À tous les sceptiques du No Kill.
Par Nicolas39 le mercredi 29 mai 2019, 06:10 - Sortie de pêche - Lien permanent
Je vous invite aujourd'hui à découvrir une nouvelle histoire de pêche, qui donnera, je l'espère, à réfléchir pour les quelques indécis qui me liront.
Cela faisait plusieurs fois que je voyais ce poisson. Une truite d’ailleurs plutôt portée sur la nourriture se trouvant à la surface de l’eau. Une ombre plutôt qu'une belle image de zébrée, collée à la berge, laissait entrevoir un très joli poisson. Le poste était idéal pour une belle truite. Une grosse souche d’arbre avec des racines de partout. Une profondeur d’eau importante et quelques blocs au fond le tout le plus souvent protégé du soleil. Le courant était quasiment inexistant sur deux bons mètres depuis la berge, puis plus important en revenant vers l’intérieur du lit de la rivière. Au coin amont de l’imposante souche, la rivière formait un petit renfoncement pour venir mourir contre le sable. C’est précisément à cet endroit que je voyais gober le poisson à chacune de mes visites en ces lieux. Depuis plusieurs semaines, je voyais au loin cette truite manger régulièrement. Je ne l’ai jamais tenté. Beaucoup trop compliqué d’envoyer une mouche là où elle était. Les branches de l’arbre en berge qui retombaient sur l’eau n’offraient guère d’espace et d’espoir ! La truite avait sans aucun doute choisit le bon endroit. Elle pouvait aller et venir sans qu’on l’embête.
Et puis à force d'accumuler les jours sans eau ou presque, le niveau de la rivière a vraiment baissé. Il est devenu si bas que cela faisait déjà peur d’ailleurs. Mais bon, comme dirait un jeune homme que j’apprécie au plus haut point, ne nous inquiétons pas avant l’heure…
La rivière étant donc beaucoup plus basse, j’ai pu voir un passage possible pour ma soie et mon bas de ligne entre et sous les branches de mon arbre. Une mince fenêtre pour enfin tenter la belle fario qui se cachait là en me narguant avec ses gobages à répétition. Un niveau bas engendre bien entendu un faible débit, donc une approche sans faute en étant dans l’eau. Ce que je suis parvenu à faire. Ma truite réalisait un court circuit alors que je pensais qu’elle gobait là en poste fixe. Elle montait un peu plus haut que l’endroit où elle gobait, faisait demi-tour avant une grosse branche morte immergée, prenait parfois une mouche dans le petit renfoncement contre le sable puis redescendait dans la zone profonde sur deux à trois mètres en aval. Cela, je ne l’avais jamais vu en fait. C’est l’erreur qu’elle n’aurait pas du commettre et que je n’aurais pas du voir pour sa tranquillité. Car c’est essentiellement sur ces deux mètres que je pouvais éventuellement lancer une mouche ou une nymphe entre les branches. L’espace entre deux était d’un bon mètre. J’étais moi à environ dix bons mètres de la truite. Je ne pouvais approcher plus de peur de la faire fuir à cause des mouvements d’eau (n’est pas Simon qui veut, l’homme qui avance dans l’eau sans faire une seule ride !). Le poisson, dont je ne voyais qu’une ombre noire à cause des jeux de lumière, allait et venait sans cesse. J’ai d’abord tenté ma chance en sèche avec un sedge. Problème, je ne pouvais le poser exactement là où elle gobait, de plus, il n’y avait pas de courant. Comme je le pensais, la truite est passée dessous sans même regarder ma mouche. J’ai très légèrement fait draguer mon imitation pour provoquer un intérêt. Bingo, la truite s’est retournée pour monter à la surface, coller son nez contre le sedge et redescendre dans le profond. Refus !
