Voilà une interview qui me tenait très à cœur. Alors oui, ça va vous faire moins rêver qu'un baroudeur avec des truites de 70, mais c'est tellement plus important de mon point de vue en tous les cas ce genre d'entretien. Je reçois aujourd'hui le chargé de mission de la fédération de pêche du Jura, Mehdi El Bettah. Mehdi est en poste chez nous depuis quelques années, et c'est un réel bonheur de travailler avec lui.
Je l'ai interrogé sur divers sujets qui font l'actualité en ce moment. J'espère qu'après cette lecture, tous les pêcheurs qui ne vont pas en AG de leur AAPPMA seront un peu plus concernés par les problématiques de la gestion piscicole

Nicolas : Salut Mehdi ! Tout d’abord, merci de prendre de ton temps pour nous informer sur l’actualité de la pêche dans notre département. Ma première question est simple : comment devient-on le chargé de mission de la fédération de pêche du Jura ?

Mehdi : Une bonne dose de chance et beaucoup de perspicacité …Et être un grand malade de pêche, ça aide également à supporter ces contrées austères ;-)

Voilà notre chargé de mission, Mehdi!
Mehdi

Nicolas : Mes premières questions auront pour thèmes le SDAGE. Alors, si tu peux faire très simple pour que tout le monde comprenne bien, qu’est ce c’est ?

Mehdi :C’est relativement simple à comprendre.

L’abréviation SDAGE signifie Schéma Directeur d’Aménagement et de Gestion des Eaux.
C’est un schéma qui fixe les grandes orientations de la politique de l’eau à l’échelle des bassins hydrographiques français qui sont au nombre de 6 (Rhône-Méditerranée & Corse, Rhin-Meuse, Loire-Bretagne, Seine-Normandie, Adour-Garonne et Artois-Picardie).
La Directive Cadre européenne sur l’Eau (DCE) de 2000, qui vise à une harmonisation de la politique européenne sur l’eau, a été transposée dans le droit français. Cette directive demande aux états membres de veiller à la non dégradation de la qualité des eaux mais également d’atteindre dans les meilleurs délais (2015 ou report de délai 2021 / 2027) le bon état des masses d’eau (superficielles et souterraines).
Les SDAGE nouvellement adoptés pour la période 2010-2015 doivent donc prendre en compte les exigences de cette directive.

Il est important de noter que le SDAGE est opposable à l’administration et non aux tiers.
La déclinaison locale du SDAGE, c’est le SAGE (Schéma d’Aménagement et de Gestion des Eaux) qui lui est opposable aux tiers.

On retrouve dans le SDAGE des préconisations à destination des acteurs locaux du bassin (orientations fondamentales et dispositions), couplé à un Programme de Mesures (PDM) qui recense les actions clés dont la mise en œuvre est nécessaire pour l'atteinte des objectifs environnementaux du SDAGE.

Mehdi avec Amandine à la fête de la pêche
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Nicolas : Ce SDAGE provoque déjà des changements sur le terrain. Certaines AAPPMA n’ont pas commandé leurs alevins pour 2010, voir leurs truites surdensitaires. Est-ce que c’est une bonne chose pour nos rivières et pourquoi ?

Mehdi : Une orientation fondamentale du SDAGE RM&C intéresse particulièrement les organismes en charge de la gestion de la pêche en eau douce, il s’agit de la 6-C intitulée « Intégrer la gestion des espèces faunistiques et floristiques dans les politiques de gestion de l’eau ». La disposition 6C-05 liste un ensemble de principes devant permettre aux FD et AAPPMA de favoriser une gestion patrimoniale du cheptel piscicole.
Je tiens à préciser que ces principes restent des préconisations d’action à destination notamment des FDPPMA en charge des Plans Départementaux de Protection des milieux aquatiques et de Gestion des ressources piscicoles.

