Vous n'êtes peut-être pas au courant, mais la France est championne du monde de Pêche à la Mouche ! Ce championnat s'est déroulé en Tasmanie la semaine dernière. Je tenais absolument à faire un retour pour mes lecteurs afin de mettre en lumière cette formidable performance.

Pour tenter de faire simple, la compétition se déroulait sur 3 lacs et 2 rivières. Il y avait 22 nations. 5 compétiteurs par nations. 5 jours de compétition. Soit 5 classements par pêcheurs ayant pêchés chacun les 5 secteurs, soit 1 par jour. À la fin de la compétition, les 25 classements individuels de chaque nation sont additionnés afin de connaitre le classement par équipe. Le plus petit chiffre gagne, on appelle cela des points/place. Cela implique une régularité de chaque membre de l'équipe en ayant en horreur le capot ! Notre équipe de France a su faire, bravo ! Chose extraordinaire sur ce championnat, c'est que cela s'est joué à un seul point place ! Après tant de lieux pêchés sur 5 folles journées. Incroyable !

Pour mieux vous imprégniez de cette aventure humaine hors du commun, j'ai le plaisir de vous livrer ici une interview d'un des membres de notre équipe de France en la personne de Pierre Kuntz. Sans plus attendre, je vous laisse découvrir.

Nicolas : Salut Pierre. Tout d’abord, quel est ton premier sentiment après cette compétition au suspense incroyable et ce titre de champion du monde ?

Pierre : C’est difficile à décrire… et particulièrement cette fois-ci. Le suspense a été à la limite du soutenable autant pour nous en Tasmanie que pour tous nos supporters en France. En effet cette compétition a été très serrée avec les Tchèques et les Espagnols. Tellement serrée que nous avions du mal à y croire ! A l’annonce du résultat final ce fut une explosion de joie, de cris et de larmes. Mais le lendemain une fois la médaille autour du cou, c’est un sentiment de joie immense et de fierté qui domine.

Pierre avec une belle truite sauvage de Tasmanie.

Nicolas : Un mot sur le lieu de ce championnat, la Tasmanie. Quelques mots s’il te plait pour nous décrire les lacs et les rivières de cet endroit du monde.

Pierre : La Tasmanie ou « Tasie » pour les locaux, est une île Australienne située au Sud du « mainland » Australien. En dehors de quelques villes, l’île est très peu habitée, la faune et la flore sauvage sont donc très bien préservées sur ce territoire.  L’île contient quelques rivières et plus de 300 lacs, pour la plupart alimentés ou traversés par des rivières de petites et moyennes tailles. La truite fario qui a aujourd’hui colonisée toutes ces étendues d’eau n’est pas originaire de l’île, elle a été introduite par les anglais dans les années 1850 et se reproduit naturellement sur toute l’île. Les rivières tasmaniennes ont différents visages, de la petite rivière de montagne remplie de blocs à la rivière de plaine composée de grands lisses. Cela laisse une grande variété de pêche en rivière, mais cela ressemble de près à ce que l’on peut trouver en France et en Europe. Ce sont plutôt les lacs qui font connaitre la Tasmanie comme un pays de pêche. Les lacs tasmaniens sont vraiment particuliers pour la pêche à la truite, ils sont en général peu profonds (2.5m max), le fond est composé d’algues et de vase et les bordures d’herbiers. Les truites sauvages qui peuplent ces lacs se nourrissent donc essentiellement d’insectes, quand il y en a ! Que ce soit du bord en wadding ou bien en bateau, les lacs Tasmaniens offrent des possibilités de pêche uniques sur des truites fario sauvages généralement de belle taille, spécialement lors des éclosions d’éphémères où tous les poissons du lac peuvent entrer en activité au même moment !

Nicolas : Toi et l’équipe avez eu quelques jours d’entrainement avant la compétition. Par contre, la météo durant la compétition a été complétement différente. Est-ce que cela a rabattu les cartes ou au contraire, les leçons tirées de l’entrainement ont été très utiles ?

Pierre : Nous sommes arrivés sur place une dizaine de jours avant de début de la compétition, cela nous permettant de nous remettre du voyage et de préparer correctement les 5 secteurs de compétition. Mises à part quelques belles journées, notre préparation a été un peu venteuse…là-bas, se rencontrent l’air chaud d’Australie et l’air froid de l’antarctique, ce qui peut créer des épisodes fortement venteux à la transition entre l’hiver et l’été. En fait, c’est à peu près ce qu’il s’est passé pendant nos 3 semaines sur place ! Par contre au moment de la compétition le vent a vraiment forci avec des rafales entre 70 et 90km/h pendant les 5 jours de compétition et une baisse des températures, ce qui a limité l’activité du poisson et donc les possibilités de pêche, en particulier pour les pêches fines ! Néanmoins les observations faites pendant l’entrainement ont été très utiles car nous avions appris à comprendre le milieu et ses truites !