Est-ce que ce refus était lié à la mouche ou au fait qu’elle ne gobait jamais à cet endroit ? Je pense sincèrement à la deuxième option. J’ai souvent vu des poissons avoir ce comportement. Manger toujours du même côté de la berge, ou toujours au même endroit sur un circuit, etc…Cela ne m’étonne pas et j’irais jusqu’à dire que je l’avais prévu. Mais j'avais tellement envie de prendre ce poisson en sèche qu’il fallait que j’essaie malgré mon pessimisme. A noter que je n’ai pas insisté de cette façon, j’allais finir par l’alerter et donc saboter ma tentative pour l'admirer de plus près. Changement de tactique, lui proposer une nymphe. J’ai retiré mon sedge pour mettre un gammare JFD en taille 16. Avec la hauteur d’eau et la faible longueur de dérive qu'offrait le coup, il fallait que ça coule assez vite. De plus, en taille 16, le JFD se lance facilement et précisément, ce dont j’avais besoin. Je suis loin d’être une bête de technique au niveau du lancer, donc jamais vraiment sûr de mon coup quand il faut glisser une nymphe de cette façon. Je parie volontiers plus souvent que je vais mettre ma bestiole dans une branche plus qu’autre chose. Je me suis mis à fouetter en réglant la distance et en attendant que la truite revienne dans le profond après son passage dans le renfoncement. Ce fut le cas assez vite car le circuit était court. J’ai posé sur l’eau mon gammare à ce moment là pour que le poisson tourne le dos lors de l’impact. La nymphe descendait au fond pendant que la truite faisait son demi-tour à l'extrémité aval de son circuit. Le gammare allait atteindre le fond au moment où le poisson était 30-40 centimètres de lui. Le plus dur était fait, tout était parfait. Il suffisait d’animer légèrement ma bestiole. Ce que j’ai fait. La truite s’est jetée littéralement dessus. Là non plus je n’étais pas surpris. Le ferrage a pu être de cette façon effectué dans le bon tempo pour provoquer ensuite la furie de dame fario !
Pour ce genre de combat, c’est les dix premières secondes qui importent, il faut obligatoirement sortir le poisson de sa berge, des racines qui forment cette berge. Tellement d’éléments contraires où une truite peut aller s’aider pour casser le fil. J’ai bridé comme un fou, à la limite de mon fil. La truite n’a eu d’autre choix que de sortir de sa berge pour me rejoindre en milieu de rivière. La fête était finie ! Après quelques gros coups de tête et une belle défense, la belle était à moi, bien au chaud dans le filet de l’épuisette. J’étais dans l’eau au niveau du nombril environ, impossible pour moi d’admirer ma nouvelle amie comme il se doit. J’ai rejoint la berge d’où je venais et j’ai déposé mon épuisette sur le fond de la rivière dans quelques centimètres d’eau afin que le poisson reste en permanence dedans. Là, j’ai découvert ce poisson. De suite j’ai pensé à une truite que j’avais prise deux fois la saison précédente. Mais si c’était vraiment elle, sa taille me laissait un doute. Il y avait bien dix centimètres de plus. Le poste pouvait convenir puisque j’ai pris le poisson que j’avais en tête 10-12 mètres en aval sur un profil similaire mais avec moins de profondeur. Seul le retour à la maison et le visionnage des photos pouvait m’enlever ce doute. J’ai avant tout continué ma partie de pêche durant quelques heures.
Une fois rentré à la maison et après avoir rangé mon matériel, je suis allé sur mon ordinateur. Le doute fut lever en quelques secondes, les points correspondaient, c’était bien le même poisson ! Un poisson pris deux fois l’an passé, et donc une fois cette année, soit 3 fois en 11 mois. Pour une fois, j’avais le regret de ne pas mesurer mes truites, parce que là, franchement, elle avait bien profité. A l’œil, au minimum dix centimètres de plus en onze mois, incroyable. Un poisson pris une première fois avec une blessure vraiment pas jolie sur le haut de la tête, une deuxième fois avec cette même blessure cicatrisée et une troisième fois sans aucun signe de plaie. Que la nature est bien faite, le tout sans toubib ou autres médicaments.
En haut à gauche, notre première rencontre (juin 2018). Déjà une très belle truite. En bas à droite, 11 mois après (mai 2019).
Lors de notre deuxième rencontre en juin 2018 toujours, la cicatrisation était en cours.
Encore une fois une belle leçon de vie. Il fut un temps pas si lointain finalement où j’aurais sacrifié sans remord ce poisson dès la première prise en me disant que je pouvais le garder, qu’il allait crever. Une façon de se donner bonne conscience en continuant à garder les poissons jugés par le pêcheur déficients à cause de blessures ou autres maux. Voir cette truite continuer sa croissance, soigner ses blessures aujourd'hui me rempli de joie. Je pense souvent à tous ces imbéciles (oui, j’ai arrêté le dialogue social) qui pensent le contraire quand on parle « no kill ». Certes il faut le faire dans les règles (poisson toujours dans l'eau sans manipulations), mais remettre ses poissons à l’eau sur un linéaire en mauvaise santé reste la seule et unique action qu’un pêcheur peut mettre en application à son niveau pour le maintien des populations.
Une dernière photo de Madame, elle a bien grandit depuis juin l'année dernière !
Commentaires
Jolie la troisième fois tu pourras chauffer le beurre au herbe bon appétit les amis
Comme l'histoire précédente et la précédente de la précédente.....j'aime et je ne m'en lasse pas.
De la science, de la technique, de la passion, tout y est bien exprimé.
Si tu continues, je ne trouverais plus assez d'adjectifs pour qualifier tes récits mais je partagerais tout de même.