Dans le Jura, nous avons décidé de suivre ces préconisations notamment dans un premier temps sur la quasi totalité des réservoirs biologiques en interdisant toute forme de repeuplement (alevins et poissons « surdensitaires »).

C’est à mon sens une bonne chose pour ces cours d’eau compte tenu des connaissances que nous avons concernant l’impact des repeuplements en rivière (génétique, sanitaire, …). J’aurai pu rencontrer une levée de bouclier des AAPPMA concernées, mais ça n’a pas été le cas. Le deal a cependant été très clair dès le départ, « on arrête d’aleviner mais tu réalises des pêches d’inventaire sur chacun de nous cours d’eau pour savoir si ces alevinages avaient un intérêt (ou non) ».

Nicolas : Est-ce que les zones dites « réservoirs biologiques » vont être suivies pour connaître les biens faits ou non de ces non alevinages ?

Mehdi :La détermination de ces réservoirs biologiques s’est malheureusement faite sans concertation dans notre département. Plusieurs cours d’eau très intéressants, pouvant être considérés comme des réservoirs biologiques, n’ont pas été pris en compte dans ce listing et nous le regrettons.
Néanmoins, nous ne manquerons pas dans les années qui viennent de récolter des données sur ces cours d’eau afin de démontrer à l’administration ces manques.

Le travail qui sera réalisé sur ces réservoirs biologiques nous permettra notamment d’évaluer l’efficacité du repeuplement (de plusieurs décennies) sur le cheptel piscicole. J’aurais souhaité mettre en place une étude similaire à celle réalisée en Haute-Savoie par marquage des otolithes des truites alevinées, mais ça n’a pas été possible faute d’un consensus sur la haute rivière d’Ain et de problèmes inhérents aux pratiques de repeuplement dans notre département.

Nous allons donc réaliser des inventaires exhaustifs sur une quarantaine de stations réparties sur ces réservoirs biologiques qui couvrent une grande partie du linéaire de cours d’eau du massif. L’arrêt des repeuplements nous permettra de savoir si les populations sont fonctionnelles, et dans la négative d’identifier les causes des dysfonctionnements observés. Des analyses génétiques devraient également être réalisées sur ces réservoirs afin de vérifier la présence de poissons de souche autochtone (ce dont je ne doute pas vu les résultats obtenus sur la Saine et le Merlue l’année passée).

Techniquement, c’est un vrai challenge pour la fédération car nous allons devoir suivre des stations qui ont été échantillonnées par le passé avec le CSP. Du style l’Ain à Champagnole ou le Tacon à St Claude … Il va nous falloir des bras, alors avis aux bonnes volontés !

L'Ain amont, classé parmi ces réservoirs biologiques
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Nicolas : On parle d’un SAGE sur la haute vallée de l’Ain pour faire appliquer tout ça et pour d’autres raisons, est-il toujours d’actualité ?

Mehdi : Un bureau d’étude a été diligenté par le Conseil Général du Jura afin d’étudier la faisabilité de mise en place d’une ou plusieurs procédures de gestion du bassin de l’Ain sur le territoire jurassien.
Les conclusions du BE ont montré qu’il était nécessaire de mettre en place un SAGE et/ou un contrat de rivière à l’échelle l’Ain, mais pas de la Bienne vu que le PNR est très actif sur son terrioire.
Mais deux questions subsistent : Faut-il inclure ou non la chaîne de barrage de l’Ain dans l’une ou l’autre des procédures, et quelle sera la structure porteuse de cette procédure vu qu’aucune collectivité territoriale n’a de compétence sur la totalité du bassin versant de la haute rivière d’Ain.

Néanmoins, les conclusions de l’étude de la qualité de la haute rivière d’Ain réalisée par la Fédération étaient très claires. On ne pourra envisager de restauration des populations d’ombre commun sur cet axe sans une prise en compte globales des dysfonctionnements observés à l’échelle du bassin.