Nicolas : C’était le début de l’été en Tasmanie, je pense sincèrement que tu en as connu de meilleur niveau météo. Vous avez vécu l’enfer non ? Comment pêcher dans de telles conditions ?

Pierre : Nous avons appris à nos dépens que l’été en Tasmanie ne signifie pas forcément chaleur, même si le soleil est de la partie… pour faire simple, les 3 lacs de compétition ont été pêchés avec une température extérieure entre 0 et 8°C, de la neige, de la pluie le tout agrémenté de rafales entre 70 et 90km/h ! Le type de météo où personne ne met un bateau à l’eau pour partir à la pêche. Je pense sincèrement que si ça n’avait pas été un championnat du monde la compétition aurait été annulée. Mais pas le choix il a fallu y aller, 2 pantalons thermiques en dessous du wader, des grosses chaussettes, sous pull technique, pull, doudoune, veste de pluie, bonnet, des gants pour certains…bref on a mis tout ce qu’on avait dans nos valises et il fallait bien ça ! Sans oublier la crème solaire car ici le soleil tape fort, le trou dans la couche d’ozone n’est pas loin ! Niveau pêche ça a été compliqué, que ce soit en rivière ou en lac, c’est souvent le vent qui décide où la mouche va tomber. D’où l’importance du placement, du choix de la dérive et surtout de ne pas faire d’erreur de lancer ou le contrôle de la soie, sinon c’est le nœud assuré !

Fallait y croire !

Nicolas : Sans nous dévoiler tous vos secrets, quelles étaient les clés dans ces immenses lacs ? Quels ont été les techniques de pêche employées ?

Pierre : Pour moi les clefs de la réussite dans ces grands lacs sont le choix de la dérive et la profondeur de pêche. Les poissons ne sont pas répartis parfaitement sur toute la surface du lac, il s’agissait donc de trouver les meilleures zones selon le vent et de pêcher avec la bonne densité de soie pour être à la hauteur des poissons. Le choix de la soie était d’autant plus important que les dérives étaient rapides à cause du fort vent et donc le temps de pêche de chaque lancé est vraiment réduit. Au niveau des mouches, quand on regardait un peu ce qu’avaient les autres équipes, on se rendait vite compte qu’on avait tous plus ou moins les mêmes. Des streamers avec des couleurs naturelles olive, noire, marron, avec ou sans brillant et parfois avec un spot fluo. Ce ne sont vraiment pas les mouches qui ont fait la différence sur ce championnat. A notre grand regret, le choix de la technique fut assez réduit par le vent et la pêche au streamer était la seule rentable sur la quasi-totalité de la compétition, hormis quelques petites périodes d’activité dans des zones abritées du vent où la pêche en noyée a été possible.

Nicolas : Du côté des poissons et d’après les photos qui sont passées, il me semble que les truites des lacs étaient de superbes farios sauvages aux mensurations parfois importantes ?

Pierre : En Tasmanie il n’y a pas de truite d’élevage relâchée, tout le poisson est sauvage ! Même les lacs empoissonnés spécialement pour la pêche sont empoissonnés en poisson sauvage pêché essentiellement dans les grands lacs et leurs affluents. La qualité du poisson est donc au rendez-vous. En ce qui concerne la taille des captures, c’est en moyenne une taille très importante, sur les 16 poissons que j’ai attrapé et fait mesurer en lac durant la compétition 5 dépassaient les 50 cm et la majorité dépassaient les 40 cm. Quand on sait qu’on ne pêche pas spécialement en cherchant les gros poissons et qu’on attrape des gros poissons aux robes et nageoires magnifiques, c’est qu’il y a vraiment du potentiel !

Nicolas : Côté rivière, comme bien souvent, quelques différences de densité selon les lots. Même question sur les poissons, que des farios ou aussi des arcs ?

Pierre :  Les rivières que nous avons pêchées sont en fait assez courtes et leurs profils changent du tout au tout entre les secteurs amont et les secteurs aval, la population de poisson était donc variable selon les secteurs et des zones étaient meilleures que d’autres. On ne pouvait pas se battre partout ! Cela arrive souvent avec plus ou moins de différence bien sûr, ici la différence était assez importante. Nous avons eu en rivière essentiellement des farios et quelques arcs par endroit, mais des arcs sauvages ou ensauvagées avec des robes et des nageoires parfaites.

Nicolas : L’ensemble de l’équipe, sauf lot désertique, a vraiment bien réussi en rivière. Quelles étaient les techniques de pêche les plus productives ?