Ps: la palm m'a converti au no-kill depuis bientôt 10 ans et je ne le regrette pas. Sans truites dans la rivière, le plaisir ne serait plus le même.
que du bonheur ton article la vérité pure
BRAVO ..moins bonne nouvelle,je trouve de plus en plus de renouée du Japon au bord de l'eau...et de plus en plus haut syam sirod Bourg de sirod aïe aïe aïe
Bonjour!
Bel article encore une fois
Nicolas, est ce que vous pourriez profitez de la visibilité de votre blogue pour faire un article sur le no-kill et en particulier sur les bonnes pratiques du no-kill ?
Bien sure, c'est votre blog et c'est évidement à vous et vous seul de décider de son contenu et c'est la une simple suggestion.
Mais je vois régulièrement des pécheurs qui sont convaincu de pratiquer en no-kill dans les règles de l’art mais qui ne donnent a mon sens pas les meilleurs de chance de survie aux poissons (longue séance d'apnées, photos avec la truite étendu sur une gravière ou qui serres fort la truite au niveau du coeur, doigts dans les ouilles ou qui pêche sans épuisette, ou avec une épuisette pourvu d’un filet traumatisant (dents, nageoires, mucus ..), diamètre de fil dramatiquement bas (pour le fil c'est un avis bien personnel mais je suis pas convaincu qu'une truite que l'on aura mit 10 min a sortir avec un 08 centièmes n'aura pas les même chance de survie qu'une truite sortie avec un bon 14 centièmes en 1 min), ou sur la manière de ré-oxygéner une truite après un long combat, de limiter son stresse autant que faire ce peut, etc …
J’ai pu lire beaucoup de bon conseil sur les bonnes pratiques du no-kill dans cette article et dans votre blog en général (notamment sur l'influence de la température ou encore l'importance de préserver les plus gros spécimens qui ont la meilleurs génétiques et sont en prime les meilleurs reproducteurs ...) mais pas d'article uniquement consacré au nokill et je pense qu'un article complet sur ce blog, avec la visibilité dont il bénéficierait pourrait permettre d'informer quelques pêcheurs et par la même sauver nombres de truites dans le future !
Bonjour Nicolas
de bien belles retrouvailles et un bien bel article
Je lis avec attention tous vos articles et je suis toujours séduit par la pertinence et la sincérité du propos. Et je comprends d'autant mieux votre attachement à "votre" rivière d'Ain que moi-même j'éprouve le même sentiment à l'égard de "mon" gave à savoir le gave d'Aspe. Cependant permettez-moi de porte un regard différent du vôtre sur ce sujet brûlant qu'est le No Kill.
Vous constatez qu'une truite prise et rejetée à l'eau plusieurs fois en l'espace de deux ans a survécu,et plutôt bien, à ses blessures. Fort bien.. Mais vous admettrez qu'une seule observation ne peut constituer une vérité scientifique et que les effets délétères du No Kill ont été clairement démontrés (stress hydrique et sécrétion lactique potentiellement mortels) sans compter les comportements erratiques constatés par beaucoup de pêcheurs. Dans un livre que j'ai écrit il y a maintenant cinq ans (il n'a guère connu de succès car diffusé de manière confidentielle et il faut le dire un peu iconoclaste) j'invitai le pêcheur-lecteur à ne pas jouer aux apprentis-sorciers et lui suggérai de pratiquer le No Game en lieu et place du No Kill (une prise et plus encore si la rivière est poissonneuse et ensuite on pose la canne). Et je pense que pour votre rivière qui me semble bien mal en point l'idéal serait de pratiquer le No Catch ( pardon pour tous ces termes anglais) et donc de pêcher avec une mouche... sans hameçon.
Par ailleurs je vous invite à réfléchir au sens que peut avoir le fait de relâcher une truite.Dans mon livre (pardon de me citer) je dis que cet acte "est un bouleversant témoignage de votre respect de la vie mais c'est aussi un renoncement à votre condition de pêcheur" et je rappelai que la truite est un être vivant que l'on doit respecter et sûrement pas un partenaire de jeu et encore moins un jouet.
Il y aurait tant à dire sur la pratique du No Kill et surtout il faudrait dépassionner le débat et rester à l'écoute de l'autre, celui qui ne pense pas comme vous. A ce sujet je vous invite à lire l'éditorial de Simon Scodavolpe dans le blog Truites et Cie et qui, de mémoire, s'intitule "Jeu dangereux" Édifiant.
Cordialement et au plaisir de lire votre prochain ouvrage
Merci à tous d'avoir pris le temps de commenter cet article.
@louis : C'est prévu. De plus, cela me permettra de clarifier ma position et ainsi répondre à certaine question.
@abram : J'ai arrêté de lire Simon le jour où il m'a résumé la rivière d'Ain à des gravières à carpes...