La haute rivière d'Ain
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Nicolas : Autre sujet important, l’ombre dans notre département ne voit pas ses populations explosées malgré une fermeture totale. Nobert Morillas a été le premier à travailler sur ce sujet. Que reste t-il de tout ce travail et qu’est qu’on a fait depuis ?

Mehdi :On a repris en 2009 les plongées de comptage d’ombre qu’avec initié Norbert sur l’Ain. Elles nous ont permis d’observer un nombre intéressant de juvéniles sur des stations où il n’en avait quasiment pas été observé lors des précédentes prospections. Mais ce n’est qu’une observation de plus qui prouve que la repro a très bien réussie ces deux dernières années en raison de conditions hydrauliques favorables à la reproduction des salmonidés.
La densité de géniteurs au kilomètre est néanmoins toujours affligeante.
Donc on en est quasiment au même point, après plus de 10 ans d’interdiction de pêche de l’espèce.

Ce poisson est toujours en danger ici
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Nicolas : Aujourd’hui, une nouvelle piste va être exploitée. Mr Henri Persat devrait venir travailler sur la haute rivière d’Ain. Peux-tu confirmer cela en nous présentant succinctement ce personnage et nous dire en quoi consistent ces nouveaux travaux ?

Mehdi : Henri Persat qui est chercheur au CNRS à Lyon et le spécialiste de l’ombre en France, ne devrait pas venir travailler sur la haute rivière d’Ain. Mais nous avons eu l’occasion de discuter ensemble à plusieurs reprises de ce que nous pourrions réaliser comme suivi complémentaire sur tous les cours d’eau du département où les populations d’ombre n’arrivent pas à croître. (c’est à dire tous …) On devrait donc suivre dès cette année des stations d’échantillonnage fixes par capture/marquage/recapture sur l’Ain, la Saine, la Bienne, le Tacon et la Loue afin d’identifier notamment les périodes critiques pour l’espèce.
C’est ni plus ni moins que le suivi qui est réalisé depuis fort longtemps sur la basse rivière d’Ain.
La grande question reste de savoir si cette méthode est transposable telle quelle sur le haut du bassin vu la faiblesse des effectifs, ou si elle doit être adaptée.

Mr Persat travail beaucoup avec les gens de l'UPRA

Nicolas : La pêche dans le Jura ne se résume pas aux salmonidés. On parle beaucoup de l’actualité du lac de Vouglans et de la possible venue des pêcheurs professionnels. Peux-tu nous éclairer sur ce dossier s’il te plait ?

Mehdi : Vouglans pourrait être en effet victime du plan national d’actions sur les PCB.
Pour faire simple, les pêcheurs pro ont toujours été intéressés par ce lac de barrage, troisième retenue artificielle française. Ce n’est un secret pour personne.
Suite aux arrêtés d’interdiction de consommation et de commercialisation qui ont touché de nombreux cours d’eau (Rhône, Saône, Doubs notamment), un certain nombre de pêcheurs pro ont demandé à être reclassés sur des zones indemnes de pollution.
Les analyses réalisées sur un échantillon de poissons capturées par l’ONEMA dans la retenue n’ont pas montré de taux de contamination supérieure aux normes en vigueur. C’est à partir de ce moment qu’on a sérieusement commencé à s’inquiéter, surtout que Vouglans faisait partie d’une liste de lacs susceptibles d’accueillir des pêcheurs à reclasser.
Conscients des risques encourus, la Fédération et les AAPPMA (notamment celle de Moirans), ont pris leur bâton de pèlerin afin d’informer les élus du département de cette menace.
Grâce à ce travail, tous les élus départementaux se sont positionnés contre le reclassement de pêcheurs professionnels sur la retenue de Vouglans.
Nous avons notamment eu, grâce au député maire de Lons-le -Saunier, un courrier du ministre de l’écologie Jean-Louis Borloo qui écrivait qu’il n’y aurait aucun reclassement de pêcheur professionnel sur le lac.
Malgré ce courrier de 2008, la menace reste toujours d’actualité. La secrétaire d’état chargée de l’écologie n’a pas donné de réponse claire à la question posée par le sénateur Bailly au Sénat la semaine passée.

