 décembre 2016. J’y présente des images qui ont été réalisées au-dessus et sous la surface sur l’ensemble du bassin de la Seine. L’expo est guidée par des textes relatifs à la biodiversité qui occupe ce territoire, et l’évolution de la qualité des milieux, afin d’apporter une vision différente du fleuve.

N'hésitez pas à aller voir de près les photos d'Anne-Cécile.

expo.jpg

Nicolas : Alors on est quand même sur un blog de pêche. Avec tes deux passions, tu n’as jamais tenu une canne ? Moi qui croyait que seuls les pêcheurs pouvaient se passionner pour toutes ces choses fantastiques ;-)

Anne-Cécile : Ah ah, il y a quelques années, avant de le rencontrer sous l’eau, j’ai un peu titillé le poisson depuis la surface !

J’apprécie la technique de la pèche au leurre pour pêcher le carnassier (brochet, sandre), car c’est une pêche active, et que j’ai besoin de bouger tout le temps !

Une fois, un ami m’a fait tester la pêche à la mouche, notamment la technique de l’arbalète sur des ombres, à refaire car ça m’a beaucoup plu ! Mais il est vrai que je préfère les observer depuis mon masque !

Nicolas : Merci sincèrement Anne-Cécile de m’avoir accordé du temps pour répondre à mes questions. Avant de se quitter, merci de nous laisser les liens pour que ceux qui le souhaitent continus à te suivre. Bonne continuation et au plaisir de te rencontrer.

Anne-Cécile : Merci à toi Nicolas, peut-être nous croiserons nous un jour au bord de l’eau ! Mon site internet, reflet d'eau douce et ma page facebook.