Pierre : Alors là…c’est bien la question la plus difficile. En fait, les postes étaient différents les uns des autres, et le profil de la rivière pouvait se prêter à des pêches très variées. Bien que la majorité de nos poissons ont été attrapés en nymphe, cette technique a été difficile à mettre en place proprement à cause du vent. Et d’autres techniques se sont montrées redoutables durant la compétition : la sèche, la sèche/nymphe et même le streamer. Il s’agissait vraiment d’adapter les techniques à notre poste pour arriver à en sortir le meilleur.

Nicolas : D’un point de vue plus personnel, tu termines à 25 points/place, soit les classements suivants : 12-3-3-2-5. J’imagine que cette 12ème place lors du premier jour doit te rester à travers de la gorge ? Avec un tirage un poil meilleur, le podium était là.

Pierre : Le classement individuel d’un championnat international est toujours un peu aléatoire, dans le sens où pour réussir il faut être très bon, mais aussi avoir un peu de réussite pour éviter de tomber sur un cimetière en rivière par exemple. Et quand on sait à quoi ça se joue entre les premiers du classement, un simple tirage au sort peu suffire à anéantir tout espoir d’une médaille individuelle…ce qui n’est pas le cas au niveau de l’équipe dû au grand nombre de manches et donc de tirages au sort réalisés. En ce qui me concerne, il est évident que cette première manche m’a pénalisé, mon poste faisait 1100m de long (contre 500-600m normalement), composé essentiellement de grand plat au milieu des champs exposés aux rafales de vent. Cette manche a été compliquée, d’autant plus que nous n’avions pas d’informations précises sur la rivière puisqu’il n’y avait pas de secteur d’entrainement sur celle-ci. Même s’il était sans doute possible de faire mieux, je m’en suis sorti avec 4 poissons, impossible de lutter avec les autres sur un secteur qui se gagne à 19. A cette manche là il aurait pu suffire d’un poisson de plus pour être sur le podium et de 3 poissons de plus pour être 1er au général. Heureusement que c’était ma première manche et pas la dernière, sinon j’aurais vraiment eu des regrets. Après je relativise, oui j’aurais pu avoir une médaille individuelle, mais le classement individuel est comme ça, on sait qu’il faut avoir un peu de chance, cette fois ce n’était pas mon tour. Je reste quoi qu’il arrive très satisfait de mon championnat, vraiment ! Et puis pour l’avoir déjà vécu, il n’y a rien de pire qu’un championnat où on ne revient qu’avec une médaille individuelle…tout ça pour dire que la plus belle des médailles on l’a gagnée et ça me va très bien !

Classement final de ce championnat.

Nicolas : Le titre de champion du monde par équipe s’est joué à rien tant vous étiez trois nations aux coudes à coudes. J’imagine la nervosité et la délivrance dans l’attente et l’annonce des résultats !!

Pierre : Ça a été un suspense incroyable…on est passé par toutes les émotions…C’est la première fois qu’au classement final d’un championnat du monde les 3 premières nations sont si proches (France 190 points, République tchèque 191 points et Espagne 192 points). En plus les résultats ont mis pas mal de temps à tomber, la FIPS a probablement dû les vérifier bon nombre de fois afin de s’assurer de ne pas faire d’erreur ! Autant dire que quand les résultats ont été publiés ça a été l’explosion de joie pour nous. Ce moment-là a dû être un peu moins plaisant pour les tchèques et les Espagnols qui eux aussi auraient mérité de gagner tellement la compétition a été serrée !

Nicolas : Que retiendras-tu de cette formidable aventure humaine ? Un mot pour tes coéquipiers peut-être ?

Pierre : Ce titre est avant tout le résultat d’un travail d’équipe. Malgré le fait que nous péchions individuellement sur chaque manche, nos résultats sont le fruit du travail de préparation et de mise en commun de l’équipe. Je remercie du fond du cœur mes coéquipiers et amis d’avoir amené chacun leur précieuse contribution pour ce championnat :

  • Thierry Lelièvre pour l’organisation sans faille.
  • Olivier Jarreton pour ses conseils toujours utiles sur les lacs.
  • Jean Benoit Angely pour ses deux superbes manches rivières et son humour.
  • Sébastien Vidal pour n’avoir rien lâché, même dans les moments compliqués.
  • Sébastien Delcor pour l’analyse et la stratégie de pêche.
  • Gregoire Juglaret pour son expérience et pour m’avoir mis le pied à l’étrier chez les jeunes il y a quelques années.

De gauche à droite : Sébastien V. - Jean-Benoit - Olivier - Thierry - Sébastien D. - Pierre - Gregoire.

Nicolas : Merci beaucoup Pierre d’avoir répondu à mes questions. Je te souhaite de nombreux autres succès à l’avenir. Merci encore pour ce titre gagné de l’autre côté de la planète !