Affaire à suivre…

Le lac de Vouglans
Vouglans

Nicolas : Également dans les sujets dont l’on parle un peu partout, il y a les PCB. La Haute Savoie vient d’être touchée à son tour d’un point vu réglementaire. Quand est-il dans le Jura ?

Mehdi : Suite aux analyses réalisées dans le département, le Jura a été touché par deux arrêtés d’interdiction de consommation et de commercialisation de certaines espèces de poissons (anguilles, barbeaux, brèmes, carpes, silures, tanches) l’un sur le Doubs (tout son cours jurassien) et l’autre sur la Vallière en seconde catégorie (aval Lons le Saunier). D’autres analyses réalisées notamment sur l’Ain et la Bienne n’ont pas mis en évidence de contamination des poissons par les PCB. De nouvelles analyses sont en cours, notamment sur la Loue.

Nicolas : Parmi l’actualité 2010, plusieurs nouveaux parcours No Kill, dont 2 très grands. Celui sur la Seille mit en place par la Gaule Lédonienne à fait couler beaucoup d’encre. Va-t-il être suivi afin de démontrer la capacité de production de cette petite rivière et dans le même temps, pour avoir des chiffres vis-à-vis d’une telle mise en application ?

Mehdi : C’est certain que ces No-Kill ont fait parler d’eux …. Et c’est loin d’être terminé !
Pour répondre à ta question, oui on va réaliser un suivi des populations sur le parcours No Kill de Bréry.
C’est quelque chose que j’avais souhaité dès 2007. Mais malheureusement, il nous était techniquement impossible d’inventorier à l’électricité des cours d’eau comme l’Ain à Crotenay ou la Bienne à Jeurre.
Le parcours de Cornod sur la Valouse aurait été intéressant à suivre, mais vu qu’il n’était pas très fréquenté avant sa mise en place, j’avais des doutes sur la représentativité des informations qu’on aurait pu récolter.
Par contre le PNK sur la Seille a tout pour plaire : c’est le plus beau secteur de la Seille, vraisemblablement le plus productif et le plus pêché vu sa proximité avec l’agglomération lédonienne.
Je suis donc très curieux de savoir comment les effectifs vont évoluer sur ce linéaire.

Un des No Kill du Jura se situe sur la Valouse
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Nicolas : Avant de se quitter, quelques mots sur Mehdi le pêcheur !! Tu touches un peu à tout, leurres, mouche, compétition, mer etc…. Tu trouves ta vie dans le Jura ? Parce sinon y’a la Vendée…..

Mehdi : On ne m’a pas forcé ;-)
Avant de (re)venir dans le Jura, j’ai eu l’embarras du choix. Et je t’avoue que je n’ai pas réfléchi très longtemps quand on m’a annoncé que le poste de chargé de mission se libérait …
J’ai pêché un peu partout en France, et dans beaucoup d’autres endroits. Et je dois reconnaître qu’ici je n’ai que l’embarras du choix. Un seul regret, la mer est bien trop loin … Parce que, esthétiquement c’est joli une zebrée. Mais faut bien avouer qu’au combat ça vaut pas tripette !

Un poisson de mer prit par Mehdi!
Albie

Nicolas : Merci Mehdi, j’ai connu de très bons chargés de mission au sein de notre fédération, et avec toi, on ne pouvait pas mieux tomber. Merci pour ton travail, ta disponibilité, tes connaissances et ta gentillesse. A très bientôt pour une traque au poisson médecin

Mehdi :Merci à toi. Et longue vie à ton blog ;-)

Merci pour tout Mehdi. Je te souhaite à mon tour encore de très belles années dans notre département. A très bientôt...